Un
procès, un de plus, se tient en ce moment à Casablanca : une dizaine de
jeunes militants du mouvement du 20-Février sont emprisonnés pour avoir
manifesté. Méthodiquement, le pouvoir réprime un à un des groupes
ciblés pour faire taire une contestation qui est de plus en plus
dispersée.
Maroc, correspondance. Ils sont plusieurs dizaines de
manifestants à être venus ce mardi après-midi 6 mai de Rabat, Casablanca
ou Marrakech, pour soutenir ceux qu'on appelle désormais « les détenus
du 6 avril ». Avant l'audience, dans ce procès qui va encore durer des
semaines au rythme d'une séance hebdomadaire, ils crient leur colère
devant le tribunal de première instance de Aïn Sbaa, un quartier situé à
l'est de Casablanca. « Liberté immédiate pour les détenus politiques ! » ; « Ils sont détenus pour nous, nous militons pour eux ! »
Plusieurs anciens prisonniers, dont Samir Bradley et Younes Belkhdim,
condamnés par ce même tribunal en 2012, sont venus dénoncer ce qu'ils
considèrent comme un procès politique.
Le 6 avril, onze manifestants du mouvement du 20-Février sont
violemment arrêtés alors qu'ils participent à une manifestation
syndicale d'une dizaine de milliers de personnes. Un homme qui prenait
des photos d'un café et qui n'a aucun passé militant a été, lui aussi,
embarqué par les policiers. Ils sont aujourd'hui poursuivis pour « manifestation non autorisée » et « violence contre les forces de l'ordre ». Ils encourent des peines de deux à cinq ans de prison, d'après leurs avocats.
À la surprise générale, deux d'entre eux, Amine Leqbabi et Fouad
Elbaz, ont été placés en liberté provisoire à l'issue de leur garde à
vue de 48 heures, après avoir signé un procès-verbal dans lequel ils
nient ces accusations. Neuf autres, qui n'ont pas signé de
procès-verbal, ont été transférés à la prison de Oukacha, à la
périphérie de Casablanca.
« C'est un procès fabriqué, regrette Youssef Raïssouni de l'AMDH (Association marocaine des droits humains). Ils
sont poursuivis pour organisation de manifestation non autorisée mais
ce cortège était autorisé. Ils sont aussi poursuivis pour actes de
violence à l'égard des agents de l'autorité mais il y a des vidéos qui
prouvent le contraire. Les autorités cherchent à intimider le mouvement
et empêcher toute action militante. »
« Nous avons été arrêtés parce que nous sommes membres du
mouvement du 20-Février et le Makhzen (l'administration royale) veut se
venger de nous. Ils me poursuivent parce que je suis militant », affirme Amine Leqbabi.
« La stratégie du Makhzen a changé. La répression et les arrestations
ont nettement augmenté. Au début du mouvement, lorsque nous avions un
poids dans la rue marocaine, le Makhzen ne nous embêtait pas mais
ensuite, avec l'affaiblissement de la mobilisation, le pouvoir a
commencé à avoir recours aux arrestations », explique-t-il.
Trois ans après les grandes mobilisations, écho des autres grandes
révolutions arabes, le mouvement du 20-Février est en effet en
difficulté (lire ici notre précédent article).
La structure du mouvement, ouvert à tous, sans leader ni mécanisme de
décision, a rapidement laissé apparaître de profondes divisions tandis
que les syndicats et les partis de la gauche institutionnelle se
tenaient à distance (la gauche radicale, elle, ayant soutenu le
mouvement). Les contestations se poursuivent mais de manière dispersée
tandis que le pouvoir marocain a peu à peu repris en main la situation
par une répression ciblée sur quelques groupes militants. D’après
l’AMDH, au moins 2 000 personnes ont été arrêtées depuis février 2011.
L'actuel procès des « détenus du 6 avril » est une nouvelle illustration
de la pression sans relâche exercée par le pouvoir.
Parmi les accusés, il y a Mustapha Aarass, un membre de Attac-Tanger,
Ayoub Boudad, membre de l'Union des étudiants pour le changement du
système éducatif (UECSE), organisation créée en 2012 dans la foulée des
premières grandes manifestations, Hakim Sarroukh, étudiant en
philosophie et militant de l'Union nationale des étudiants du Maroc
(UNEM). Hamza Haddi, 20 ans, un militant connu du M20, en est à sa
troisième incarcération.
« Hakim Sarroukh avait juste quitté le cortège de l'UNEM pour
aller voir les militants du mouvement en queue de manifestation, et il
n'est pas revenu », raconte un membre de l'UNEM qui manifestait ce
jour-là. Plusieurs manifestants témoignent d'une présente policière
particulièrement importante. Ils décrivent une intervention violente,
avec coups de mégaphone et insultes.
Comme chaque mardi depuis le début du procès, l'entrée au tribunal
est un parcours d'obstacles. Il faut convaincre à deux reprises des
policiers pour pouvoir assister à l'audience. Pourtant, d'après la loi
marocaine, les audiences sont publiques. « Je vais voir avec mon chef »,
dit un policier qui semble ignorer cette loi. Il autorise finalement
des membres de l'AMDH à entrer et, par la suite, quelques militants
supplémentaires.
Protestation des syndicats
La
salle est comble et la présence policière palpable. Les neuf détenus
entrent en faisant le signe de la victoire, très amaigris par une
récente grève de la faim d'une semaine, mais souriants. Les plaignants
sont – encore une fois – absents. L'un des dix avocats présents – ils
sont une quarantaine –, Mohamed Messaoudi, attire l'attention sur l'état
d'un détenu qui souffre de tuberculose. Le juge n'a jusque-là pas cru
nécessaire de l'hospitaliser. Il s'ensuit un vif échange sur l'accès aux
soins des détenus entre l'avocat et le juge, qui refusera d'accorder un
suivi médical aux détenus.
Début mai, plusieurs dizaines de militants emprisonnés ont observé
une grève de la faim simultanée d'une semaine dans les prisons de
Casablanca, Marrakech, El Hoceima, Taza, Fès et Kénitra, pour dénoncer
les conditions de leur détention mais aussi pour appeler à la libération
tous les détenus politiques.
Un autre avocat, Abderrahman Benamar, demande au juge d'ordonner aux
policiers, conformément à la loi, de faire entrer tous ceux qui veulent
assister à l'audience. Il passe le reste de l'audience à dénoncer les
nombreuses incohérences des accusations et les irrégularités des
procès-verbaux. Pour la défense, le dossier est vide et les arrestations
sont illégales.
Quelques-uns des accusés photographiés durant l'audience. © (dr)
Fait défiant tout logique, les militants sont accusés d'avoir
organisé une manifestation non autorisée au sein d'une manifestation
autorisée. Ils auraient été arrêtés alors qu'ils scandaient des slogans
contre le régime, sans qu'on sache toutefois lesquels. « Aucune loi n'interdit ce type de slogans, expliquera Me Benamar après l'audience. Cela relève de la liberté d'expression. »
Les autorités justifient l'intervention des forces de l'ordre par une
demande des organisateurs de la manifestation, qui auraient voulu
écarter des éléments perturbateurs. Depuis, les trois centrales
syndicales (CDT, UMT, FDT) ont démenti cette version dans une lettre de
protestation où elles condamnent ces arrestations et évoquent un retour
aux « années de plomb », la pire période de la dictature de Hassan II.
D'après l'accusation, les militants auraient ensuite frappé les
policiers avec des bâtons et jeté des pierres. Pourtant, ces objets
n'ont pas été présentés au tribunal. De plus, les certificats médicaux
des plaignants sont datés du 6 avril à 10 heures alors que les forces de
l'ordre ne sont intervenues que deux heures plus tard.
Lorsqu'ils ont été placés en garde à vue, les détenus ne savaient pas
de quoi ils étaient accusés. Ils n'ont pas non plus été autorisés à
joindre leurs familles. Me Messaoudi intervient alors, soulignant que « selon la constitution octroyée de 2011 »,
les détenus doivent être remis en liberté jusqu'à leur jugement
définitif. Sans surprise, le juge refuse à nouveau toute libération. La
prochaine audience se tient le 13 mai. Les accusés sont emmenés en
quelques secondes, sans que leurs proches puissent les saluer.
À la sortie du tribunal, la déception se lit sur les visages. « Je n'ai pas honte de mon fils ! »,
crie la mère de Hamza Haddi, alors que les slogans reprennent de plus
belle. Quelques manifestants pro-régime, présents à chaque audience,
crient « Vive le roi ! ».
Les détenus, épuisés par leur grève de la faim, passeront une semaine de plus en prison. Hamza Haddi a perdu douze kilos. Ayoub Boudad et Hakim Sarroukh ne pourront peut-être pas se présenter à leurs examens de fin d'année. Amine Leqbabi, qui n'a pas été emprisonné, est pour sa part à la recherche d'un emploi. « Après mon arrestation, ma patronne m'a viré parce que la police le lui a demandé. Elle m'a dit : "Tu travailles avec nous et tu t'éloignes du mouvement, ou tu t'en vas." Moi, j'ai choisi le mouvement, bien sûr ! », dit-il.
Les détenus, épuisés par leur grève de la faim, passeront une semaine de plus en prison. Hamza Haddi a perdu douze kilos. Ayoub Boudad et Hakim Sarroukh ne pourront peut-être pas se présenter à leurs examens de fin d'année. Amine Leqbabi, qui n'a pas été emprisonné, est pour sa part à la recherche d'un emploi. « Après mon arrestation, ma patronne m'a viré parce que la police le lui a demandé. Elle m'a dit : "Tu travailles avec nous et tu t'éloignes du mouvement, ou tu t'en vas." Moi, j'ai choisi le mouvement, bien sûr ! », dit-il.
Aujourd'hui
Les « socialistes affligés » veulent contribuer à la refonte de la gauche
-
Le sommeil sous les coups de boutoir du capitalisme
-
Des « eurocrates critiques » veulent une autre Europe
-
Européennes: l'exécutif rentre dans la campagne à reculons
-
Patrick Drahi (Numericable) est l'investisseur mystère de «Libération»
-
Le Portugal dit adieu à la «Troïka» : la fin du commencement
-
L'argent sale continue d'affluer en Suisse
-
Au Théâtre du Soleil, le crime de Macbeth défigure le monde
-
Krishan Singh: «Si Modi est élu, il n’y aura plus d’élections libres en Inde»
-
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire