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vendredi 18 avril 2014

Surveiller les droits de l’homme au Sahara occidental, une drôle d’idée ?



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Forces de la MINURSO
Forces de la MINURSO
Forces de la MINURSO
A quelques jours du 23 avril et de la réunion du Conseil de sécurité de l’ONU qui sera consacré au conflit du Sahara occidental, le débat tourne encore autour de cette question de création d’un mécanisme de surveillance des droits de l’homme. Quand ce dispositif est une évidence pour la plupart des missions de l’ONU existantes dans le monde, la communauté internationale continue d’être divisée pour le cas du Sahara occidental. Une aubaine pour le Maroc qui instrumentalise cet aspect du conflit.

Un mécanisme de surveillance des droits de l’homme, c’est quoi ?
Un tel dispositif, indépendant et permanent, permet à des observateurs de dresser des rapports sur des situations précises d’interventions policières disproportionnées, d’arrestations arbitraires, de violences physiques et/ou psychologiques… Ces rapports sont en théorie objectifs, donc irréprochables. Présentés à des instances comme l’ONU, le conseil des droits de l’homme de l’ONU à Genève ou encore le Parlement européen, ces « photographies » d’une situation répressive permettent alors d’être dénoncées officiellement auprès du pays visé qui doit alors rendre des comptes.
Les faits présentés deviennent la « vérité officielle ». On renverse ainsi la charge de la preuve : les autorités accusées de violations ne peuvent pas, ou plus difficilement, se dérober en prétextant que la dénonciation est une instrumentalisation d’un « adversaire », l’exagération d’un événement, ou tout simplement, ne correspond pas à des faits réels.
Nouvellesdusahara.fr a déjà compilé les différents mandats accordés par le Conseil de sécurité aux missions de l’ONU. La MINURSO n’est pas dotée d’observateurs des droits de l’homme. L’ONG Human Right Watch considère qu’une surveillance impartiale est essentielle pour «promouvoir la stabilité et les solutions politiques». Un avis partagé par d’autres ONG et pays.

Vidéo de l’Equipe Media (vidéastes militants sahraouis) le 15 avril 2014 à El Ayoun, lors de la quatrième manifestation organisée dans les territoires occupés pour demander la création d’un mécanisme de surveillance des droits de l’homme.

Le secrétaire général de l’ONU avait demandé dans son rapport d’avril 2013 une «surveillance indépendante, impartiale, complète et constante de la situation des droits de l’homme au Sahara occidental et dans les camps (de réfugiés en Algérie)». Les Etats-Unis avaient pris le relais en tentant d’imposer cette idée aux autres membres du Conseil de sécurité. Deux appels pour le moment restés vains.
Dans son rapport diffusé le 10 avril 2014, Ban Ki-moon a réitéré sa demande, sans utiliser toutefois le terme de « mécanisme de surveillance des droits de l’homme », en précisant que :
« Le but ultime n’en reste pas moins le contrôle soutenu, indépendant et impartial de ces droits tant dans le Territoire que dans les camps. »

Qu’apporterait un tel mécanisme alors que le Maroc s’est doté fin 2011 d’une instance qui a pour but officiel de protéger et promouvoir les droits de l’homme ?
Le caractère indépendant du dispositif revendiqué par plusieurs pays, des ONG et le Front polisario fait toute la différence. Les membres de l’instance marocaine, qui est le Conseil national des droits de l’homme (CNDH), ont été choisis par le roi lui-même. Même s’il avance aujourd’hui le fait que c’est le parlement qui doit choisir les membres du CNDH, Driss El Yazami, son président actuel, a bien été choisi par Mohamed VI. C’est un élément qui est loin d’être anodin étant donné le poids central que le roi a sur le dossier du Sahara occidental.
Le président du CNDH, Driss el Yazami, le 25 mars 2014. Crédit ph. : MAP
Le président du CNDH, Driss el Yazami, le 25 mars 2014. Crédit ph. : MAP
La mise en place du CNDH a été annoncée au moment de la réforme constitutionnelle de novembre 2011 pour remplacer le Conseil consultatif des droits de l’homme. Il s’agissait, et il s’agit toujours, de montrer des signes de l’attention que porte le pouvoir vis-à-vis de cette question. Ainsi, le choix des membres est essentiel. A sa tête, Driss El Yazami, connu pour ses engagements en faveur des droits de l’homme et pour avoir été notamment secrétaire général de la Fédération internationale de la Ligue des Droits de l’homme. Une prise de choix donc pour Mohamed VI, qui l’a d’abord nommé président du Conseil de communauté marocaine à l’étranger (celui-là même dont a été membre la ministre française actuelle, Najat Vallaud-Belkacem) avant de lui offrir la présidence du CNDH.
 Le CNDH régulièrement cité par les pays «amis» du Maroc comme étant la preuve tangible que le royaume a le souci de progresser sur la question des droits de l’homme. Une position résumée dans une interview accordée au site Atlasinfos le 28 février 2014 par Christophe Boutin qui fait partie du petit groupe d’universitaires français chargés de relayer la réalité du pouvoir marocain : le Sahara est marocain, faisant fi au passage de l’arrêt de la Cour internationale de Justice de La Haye du 16 octobre 1975, ce qui est assez étonnant quand on sait que cela vient de professeurs de droit. Christophe Boutin, vice-président de l’association de promotion des libertés fondamentales, explique dans cet entretien que «le Maroc est (…) résolument engagé dans la voie de l’amélioration en continu qui caractérise la protection efficace des droits et libertés», prenant appui dans sa démonstration sur la création du CNDH justement et sur l’élection en novembre dernier du Maroc au Conseil des droits de l’homme de l’ONU.
 Le gouvernement français, l’actuel comme le précédent, n’est pas en reste et ne rate jamais une occasion de citer positivement le CNDH comme le ministre des Affaires étrangères, Laurent Fabius, a pu le faire dans plusieurs courriers en possession de Nouvellesdusahara.fr.

«Il existe au Maroc des poches de résistance contre le CNDH et notre délégation régionale»


Cette politique de soutien au processus démocratique qui amènerait à une amélioration des droits de l’homme peut être entendue. Ce qui pose question en revanche, c’est que ce soutien s’exerce en niant une réalité pourtant bien différente, celle d’un système répressif, ciblant tous les aspects de la vie de la population sahraouie : opinions politiques, liberté d’expression, pratiques culturelles, droit au travail… Comme si, finalement, l’approche binaire du roi du Maroc, qui considère que soit l’on est avec lui, soit l’on est un traître, empêchait les pays « amis » de tenir un discours plus nuancé, saluant les « avancées » (à condition qu’elles soient concrétisées) et dénonçant les violations répétées et nombreuses des droits de l’homme.
Le président de la section régionale du CNDH à El Ayoun
Le président de la section régionale du CNDH à El Ayoun


L’étude de l’action, et des conditions de cette action, de la section régionale du CNDH appelle ce regard nuancé. Car, sa réalité n’est pas monochrome, comme la dépeint très justement -et courageusement- le président de la section régionale du CNDH à El Ayoun quand il évoque le 13 juillet 2013 les difficultés que lui et ses membres ont déjà à mener leur mission de protection des droits de l’homme sur le terrain.

Un protocole pour protéger… les membres du CNDH
Le 13 juillet 2013, j’ai pu rencontrer, lors d’une entrevue informelle menée en présence d’un groupe de français, d’une australienne et d’une allemande et enregistrée en toute transparence, le président de la section régionale du CNDH pour le Sahara occidental, Salem Cherkaoui (Sahraoui, il faut le préciser). La discussion, à bâtons rompus et dans un climat apaisé comme l’enregistrement sonore le prouve, confirme que le CNDH est tout sauf une instance dotée d’un réel pouvoir. C’est même tout le contraire. Il explique notamment le projet de protocole qu’il est alors en train de négocier avec les forces de l’ordre marocaines pour que les observateurs du CNDH puissent aller sur le terrain sans être agressés par les policiers et/ou les militaires. Cela en dit long sur le sentiment d’impunité qui règne au Sahara occidental et sur le peu d’importance qu’a cette instance dont tous les relais pro-marocains se plaisent à « saluer les actions indépendantes ».
De l’aveu de Salem Cherkaoui, «il existe au Maroc des poches de résistance contre le CNDH et notre délégation régionale».
Preuve supplémentaire que le CNDH est un instrument politique -bien que son président s’en défende- plus qu’un vrai dispositif capable de protéger les droits des Sahraouis, on peut relever qu’une délégation de parlementaires européens, autorisée à se rendre sur place en juin 2013 quand d’autres députés de Strasbourg sont refusés, comme en mars 2013 (des membres de l’inter-groupe sur le sahara occidental) ou encore en avril 2014 n’avait pas trouvé nécessaire d’auditionner le président de la section régionale du CNDH, la demande de rendez-vous ayant été faite de façon fort peu protocolaire, quelques jours seulement avant le voyage. Peut-être les autorités marocaines qui choisissent leurs hôtes avaient-elles à craindre de cette liberté de parole que semble user M. Cherkaoui ?

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 La MINURSO exerce sa mission de contrôle du cessez-le-feu en visitant les postes de surveillance des armées marocaine (à l’ouest Surveiller les droits de l’homme au Sahara occidental, une drôle d’idée ?du mur de sable) et sahraouie (à l’est de ce même mur). Mais, le Conseil de sécurité ne lui donne aucun moyen jusqu’à présent pour contrôler l’usage des armes par les forces de l’ordre marocaines, comme lors du démantèlement du camp de Gdeim Izik en novembre 2010.
Peut-on douter de l’impact d’un mécanisme de surveillance vraiment indépendant ?

Lors du grand mouvement de protestation de Gdeim Izik fin 2010, des membres de la MINURSO s’étaient rendus sur place. Les forces de l’ordre marocaines qui contrôlaient l’entrée de ce camp de tentes leur en avait empêché l’accès. «  Les tentatives de patrouilles militaires et les visites par le personnel de sécurité et de police des Nations Unies ont été empêchées ou stoppées à plusieurs reprises  », peut-on lire au point 4 du rapport d’avril 2011.
Au même moment à New-York, lors de la réunion exceptionnelle du Conseil de sécurité de l’ONU, la demande de mener une enquête indépendante sur ces évènements avait été rejetée.
L’existence d’observateurs internationaux sur le terrain rendrait a priori très difficile ce type d’obstruction et donnerait à la communauté internationale les moyens de comprendre les raisons de violences commises, voire de les sanctionner.

En même temps, on peut se poser la question de l’impact de ce dispositif à la lumière de quelques faits.

On peut relever en effet qu’en mai 2012, le Maroc a décidé de retirer sa confiance à Christopher Ross, l’envoyé personnel du secrétaire général de l’ONU au Sahara occidental. En cause : le rapport rendu le mois précédent dans lequel l’on trouve des accusations précises et multiples sur la question des droits de l’homme au Sahara occidental. Un rapport considéré par le royaume comme «partial et déséquilibré».
Ajoutons, dans la même logique, que la visite au Sahara occidental de Christopher Ross (imposé à nouveau par Ban Ki-moon) à la fin 2012 et celle du rapporteur spécial sur la torture, Juan Mendez, en septembre 2012, ont été suivis par la condamnation sévère et sans appel sur le fond possible de 24 Sahraouis par le tribunal militaire de Rabat.
En l’absence d’éléments probants avancés par l’accusation durant le procès, il est apparu très vite que ces personnes ont été arrêtées puis jugées très sévèrement (plus de deux ans après leur mise en détention) pour leur engagement au sein du comité de dialogue du camp de Gdeim Izik et leur engagement en faveur de l’indépendance du Sahara occidental.


 Ces décisions, particulièrement fortes, montrent que Mohamed VI mène une double stratégie : montrer les signes de l’engagement du Maroc sur la voie de la démocratie et d’un plus grand respect des droits de l’homme ET rester très ferme et intransigeant pour ne rien lâcher de sa présence au Sahara occidental.
Procès du groupe dit de Gdeim Izik. Devant le tribunal militaire de Rabat le 1er Février 2013Procès du groupe dit de Gdeim Izik. Devant le tribunal militaire de Rabat le 1er Février 2013
Cette stratégie est payante pour le moment. Il suffit de constater l’impasse dans laquelle se trouve toujours le conflit. Une impasse dont on sait qu’elle est le résultat recherché par le Maroc et ses alliés. « La non-solution est une solution », a résumé Roland Dumas, ancien ministre des affaires étrangères français dans le documentaire Enfants des nuages.

Le contrôle soutenu, indépendant et impartial de ces droits

A défaut de mécanisme de surveillance dont la compétence serait donnée à la MINURSO, le Conseil de sécurité est dans l’incantation. Depuis le camp de protestation de Gdeim Izik, en octobre et novembre 2010, il insère dans ses résolutions qu’il «encourage les parties à collaborer avec la communauté internationale pour mettre au point et appliquer des mesures indépendantes et crédibles qui garantissent le plein respect des droits de l’homme». Chaque mot ayant un sens précis dans le domaine de la diplomatie, on peut noter que ses deux dernières résolutions (2012 et 2013) sont en retrait sur ce point, puisque la résolution d’avril 2011 parlait d’ «engager» et non d’encourager.
En revanche, les derniers rapports du secrétaire général de l’ONU demandent au Conseil de sécurité d’aller plus loin que ses seuls « encouragements ». Les rapports présentés en avril 2013 et 2014 préconisent la mise en place de mesures indépendantes de surveillance des droits de l’homme. Le point 100 du rapport publié le 10 avril 2014 précise : « Le but ultime n’en reste pas moins le contrôle soutenu, indépendant et impartial de ces droits tant dans le Territoire que dans les camps ».

Pourquoi craindre un mécanisme de surveillance indépendant ?

Depuis son origine en 1991, la MINURSO a vu son mandat fortement réduit. Parmi les trois objectifs qui lui sont toujours fixés, on peut relever le troisième : soutenir les mesures de confiance. On peut se demander si ces «mesures de confiance», qui évoquent les actions qui permettent aux Sahraouis vivant au Sahara occidental occupé par le Maroc et à ceux vivant dans les camps de réfugiés en Algérie de nouer des relations entre eux, peuvent englober toute action favorisant le dialogue entre «société civile» sahraouie et autorités marocaines.

Informer sur la situation locale…
D’autre part, comme rappelé une nouvelle fois dans le dernier rapport présenté par Ban Ki-moon, « outre sa fonction de contrôle du cessez-le-feu, la MINURSO est chargée de fonctions ordinaires de maintien de la paix comme le suivi, l’évaluation et la communication d’information concernant les événements locaux qui touchent ou intéressent la situation dans le Territoire ». Finalement, on peut constater que les missions dévolues à la MINURSO sont en théorie déjà très larges et pourraient donc autoriser cette entité internationale à s’enquérir de tout ce qui se passe au Sahara occidental. Mais, la question est bien sûr celle de la volonté politique de la communauté internationale.
Lors d'une assemblée générale de femmes, dans le camp de réfugiés de Dakhla, en mai 2010. Ph. : O. Quarante
Lors d’une assemblée générale de femmes, dans le camp de réfugiés de Dakhla, en mai 2010. Ph. : O. Quarante
On a pu le voir au lendemain du démantèlement du camp de Gdeim Izik, lorsque plusieurs pays ont saisi le Conseil de sécurité pour que soit envoyée sur place une mission d’enquête. Requête rejettée, alors même que des patrouilles de la MINURSO venaient d’être interceptées par les forces de l’ordre marocaines pour empêcher l’accès au lieu des violences.

Dernier point, le « monitoring » des droits de l’homme engagerait la surveillance des droits de l’homme également dans les camps de réfugiés en Algérie. Ces « prisons à ciel ouvert », selon l’appelation consacrée au Maroc. Le Front polisario en a semble-t-il accepté le principe.
Dans ce contexte, le refus du Maroc que soient mise en place de réelles mesures indépendantes et impartiales pour faire respecter les droits de l’homme peut être perçue comme une crainte du royaume de voir les revendications portées par la société civile sahraouie prendre de l’ampleur. Le droit de manifester serait reconnu et garanti, les associations aujourd’hui interdites deviendraient légales, les militants seraient reconnus dans leur rôle et non traités comme des « délinquants » ou des « criminels » lorsqu’ils sont arrêtés…
Au-delà, le Maroc s’arc-boute sur le fait qu’au Sahara occidental (ses « provinces du Sud »), il est le seul à être légitime. Autoriser l’extension du mandat de la MINURSO reviendrait à re-légitimer le rôle de la communauté internationale, alors que le roi n’a fait que la marginaliser.
http://www.nouvellesdusahara.fr/surveiller-les-droits-de-lhomme-au-sahara-occidental-une-drole-didee/
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