Chers amis lecteurs de solidmar,

Solidmar est fatigué ! Trop nourri ! En 8 ans d’existence il s’est goinfré de près de 14 000 articles et n’arrive plus à publier correctement les actualités. RDV sur son jumeau solidmar !

Pages

mercredi 31 octobre 2012

Les damnés de la mer


Par Salah Elayoubi sur une video d'Arte , 30/10/2012

Prendre une soirée pour lire ce magnifique texte de Salah Elayoubi à partir d' une remarquable longue vidéo d'Arte qui met le doigt sur l'insoutenable réalité d'un peuple opprimé par son ex "roi des pauvres"(qui l'a cru ?) devenu "roi prédateur".(ndlr)



Celui qui méconnaît  la réalité marocaine, dans ses méandres profonds, pourrait penser qu’un documentaire consacré au pays du couchant, est synonyme d’exotisme. Mais celui diffusé par la chaîne culturelle  franco-allemande ARTE,  ce vendredi 26 octobre,  avait plutôt des allures de réquisitoire  implacable contre les méthodes de gouvernance, en vigueur dans notre pays et l’irresponsabilité des autorités dans le traitement du dossier de la pêche et de nos ressources halieutiques.
Le reportage est un contre-pied cinglant de ces images d’Epinal qui brossent un tableau de rêve d’une « Essaouira, perle du Sud ». Le rêve s’est depuis longtemps évanoui, sous les coups de boutoir de l’incurie. Il s’est mû en cauchemar. Les premières minutes du film sont annonciatrices du drame qui couve entre plage déserte, balayée par le vent et oblitérée par la présence incongrue d’un arbre squelettique, au premier plan, rochers maculés, remparts défraîchis, port paralysé, murs rongés par l’humidité et le sel, usines sinistrées et cannibalisées, ruelles désertes, quais défoncés et jonchés de détritus et de sacs en plastiques.
On se croirait en Tchétchénie, en Syrie, en Afghanistan ou partout ailleurs, où sévit la guerre, plutôt qu’au Maroc, dont on nous dit qu’il est « Le pays qui fait grandir les âmes ». Ce Maroc-là, triture les âmes des siens, les malaxe, les mâchouille, les hache menu, avant de les recracher, défaites.
Même les mouettes d’habitude si rieuses, y ont laissé leur sarcasme et l’éclat de leur plumage et ne semblent plus se réjouir du spectacle de tant d’infortune. Leurs cris stridents sont autant d’injures,  à l’endroit de ces humains qui ont précipité leurs semblables, en pareille tragédie.
De rage, un pêcheur désœuvré, blouson de cuir, autrefois noir et pantalon à camouflage, menace de faire un sort à coups de sandale de plastique, à ces ricanants volatiles, venus grappiller quelque improbable pitance jusqu’à ses pieds.  C’est que ici, tout n’est que rage et désespoir !
Il y a longtemps. Fort longtemps que les embarcations des pêcheurs n’ont plus connu d’embellie. Tels de curieux cétacés que la marée aurait rejetés sur la terre ferme, les barques dressent dans une attitude de désespoir, une quille pathétique et implorante, vers le ciel.
Pourtant, le bleu, couleur de l’espérance règne en maître,  urbi et Orbi !  Omniprésent, il pare, ton sur ton, les coques des gros et des petits bâteaux, zèbre les persiennes, orne les huisseries, les portes, les fenêtres et les grilles en fer forgé, clôt les devantures, habille l’océan et teinte le ciel. Un ciel qui reste pourtant étrangement sourd à la psalmodie de ce pêcheur édenté et sans âge, au chapeau de paille antédiluvien, accablé par l’indigence de son étal,  fait d’un  vieux chiffon jeté à même le sol sur lequel  achèvent de pourrir au soleil, une dizaine de poissons :
-          «  Mon dieu ! Tu es Mon Seigneur et Mon Maître ! Toi si bon !……………»
Complainte poignante et inutile à la fois, tant semble impossible la tâche d’un sauveur hypothétique, dans cet océan de larmes et de désespoir !
Il manque quelque chose pour redonner vie à ce décor d’apocalypse, où quelques hommes trompent l’ennui et la mort, à coup de palabres inutiles et de verres de thé à la menthe.
Il manque l’étincelle de vie et de fierté qui fait scintiller les yeux des hommes et les fait chanter les lendemains heureux, dans le tintamarre et le boucan d’un port de pêche, digne de ce nom !
Il manque cette myriade d’écailles frétillantes et étincelantes sous les rayons du soleil, lorsque les filets ou les chaluts remontent des entrailles de la mer, lourds de promesses.
Il manque les violentes prises de becs et les hurlements indignés des mouettes, voltigeant à la poursuite de congénères chapardeurs de butin.
Il manque donc l’essentiel : le poisson !
Il avait, autrefois, fait la renommée de la ville, sa richesse et sa célébrité ! Le premier port sardinier du monde, haussait-on du menton !  Aujourd’hui disparu, il fait sa tragédie.
…. …..rien n’est fait pour protéger les ressources………le gouvernement leur vend toujours plus de licences de pêche………….…les chalutiers étrangers…………la pêche hauturière………..leur technologie…………..nous, les « gens traditionnels »…………….les barques ramènent plus rien………..Le poisson ne venait-il pas jusqu’à nous ?! ».
En quelques mots, tout est dit. Même si la langue se fait de bois et le discours prudent, face caméra, on devine une exaspération sourde  de voir, jour après jour, l’espérance se consumer.
Alors la rumeur court et va bon train, entre deux gorgées de thé. Il se raconte que là-bas, à Dakhla, le poisson est toujours aussi abondant et le rêve serait encore possible.
Pourtant, à plus de mille quatre cents kilomètres de là, dans la presqu’île de Dakhla, la route qui mène au rêve, ressemble tellement à une impasse. Une longue ligne droite, aux contours incertains, assaillis par les paquets de sable charrié par le vent impitoyable et inextinguible de l’Atlantique. Au bout de la route, semblant surgi de nulle part,  Sarga, un improbable port improvisé pour un millier de « pateras »,  pour desperados d’un genre tout marocain.  Un véritable cul-de-sac, où viennent s’échouer les existences et agoniser les rêves de vie meilleure. Pour beaucoup de ceux entrevus ici, c’est probablement le terminus d’une vie.
Dans ce paysage de fin du monde, où un chaos indescriptible règne en maître, la misère s’est faite pandémie. A côté, celle d’Essaouira ressemble à un bâtonnet de sucre d’orge !
Premières victimes de cette ruée vers l’or halieutique, les femmes. L’histoire ne nous raconte pas comment elles ont échoué ici. Sans doute un autre sujet de larmes. Telles des ombres émergeant de leur cahutes en torchis ou leurs tentes en chiffon, elles errent, sur le sable grisâtre, parmi les sacs en plastiques et les embarcations abandonnées, à la recherche d’une pitance pour leur progéniture.
Ici, nous sommes à des années-lumière, des résultats de la grande enquête sur l’égalité des sexes, intitulée « Global Gender Gap Report » du World Economic Forum et qui classe le Maroc à la cent vingt neuvième position. Les femmes, dans ce « No right land »,  sont moins que des humains, tout juste un peu plus que des bêtes.
A les voir, pauvres parmi les pauvres,  s’accroupir à même le sable, à plusieurs, en signe de soumission, face au pêcheur, pour quémander un calamar qu’elles se déclarent, disposées à partager avec leurs compagnes d’infortune, on saisit la dramaturgie de leur existence !
Comment se partage-t-on un calamar à plusieurs ? Dans quel sens se découpe ce fichu céphalopode ? En rondelles ou en lanières ? A qui revient le corps ?  A qui échoient les tentacules ?
Loin de ces préoccupations bassement terre-à-terre, à quelques encablures de là, est un chalutier suédois qui semble cracher sur toute cette misère !
-«  Ici on pêche toute l’année ! » Un aveu stupéfiant pour le ressortissant de l’une des plus belles et des plus vieilles démocraties du monde,  qui épargne son cheptel halieutique, mais s’accommode si bien du pillage de celui des autres.
- «  Nous sommes associés à une usine à Dakhla ! »
On se doute du genre d’association et de la qualité des associés !
Dans le poste de pilotage bourré de gadgets technologiques destinés à traquer le poisson, le responsable du bateau qui tient plus de la petite frappe déscolarisée, que du capitaine, ne se rend même plus compte de l’arrogance de son discours. Complice du pillage auquel il se livre, il se vante de n’avoir jamais essuyé le moindre reproche « ici », sans doute conscient de l’impunité que lui dispensent « les associés ». Un pur droit de cuissage.
Arte n’aura pourtant dévoilé qu’une partie infinitésimale de la gabegie et la cupidité criminelles qui se sont emparées de l’économie marocaine. On ressort de ce  reportage avec un profond sentiment de dégoût, doublé de l’accablement face à  l’injustice à laquelle concourent ceux-là mêmes qui, du haut des tribunes internationales,  vantent tous les jours, les mérites de la démocratie et des droits de l’homme !
Puissent-ils se regarder,  sévissant au large de ce pays qu’ils pillent sans vergogne  !
 http://videos.arte.tv/fr/videos/les-damnes-de-la-mer--7006482.html

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire