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dimanche 26 juin 2011

Maroc: Le discours de Mohamed VI du 17 juin 2011

Par Aziz Enhaili, Chroniqueur de Tolerance.ca, 26/6/2011

À l’instar de ses voisins, le Maroc est à son tour touché par le «Printemps arabe». Pour tenter d’étouffer le mouvement de contestation de son régime autoritaire, Mohamed VI a adressé le 17 juin 2011 un discours à la nation. Une adresse sans enthousiasme et qui est loin de marquer les esprits.

Le vendredi 17 juin, le roi Mohamed VI a adressé un nouveau discours à la nation. Le troisième depuis le mois de février dernier. Date de la naissance au Maroc du Mouvement du 20 février et de sa mobilisation d’abord sur la Toile, ensuite sur le terrain. L’objectif de ce mouvement? Voir le pays enfin doté d’un régime démocratique sous forme de monarchie parlementaire à la place du régime autoritaire en place. Une issue à laquelle visiblement ne veulent aucunement se résoudre les tenants fermes du maintien au pouvoir d’une monarchie absolue. D’où la nécessité pour eux de briser l’élan du mouvement réformateur. Une mission confiée à cette adresse royale du 17 juin qui a convié le peuple à voter «oui» le 1er juillet prochain en faveur de son projet constitutionnel controversé. Mais peuvent-ils réussir?

Le contexte politique nouveau donne du sens à l’actuelle action royale
Mohamed VI (1999-) est d’un naturel économe de ses mots. Même s’il a passé douze ans au pouvoir, il n’a jamais accordé la moindre conférence de presse. Et ce contrairement à son père et prédécesseur, Hassan II, qui en raffolait, tout en prenant un soin particulier à bien choisir ses «interlocuteurs». De préférence, des journalistes français visiblement en mal de monarchie chez eux et qui succombaient aux fastes de la Cour. Mais il a suffi que le Maroc soit touché à son tour par un vent de liberté irrésistible pour que le roi enchaîne enfin les discours. Trois à ce jour, depuis la naissance du Mouvement du 20 Février.

Comme tout acteur politique dans sa situation, Mohamed VI est conscient du fait que l’usage de la force brute seule, même dans le cadre d’un rapport de forces en apparence en sa faveur, face à un mouvement social authentique, n’est pas une garantie de véritable succès. D’où le recours à loisir à différents registres politiques (ruse, séduction, propagande, calomnie, intimidation…).

Le roi est conscient que l’enjeu de ce qui est en jeu actuellement du point de vue du Mouvement du 20 février, c’est une véritable révolution politique, une transformation pacifique menant enfin la monarchie d’un régime autoritaire, à la culture politique, au style et au cérémonial archaïques, à une monarchie parlementaire et moderne.

C’est donc pour éviter d’être dépassé par la tournure des événements dans son pays que Mohamed VI a multiplié les registres de sa «gestion» de ce nouveau défi à son pouvoir absolutiste. Alternant promesses, menaces et répression. Le dernier geste posé dans ce sens était son discours adressé le vendredi 17 juin dernier à la nation. Mais cette adresse était-elle susceptible de réussir à convaincre de la bonne volonté démocratique du régime autoritaire en place et du même coup briser le mouvement du changement?

Le moment des réformes démocratiques n’a pas encore sonné

À en croire Mohamed VI, son projet constitutionnel serait un moyen pour lui de «renouveler» son «pacte» avec le peuple. Une Constitution qui serait, ajoute-t-il, «un tournant historique et déterminant dans le processus de parachèvement de la construction de l'État de droit et des institutions démocratiques».

Selon lui, ce projet a comme référence son discours du 9 mars dernier et «s'appuie sur les propositions avancées par les instances politiques, syndicales, associatives et de jeunesse», ainsi que sur «le travail novateur accompli par la Commission consultative et l'action constructive menée par le Mécanisme politique, Commission et Mécanisme des propositions».

Pour Mohamed VI, trois éléments distinguent ce projet constitutionnel du précédent. D’abord, la méthode. Ensuite, la forme. Enfin, le contenu. 
Pour le premier, il a eu recours à des constitutionnalistes marocains alors que son père faisait appel à des étrangers (Français) pour rédiger ses Constitutions octroyées. La forme est passée de 108 articles à 180. Pour le contenu, le roi estime qu’il est basé sur deux piliers. D’abord, ce qu’il qualifie de «constantes immuables de la Nation» dont il s’estime le légitime gardien à titre d’«Amir Al Mouminine» (Commandeur de croyants, ndlr) «dans le cadre d'un État musulman». Le rôle de celui-ci serait, à l’en croire, «d'assurer la pérennité et la continuité» de ces dites «constantes immuables». Ensuite, le régime parlementaire.

Pour convaincre les sceptiques du caractère «historique» de son projet constitutionnel, Mohamed VI n’a pas hésité à avancer l’idée qu’il s’agit, d’abord et avant tout, «d'un nouveau pacte historique entre le Trône et le peuple». Le recours à ce vocable politique n’est nullement anodin puisqu’il s’agit de quelque chose qui résonne fort pour la mémoire politique du peuple et qu’une partie du mouvement démocratique appelait de ses vœux dès l’accession de Mohamed VI au trône. Une façon de laisser entendre qu’il avait entendu leur appel et de les récupérer au passage. Mais est-ce suffisant?

Pour Mohamed VI, l’offre constitutionnelle a dix axes. 
Axe un: «la consécration constitutionnelle de la Monarchie citoyenne». Mais comment peut-on concilier cette «banalisation» avec le principe «(d’) inviolabilité de la personne du Roi» et le soi-disant «respect qui Lui est dû en tant que Roi, Amir Al Mouminine et Chef de l'État»? 
Axe deux: la «constitutionnalisation de l'Amazighe (ou berbère, ndlr) comme langue officielle du Royaume, au côté de la langue arabe». Mais si cette reconnaissance est la bienvenue dans un pays où l’élite au pouvoir avait fait preuve d’amnésie amazighe durant les soixante dernières années, il reste que le pays devra attendre encore longtemps avant que cette déclaration de foi de l’Amazighe comme «patrimoine commun à tous les Marocains» ne soit traduite dans la réalité. 
Axe trois: la «constitutionnalisation de tous les droits de l'Homme tels qu'ils sont reconnus universellement». Mais cette déclaration est contrebalancée dans le même discours par deux limites de taille, d’abord, le «respect» dû, entre autres, aux «lois inspirées de la religion musulmane»; ensuite les pratiques liberticides du régime royal. Comment peut-on réconcilier une législation discriminatoire à l’égard des femmes avec une philosophie fondée sur le principe d’égalité entre les hommes et les femmes? Comment peut-on réconcilier aussi cet engagement royal avec des enseignements islamiques antinomiques avec la liberté notamment de conscience? Ensuite, comment peut-on, en même temps, déclarer son attachement à la «constitutionnalisation de tous les droits de l'Homme tels qu'ils sont reconnus universellement» et laisser son régime se complaire dans des pratiques liberticides? De nombreux journalistes, intellectuels, opposants ou assimilés tels… en savent quelque chose.
Axe quatre: le renforcement de la stature du Premier ministre devenant «Chef du gouvernement». Malgré cette «promotion» symbolique, on ne sait pas clairement si le roi désignera comme chef du gouvernement le chef «du parti arrivé en tête des élections de la Chambre des Représentants» ou une personnalité issue de cette formation. Aussi, cette «promotion» n’empêchera pas le roi de priver ce «chef de gouvernement» de pans entiers des prérogatives régaliennes, et cela ne concerne pas les seuls domaines de sécurité, de défense et de politique étrangère. 
Axe cinq: «l’instauration d'un Pouvoir parlementaire». Si la «constitutionnalisation de l'interdiction de la transhumance parlementaire» peut paraître excessive, puisque un code électoral ou un règlement intérieur du parlement remaniés auraient suffi à sanctionner tout récalcitrant éventuel, plus grave est la levée de l’immunité d’un parlementaire en cas de non respect de « (l’) inviolabilité de la personne du Roi». 
Axe six: le renforcement du statut et du rôle de l’opposition au sein du Parlement.
Axe sept: la constitutionnalisation de la justice comme «pouvoir indépendant». Si c’est la première fois que le premier magistrat du pays parle de la justice en tant que «pouvoir indépendant» par rapport à l’exécutif, une avancée à saluer, un élément est troublant: c’est cette formulation inconnue ailleurs et qui voudrait que la justice soit également indépendante par rapport au pouvoir législatif. Aussi, cette déclaration de l’indépendance du pouvoir judiciaire par rapport à l’exécutif ne la soustraira pas de la dépendance vis-à-vis du chef de l’État (et donc de l’exécutif). Les jugements ne continueront-ils pas, du propre aveu royal, d’être prononcés en son nom? Et ne sera-t-il pas le président d’un «Conseil Supérieur du Pouvoir Judiciaire» (successeur du Conseil supérieur de la magistrature) appelé à voir le jour? 
Axe huit: la création et la constitutionnalisation de nombreuses institutions.  
Axe neuf: le «renforcement des mécanismes de bonne gouvernance, de moralisation de la vie publique et de lutte contre la corruption» et la création d’un «Conseil supérieur de sécurité» à être présidé par le roi.
Axe dix: le renforcement de la régionalisation du pays dans un cadre unitaire. Si cette vision est en soi louable, force est de constater qu’il ne suffira pas de la clamer pour infléchir les tendances centralisatrices d’un État jacobin faisant face à un mouvement séparatiste armé, le Polisario, qui lui conteste sa souveraineté sur la partie Sud de son territoire, et qui a également la hantise du retour de la Siba, De plus, les choix systémiques de développement de l’État des soixante dernières années contrarient cette nouvelle déclaration décentralisatrice.

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Comme nous venons de l’analyser, le discours royal du 17 juin est, à plusieurs égards, loin de convaincre l’observateur marocain de la capacité de l’offre constitutionnelle d’accoucher d’un régime de monarchie parlementaire. Ce qui était et demeure la demande centrale du Mouvement du 20 Février. D’ailleurs, deux jours plus tard, celui-ci avait tenté de manifester son rejet de cette offre dans plusieurs villes du pays, malgré l’hostilité active des autorités et le déchaînement violent de leurs hommes de mains. C’est dire combien l’adresse royale était loin de suffire pour soulever l’enthousiasme de la nation.

http://www.tolerance.ca/Article.aspx?ID=112910&L=fr

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