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mercredi 29 juin 2011

La monarchie marocaine cherche à imposer une Constitution absolutiste


Par Ahmed Benchemsi,LEMONDE.FR28/6/2011


"Voici ma voie ! J'appelle d'évidence au chemin d'Allah, moi et ceux qui me suivent." C'est sur cette harangue prophétique tirée du Coran (12 : 108) que s'est achevé, le 17 juin, le discours du roi Mohammed VI appelant les Marocains à soutenir son projet de nouvelle Constitution lors d'un référendum prévu le 1er juillet. Le message est subliminal, mais tout de même. S'identifier au prophète Mahomet et assimiler sa propre réforme au "chemin d'Allah", voilà qui est culotté… et paradoxal, pour un monarque sensé renoncer au droit divin.

La prochaine Constitution, en effet, ne stipulera plus que le roi du Maroc est "sacré". A la place, le peuple devra lui manifester respect et tawqir — terme arabe évoquant une "attitude à mi-chemin entre la révérence et l'adoration". Pas sûr, tout compte fait, qu'on change vraiment de registre…

Le 9 mars 2011, en réponse à une vague de contestation populaire sans précédent, Mohammed VI avait pourtant promis une Constitution "démocratique". Mais depuis, bien des choses ont changé. Après avoir fait chuter les présidents tunisien et égyptien, la fièvre révolutionnaire arabe est retombée, refroidie par la guerre civile en Libye et la répression sanglante en Syrie.

(...) On attendait ainsi une diminution des pouvoirs du roi au profit de ceux du premier ministre. Mais la seule promotion réelle dont a bénéficié ce dernier est d'ordre sémantique, puisqu'il est désormais "chef du gouvernement". Pour le reste, et même si le roi est contraint de le nommer "au sein du parti politique arrivé en tête" aux élections, rien ne change : pieds et poings liés face au Palais, le chef du gouvernement n'a même pas barre sur sa propre équipe. C'est toujours le roi qui nomme et démet souverainement les ministres.

Le chef du gouvernement peut tout au plus "proposer" une liste de ministres ou "demander" que l'un d'eux soit congédié – mais dans les deux cas, rien n'oblige le roi à accepter. En revanche, le roi peut remanier le gouvernement quand il veut. Il doit simplement "consulter" son chef au préalable – mais sans que rien ne l'oblige à tenir compte de son avis.

Autres nouveautés constitutionnelles : le chef du gouvernement peut nommer les gouverneurs de provinces et même dissoudre le Parlement… mais à condition d'obtenir l'aval du Conseil des ministres, présidé par le roi.

Bref, tout comme la sacralité, l'absolutisme sort par la porte et revient par la fenêtre. Les pouvoirs politico-religieux du roi sont toujours illimités, et il les applique toujours par dahirs (décrets royaux non susceptibles de recours). Seuls les numéros des articles constitutionnels ont changé : du 19, 23 et 29, on est passé au 41, 42 et 46. On se demande bien où Nicolas Sarkozy voit ces "avancées capitales" dont il s'est félicité. De plus, le président français devrait relire Montesquieu, lui qui parle de "stricte séparation des pouvoirs" alors que le Conseil supérieur judiciaire est présidé par le roi…

Les plus optimistes mettront en avant l'officialisation du Tamazight (langue berbère) ou quelques innovations constitutionnelles comme le droit d'accès à l'information publique. Mais il reste à produire des lois ad hoc, faute de quoi ces belles idées resteront lettre morte. Il se trouve que le régime a un passif en matières de promesses non tenues. Mohammed VI n'avait-il pas promis, en 2001 déjà, l'introduction du Tamazight dans les programmes scolaires ? Dix ans plus tard, rien de sérieux n'a été fait dans ce sens.

Au Maroc, les actes contredisent souvent les intentions, même si ces dernières ont valeur constitutionnelle. Comment donner du crédit, par exemple, à l'article 36 du nouveau texte suprême qui "interdit" (là aussi en l'absence de lois précises) le conflit d'intérêt et l'abus de position dominante… quand le roi lui-même continue d'écraser l'économie marocaine à travers sa holding personnelle qui, à elle seule, réalise chaque année jusqu'à 8 % du PIB ?

S'il fallait ne retenir qu'une seule raison de douter de cette Constitution, ce serait le rythme effréné de sa validation : les partis ont eu moins de 24 heures pour réviser le texte avant que le roi ne le propose à référendum. Visiblement, le Palais cherche à faire passer sa réforme à la hussarde, sans laisser à la société civile le temps de s'organiser (par exemple, pour observer le déroulement du référendum dans des conditions convenables). Le Mouvement du 20 février, quant à lui, a immédiatement organisé des marches de protestation à travers le royaume pour dénoncer la nouvelle Constitution "imposée".

Contrairement à ce qui s'est passé en mai, la police n'a pas brutalement dispersé les manifestants. En revanche, ceux-ci se sont retrouvés face à de nouveaux adversaires, recrutés par les agents du ministère de l'intérieur : des hordes de voyous, improbables défenseurs de la Constitution prêts à faire le coup de poing en beuglant, torses nus, que Mohammed VI est leur "roi unique"… Les imams des moquées et une confrérie soufie sont également embrigadés par l'Etat pour promouvoir le oui, tandis que des vidéos sur Internet démontrent que de faux manifestants sont payés pour crier "vive le roi !" L'ambiance devient délétère.

La campagne référendaire officielle, pendant ce temps, est outrageusement déséquilibrée. Un partage égalitaire du temps d'antenne entre le oui et le non était pourtant réclamé par un collectif regroupant soixante-dix associations, en plus du collectif Mamfakinch !, relais sur Internet du Mouvement du 20 février.

Mais le gouvernement a fait la sourde oreille. Passé en catimini, un décret ministériel a décidé à la va-vite de répartir le temps d'antenne sur les médias publics entre les seuls partis politiques et syndicats agréés par l'Etat. Sachant leur degré d'inféodation au Palais, autant dire que la quasi-totalité de la campagne référendaire est réservée à la défense de la Constitution royale.

Grâce à la propagande de masse déjà en œuvre, la victoire du oui ne fait aucun doute. La participation, en revanche, reste la grande inconnue – et l'enjeu majeur – de ce scrutin. Pour obtenir un taux de 80 % (seuil au dessous duquel il sera malaisé d'affirmer que le "peuple soutient unanimement la monarchie") les autorités se préparent déjà à affréter des milliers de bus et de camions, pour transporter illégalement des légions de citoyens vers les bureaux de vote.

Du coup, Mamfakinch ! (en marocain, "Nous ne céderons pas !") est devenu Mamsawtinch ! ("Nous ne voterons pas !"). C'est le nouveau cri de guerre des manifestants, qui appellent désormais au boycott du référendum constitutionnel. Et c'est aussi le nom d'un nouveau site Web (mamsawtinch.com) notamment destiné à centraliser les vidéos des "mouvements de troupes" frauduleux le jour J. La bataille continue…

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