Gare à l'optimiste naïf, prévient Jean Zaganiaris, enseignant-chercheur au Centre de recherche sur l'Afrique et la Méditerranée à Rabat: des «évolutions institutionnelles majeures» pour Nicolas Sarkozy; un «discours historique» pour Rachida Dati. Et la presse française à l'unisson. La révision constitutionnelle de Mohamed VI n'est pas forcément la révolution douce qu'attend la France.
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Le Maroc est en train de vivre des heures importantes de son histoire. La réforme constitutionnelle annoncée par les deux discours royaux des 9 mars et 17 juin 2011 est désormais sur le point de déboucher sur le référendum du 1er juillet. La commission chargée de remettre un rapport au roi Mohamed VI a respecté les délais. Depuis quelques mois, un enthousiasme bon teint s’affiche dans certains média. Les uns titrent « Le Maroc rentre dans la modernité ». Les autres parlent « d’une limitation des pouvoirs du monarque » et d’un « renforcement de la démocratie ».
Dans le journal Le Monde, Jean-Noël Ferrié, chercheur CNRS et en poste au Centre Jacques Berque de Rabat depuis la rentrée 2010, s’enthousiasme en parlant d’une constitution marocaine qui s’annonce «libérale et démocratique » et qui pourrait même reconnaître « la liberté de conscience ». Ces discours euphoriques oublient deux choses importantes : le contexte politique dans lequel a eu lieu cette révision de la constitution marocaine et les usages sociaux qui en découleront.
La révision constitutionnelle est inséparable du « printemps arabe » qui a eu lieu au Maroc depuis février 2011. Si certaines manifestations, notamment celles du 20 mars, ont eu lieu dans un esprit pacifique, celles du 13 mars ou bien celles de la fin du mois de mai ont montré des violences policières pour le moins inquiétantes.
De nombreux journaux marocains, parfois ignorés par leurs confrères européens, ont attiré l’attention sur ces actes de violence inacceptables au sein d’un pays qui prétend se démocratiser. Ils ont montré les rues de Casa ou de Rabat, le visage en sang de Oussama El Khlifi ainsi la répression des manifestants devant la DST de Temara. Les propos publics de l’AMDH tiennent informés sur ce qui se passe dans les provinces du Maroc, notamment dans la commune de Safi où un manifestant est mort.
Les réseaux sociaux ou bien le journal en ligne Lakome.com ont évoqué les menaces dont Omar Radi, journaliste et membre du 20 février, a fait l’objet après avoir été pris à parti par des policiers. Ce dernier vient d’écrire à l’instant sur son mur facebook qu’il a été victime de violence dans la rue. Des blogueurs de l’AMDH ont publié hier leur indignation suite à l’arrestation de Seddik Kabouri et Mahjboub Chenou (information reprise sur le site du Nouveau Parti Anticapitaliste).
Il est regrettable que les « experts » du monde arabe n’aient pas réagi sur le contexte de cette révision constitutionnelle. Il ne s’agit pas de tordre le bâton dans l’autre sens et d’être dans le déni, le rejet, la critique. La simple dénonciation du retour à l’ordre sécuritaire n’est pas non plus une solution. D’ailleurs, comme le montrent les discours d’une Zineb El Rhazoui, membre virulente du mouvement du 20 février qui s’est rendue récemment à Bruxelles, ou bien d’autres membres du 20 février, qui parviennent à accéder à l’espace public, il existe des marges d’expression au Maroc dont les acteurs savent tirer profit.
L’Ecole de Gouvernance et d’Economie de Rabat a mis en place des ateliers au sein desquels des étudiants marocains ont pu venir s’exprimer sans aucune censure sur la constitution et faire des propositions, accompagnées parfois de remarques critiques. Ces dernières ont été reprises dans un document remis en juin à la Commission de révision. Notre propos n’entend nullement verser dans un pessimisme passif et résigné. Au contraire, nous espérons de tout notre cœur que le processus de démocratisation va se poursuivre, malgré les contraintes structurelles et les obstacles que certains fondamentalismes ou traditionnalistes mettent sur son chemin.
Le pluralisme, les débats sociaux et les démarches participatives de toutes sortes que nous avons vu jaillir à l’état pur au sein de la société marocaine représentent sans doute déjà une victoire politique importante, dont les partis politiques doivent tirer des leçons.
Le deuxième point a trait aux usages sociaux du droit. « Le langage du droit » peut être parfois très éloigné des pratiques sociales. Comme l’a montré Mohamed Mouaqit dans son livre sur la réforme du code de la famille en 2004, l’instauration de nouvelles lois ne s’est pas forcément accompagnée de nouvelles pratiques sociales.
Ce n’est pas parce que la femme a le droit juridiquement de se marier sans la tutelle de son père qu’elle est disposée socialement à le faire. Il en est de même de la constitutionnalisation de « tous les Droits de l’Homme » ou de «l’égalité entre l’homme et la femme, dans tous les droits politiques, économiques, sociaux, culturels et environnementaux ». Certes, ces mesures sont salutaires et reflètent le combat militant des associations marocaines. Mais quelle sera leur effectivité dans un contexte où les inégalités de richesse entre marocains sont énormes, où la domination patriarcale et les violences de toutes sortes restent des réalités à éradiquer au plus vite de l’espace public ?
Si l’optimisme politique est en effet une des forces du pays, il ne peut en aucun être dissocié des réalités contextuelles marocaines. Comme le rappelait Tocqueville, derrière les ruptures visibles et les changements de régimes, il faut être capable de percevoir les inévitables continuités avec lesquelles il faut composer pour démocratiser la vie politique du Royaume …
Jean Zaganiaris,
politologue, enseignant-chercheur au CERAM
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