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vendredi 4 mars 2011

Maroc : Oussama, le messager de la révolte


Par Isabelle Mandraud, Le Monde, 27/2/2011
Jeune informaticien au chômage, Oussama El Khlifi est à l'origine des manifestations du 20 février au Maroc. Il s'est appuyé sur l'exemple des « pays frères », la Tunisie et l'Égypte, pour structurer son action sur la Toile

La voix éraillée à force de vouloir se faire entendre. Dans la rue, d'abord, pour réclamer « plus de démocratie » et un « changement de Constitution ». Dans les réunions, ensuite, pour rabrouer les mégalos qui veulent s'arroger un premier rôle, tancer les timides, et décider de la suite.

Oussama El Khlifi, 23 ans, est sur tous les fronts, fatigué mais déterminé. Respecté des autres jeunes, aussi. Informaticien au chômage, « depuis sept mois », précise-t-il, il est à l'origine des manifestations au Maroc, un pays qui pensait - qui espérait - être épargné par les turbulences du monde arabe. Après les rassemblements du 20 février, qui, à la surprise générale, ont poussé 37 000 personnes à descendre dans la rue, selon le propre bilan du ministère de l'intérieur marocain, dix fois plus selon les organisateurs, il prépare le nouveau rendez-vous des 26 et 27 février, alors que le climat se tend.
Les sit-in prévus dans la foulée, à Rabat, la capitale marocaine, ont été dispersés sans ménagement par la police, pourtant restée très discrète jusqu'ici. « On n'a pas peur de quoi que ce soit, affirme Oussama El Khlifi avec la fougue de son âge, on est prêts à mourir pour défendre la démocratie et notre pays. » Au Maroc ? « Oui, on veut un changement, martèle-t-il. Nous n'avons pas de véritable Parlement ni de gouvernement, mais un roi qui fait tout. »
Le jeune informaticien voudrait rogner les pouvoirs du monarque marocain et limiter ses prérogatives à un rôle honorifique, à l'image de celui des souverains d'Espagne ou de Grande-Bretagne. Un projet inconcevable pour la dynastie alaouite marocaine, qui revendique une lignée directe avec Mahomet. D'autant que Mohammed VI, parvenu au pouvoir en 1999, a fondé son style sur une présence soutenue sur le terrain, au contraire de la scène internationale où il se montre peu.
Oussama El Khlifi s'entêtant, ses mails sont piratés, ses pages personnelles Facebook indisponibles et lui-même fait l'objet d'attaques au vitriol lancées par ses détracteurs sur le Net, où il est dépeint sous les traits d'un petit chef intraitable, « Oussama et son gang ». Le discours de fermeté prononcé par Mohammed VI au lendemain des manifestations du 20 février, dans lequel le roi affirmait qu'il ne céderait pas à la « démagogie », ne l'a pas fait bouger d'un iota de sa ligne : « Il n'a pas écouté les messages qu'on lui a envoyés. Nous, on veut un changement. » Le ton est poli, mais inflexible.
En jeans et baskets, une casquette vissée sur ses cheveux noirs, un soupçon de barbe sur ses joues pâles qui lui donne un faux air du Che, Oussama El Khlifi se présente comme un enfant de la classe moyenne qui a grandi à Rabat. Il est le fils unique d'un policier, toujours en activité, et l'on soupçonne des discussions passionnées en famille. « On a dépassé tout ça, il me soutient », élude le fils. Par soif d'engagement, il a adhéré dans un passé récent à l'Union socialiste des forces populaires (USFP), un parti né en 1975, premier aux élections législatives de 2002 avant de se voir rétrograder cinq ans plus tard à la cinquième place sur l'échiquier parlementaire. En avril 2010, après un bref passage dans ses rangs, il jette l'éponge : « L'USFP est avec le régime. » Usés par des années d'opposition stérile, et parfois de compromission avec le pouvoir, les partis politiques ne l'attirent pas, pas plus qu'ils n'attirent les jeunes de sa génération.
Cela ne veut pas dire qu'Oussama El Khlifi se désintéresse de la vie politique, tout au contraire. Chaque fois qu'il voit « passer une manif », il « participe ». C'est vrai des défilés de solidarité avec le peuple palestinien, ou des rassemblements contre le chômage et la précarité. En novembre 2010, alors qu'il est employé dans un restaurant de Laâyoune, au Sahara occidental, il se joint ainsi spontanément au cortège qui passe sous ses fenêtres avec ses revendications sociales.
Les dernières élections législatives de 2007, remportées par le parti historique de l'indépendance, l'Istiqlal, et marquées par une abstention record, le déçoivent. C'est après cela, explique-t-il, qu'il commence « à discuter » avec des amis sur le réseau Facebook. Des camarades « virtuels » au départ, rencontrés un peu par hasard, reconnaît le jeune informaticien, qui ne se connaissaient pas, ou peu, et qui sont devenus, au fil du temps, de vrais amis en chair et en os. Comme Hakim Sikouk, un grand barbu dynamique, professeur de philosophie de 26 ans, venu de Safi, dans la région de Doukkala-Abda, sur le littoral atlantique ; ou bien Hilana, une jeune et menue traductrice de 23 ans, à la jolie chevelure bouclée. « On s'est tous connus sur le Net, s'enthousiasme Oussama El Khlifi. Cela va de 18 à 25 ans, et nous sommes présents dans toutes les régions du Maroc, à Agadir, Rabat, Tanger... » La Toile permet de rompre l'isolement et ouvre un espace de liberté laissé en déshérence par la presse et les médias, contrôlés par le pouvoir ou qui s'autocensurent par crainte de représailles économiques.
En 2008, Oussama El Khlifi passe son diplôme dans une école d'informatique privée de Rabat, et enchaîne des contrats à durée déterminée, parfois sans rapport avec sa formation. Mais les liens se sont tissés, un petit réseau s'est formé lorsque survient la révolution tunisienne qui provoque, chez Oussama et ses amis, un vrai déclic. Il est de toutes les initiatives pour soutenir les « frères » tunisiens, avec lesquels il noue des relations par l'Internet, comme avec les « frères » égyptiens. « On s'est dit que le temps du changement était venu », sourit le jeune homme. Avec une poignée de copains, il crée le premier groupe sur Facebook baptisé Mouvement pour la démocratie maintenant. En quatre ou cinq jours, 8 000 personnes s'inscrivent sur leur site. Deux autres groupes se créent sur le même modèle. Les trois finissent par fusionner pour donner naissance, le 3 février, au Mouvement du 20 février, selon la date, tout à fait arbitraire, choisie par les internautes pour organiser les manifestations. A la veille de ces premiers défilés, plus de 20 000 amis s'y sont inscrits.
Pour faire bon poids, une alliance a été nouée avec les jeunes islamistes d'Al Adl Wal Ihsane, (« justice et spiritualité »), le plus important mouvement islamiste du Maroc, non légal, mais toléré depuis sa création en 1973 par le cheikh Yassine. On prête à l'organisation, dont les membres ne reconnaissent pas le roi comme le Commandeur des croyants, une influence non négligeable, notamment parmi les étudiants. La propre fille du leader, Nadia Yassine, milite d'ailleurs pour l'abolition de la monarchie au Maroc et son remplacement par une République islamique, ce qui lui a valu d'être poursuivie en justice, mais son procès n'a pas eu lieu.
Sans aller jusqu'à organiser des comités communs, jeunes internautes et islamistes se sont entendus sur une plate-forme unique : mot d'ordre unifié sur le changement de Constitution, pas de dérapages, pas de slogans « xénophobes » (c'est-à-dire antijuifs), pas de cortèges séparés. Cette proximité avec les jeunes islamistes ne déplaît pas à Oussama El Khlifi. « Islamistes, gauchistes, nous sommes tous unis, oui, tous unis, pour un seul objectif, la démocratie, plaide-t-il. Nous ne sommes peut-être pas d'accord sur tout, mais nous sommes absolument d'accord pour manifester ensemble. »
La coopération a tout de même ses limites, et c'est entre soi que le noyau dur des initiateurs, jaloux de leur indépendance au point de ne pas supporter les commentaires d'un bloggeur connu et actif, accusé de tirer à lui la couverture des événements, se retrouvent habituellement dans à l'Association marocaine des droits de l'homme (AMDH). Ils n'en sont pas membres, mais tiennent leur réunion dans ses locaux, porte close, n'acceptant aucune intrusion, pas même celle de leurs hôtes. Les militants aguerris des droits de l'homme patientent à l'extérieur.
Ce soir du 20 février, c'est l'heure des comptes. Les jeunes mettent au point, entre eux, les termes d'un communiqué que deux d'entre eux, une fille et un garçon, se chargent de rédiger sur ordinateur. Une seconde réunion commence ensuite, mixte cette fois, qui associe militants associatifs et jeunes internautes. La discussion est vive, car beaucoup s'inquiètent des incidents rapportés dans plusieurs villes, Marrakech, Larache, Sefrou, et surtout Al-Hoceima, et attribués à des casseurs. Des magasins ont été détruits, des véhicules et quelques bâtiments incendiés.
Le jeune professeur de philosophie, Hakim Sikouk, prend la parole. « Un : le mouvement est une réussite, énumère-t-il. Deux, il continue. Trois, on salue les organisations qui nous ont soutenus. Quatre : on dénonce les actes de vandalisme, ceux qui les ont commis ne nous représentent absolument pas. Ce sont des pièges du Makhzen [les institutions marocaines]. » A ses côtés, doigt levé, Oussama El Khlifi, s'agace. Il défend les jeunes « qui ont les mêmes slogans [qu'eux] ». « Pour le reste, ajoute-t-il, ce n'est pas notre responsabilité », répète-t-il, à propos des incidents.
Une voix dans la salle ayant soulevé la question de la présence persistante de « 500 jeunes » restés sur le boulevard Mohammed-V, au centre de Rabat, en dépit de la consigne passée de rentrer chez soi, donnée par le mouvement afin d'éviter des débordements, il part afin de se rendre compte sur place et d'appeler à la « dispersion ». A contrecœur.   

Un fan de sa majesté bien aimée  menace de mort
Oussama El Khlifi


Dans un nouveau commentaire, anonyme bien sûr,  adressé à l’initiateur du mouvement du 20 février,  un petit soldat du makhzen ne se contrôle plus.

Il souhaite Oussama “ à mort ou en prison ” . Il s’“engage personnellement à retrouver Oussama El Khlifi et à tuer ce fils de pute” qu’il traite aussi de “petit pédé”
Dans un pays démocratique l’incitation à la haine et les menaces de mort sont gravement punies. Au Maroc ce sont les défenseurs  des droits de l’Homme qu’on met en prison.
Par la rédaction de SOLIDMAR

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