La révolution peut-elle s'exporter en Algérie et au Maroc ?
Par Jean-Pierre Tuquoi, Le Monde, 1/3/2011
Le vent de la révolution qui souffle sur le monde arabo-musulman va-t-il submerger l'Algérie et le Maroc ? Pour une partie de la presse, si révolte il doit y avoir elle touchera l'Algérie, le nouveau maillon faible du Maghreb. La monarchie marocaine, profondément ancrée dans l'histoire et incarnée par un roi "moderne", proche de ses sujets, serait moins vulnérable. Pour l'heure, dans les deux pays, la contestation est mesurée et les pouvoirs en place semblent indéboulonnables. En Algérie, les opposants au régime peinent à mobiliser les foules. Le dernier rassemblement dans le centre de la capitale n'a réuni que quelques centaines de personnes. Face à elles, les forces de sécurité étaient autrement plus nombreuses.
Le chef de l'Etat algérien, Abdelaziz Bouteflika, sûr de sa force, a fait publier un décret présidentiel, le 24 février, pour lever l'état d'urgence instauré, en 1992, lorsque le pays était à feu et à sang. Désormais, les manifestations seront autorisées - sauf à... Alger. Au Maroc, c'est la chute du président Ben Ali, en Tunisie, qui a mobilisé les jeunes, via les réseaux sociaux. Rejoint par des associations de défense des droits de l'homme, des formations de gauche et une frange de la mouvance islamo-conservatrice, le Mouvement du 20 février pour le changement a pourtant réussi son pari.
C'est par centaines de milliers (des dizaines, selon la police) que les Marocains ont défilé dans plus de cinquante villes du royaume pour réclamer une démocratisation du régime et l'instauration d'une monarchie constitutionnelle. Mais ni slogan ni pancarte pour réclamer le départ du roi Mohammed VI.
Entre les manifestants esseulés d'Alger et la foule bon enfant de Rabat se lisent deux histoires différentes. En Algérie, un seul parti politique s'est engagé dans le mouvement de contestation : le Rassemblement pour la culture et la démocratie (RCD) du docteur Saïd Sadi. Or ses effectifs sont maigres. La division qui règne parmi les responsables du mouvement de protestation n'arrange pas les choses. Ceux venus du syndicalisme et du monde associatif entendent s'appuyer sur la société civile et les forces sociales pour obtenir un changement de système. Avant de descendre dans la rue, ils veulent prendre le temps de construire une plate-forme de revendications. A l'inverse, ceux issus du monde politique sont pressés. Leur priorité est de s'inscrire dans le mouvement général de contestation qui secoue le monde arabe. Résultat, la Coordination qui les réunissait a volé en éclats.
Mais l'échec de la contestation en Algérie tient à une autre raison, plus profonde. Si les Algériens hésitent à braver l'interdiction de manifester contre un pouvoir qu'ils détestent dans leur majorité, c'est que le souvenir des violences des années 1990 demeure vivace. Quelque 200 000 Algériens - essentiellement des civils - ont péri durant la "sale guerre" entre forces de sécurité et "barbus". Rares sont les familles qui n'ont pas perdu un proche durant cette décennie. Mobiliser un peuple qui a enduré tant de souffrances n'est pas chose aisée.
Le Maroc n'a pas connu une telle tragédie et, depuis la disparition d'Hassan II, la peur de descendre dans la rue a disparu. Le pays offre-t-il pour autant l'image d'une "démocratie qui est en train de mûrir", comme l'a dit le porte-parole du gouvernement, Kalid Naciri, au lendemain des manifestations du 20 février ?
La réalité est moins flatteuse pour la monarchie. Les maux qui accablent la Tunisie, l'Egypte et les autres pays de la région sont aussi ceux du Maroc de Mohammed VI : une société de plus en plus inégalitaire, fermée aux jeunes en quête d'un emploi (fussent-ils diplômés de l'université), un pouvoir absolu concentré entre les mains du monarque et de son proche entourage, des partis politiques déconsidérés, des scrutins aux résultats dictés par le Palais royal, une justice aux ordres, une presse surveillée de près.
S'y ajoute la corruption qui gangrène le trône jusqu'à son sommet. Dans le télégramme d'un diplomate américain, révélé par le site WikiLeaks, un homme d'affaires confie que les "pratiques de corruption" se sont "institutionnalisées" avec l'avènement de Mohammed VI, en 1999 : "Dans quasiment tous les grands projets immobiliers du royaume", on retrouve "l'intérêt commercial du roi et d'une poignée de ses conseillers". Dans un autre "mémo " , un ancien ambassadeur américain, resté proche du Palais royal, déplore "l'effroyable rapacité de l'entourage du roi". Au lendemain de la marche du 20 février, le souverain, installant les nouveaux membres du Conseil économique et social, un organisme sans réel pouvoir, a vanté le "modèle singulier de démocratie et de développement" mis en place, par lui, au Maroc. "En installant le Conseil économique et social, a dit le souverain, nous donnons une forte impulsion à la dynamique réformatrice que nous avons enclenchée." Il y a fort à parier que les animateurs du Mouvement pour le changement ne l'entendent pas ainsi. Et pas seulement eux : déjà, deux formations politiques, dans la foulée des manifestations, ont commencé à plaider en faveur d'une réforme constitutionnelle. Pour Mohammed VI aussi, l'avenir s'annonce plein de dangers.
tuquoi@lemonde.fr
Jean-Pierre Tuquoi (Service International)
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