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samedi 2 octobre 2010

Maroc : un nouvel espace d’exercice de la liberté d’expression disparaît,

Victime d’un étouffement financier orchestré par le pouvoir, Nichane contraint de mettre la clé sous la porte
PAR REPORTERS SANS FRONTIERES, 1/10/2010
Reporters sans frontières a appris de sources sûres que l’hebdomadaire arabophone, Nichane, avait été contraint de mettre la clé sous la portes aujourd’hui, résultat d’un boycott publicitaire systématique et implacable des différents annonceurs du principal hebdomadaire arabophone du Royaume.
« Il est clair que depuis sa création en 2006 Nichane dérangeait avec sa ligne éditoriale souvent critique et son indépendance de ton. Avec la fermeture de ce journal, c’est un nouvel espace d’exercice de la liberté d’expression qui disparaît, comme tel avait été le cas suite à la fermeture du Journal hebdomadaire en janvier dernier. Le pouvoir a orchestré l’asphyxie financière de Nichane. Cette pratique est abjecte, alors même que le Maroc est en train de négocier avec le Conseil de l’Europe le statut de partenaire avancé pour la démocratie. Nous exhortons les instances européennes à soutenir de manière active la presse indépendante au Maroc », a déclaré Jean-François Julliard, secrétaire général de Reporters sans frontières.
Le boycott publicitaire a commencé après la censure, en août 2009, de la publication du sondage « Mohamed VI, 10 ans de règne », publié conjointement par Nichane, TelQuel et le quotidien Le Monde
(http://fr.rsf.org/maroc-saisie-de-deux-hebdomadaires-03-08-2009,34058.html).
Les premiers à censurer financièrement l’hebdomadaire : le holding royal ONA/NSI. Les autres annonceurs (étatiques, paraétatiques ou proches du pouvoir) suivront.
Créé en 2006, Nichane est la version arabophone de l’hebdomadaire TelQuel, également dirigé par Ahmed Benchemsi.
Reporters sans frontières rappelle que, depuis juillet 2009, la situation de la liberté de la presse au Maroc n’a cessé de se détériorer.
Le 1er août 2009, le ministère de l’Intérieur avait saisi le numéro de l’hebdomadaire indépendant TelQuel (et de sa version arabe, Nichane), suite à la publication d’un sondage sur le bilan des dix premières années du règne du roi Mohammed VI.
Le 15 octobre 2009, Driss Chahtane, du journal Al-Michaal, avait été condamné à un an de prison ferme pour un article sur la santé du roi. Les deux autres journalistes accusés dans cette même affaire, Rachid Mahamid et Mustapha Hayrane, avaient écopé de trois mois de prison ferme. Tous les trois devaient payer des dommages et intérêts de plusieurs milliers de dirhams. Incarcéré le soir même, Driss Chahtane, a été gracié le 11 juin dernier.
Le 26 octobre 2009, Ali Anouzla, directeur du quotidien Al-Jarida Al-Oula, avait été condamné à un an de prison avec sursis et à 10 000 dirhams d’amende (885 euros), pour “délit de publication, avec mauvaise intention, de fausses informations, d’allégations et de faits mensongers“, suite à la publication d’un article, le 27 août 2009, qui contredisait le bulletin de santé officiel du roi. La journaliste Bouchra Eddou, poursuivie pour complicité dans la même affaire, avait été condamnée à trois mois de prison avec sursis et à 5 000 dirhams (455 euros) d’amende.
Le directeur du journal marocain Akhbar Al Youm, Taoufik Bouachrine (g) et le caricaturiste Khalid Gueddar au tribunal de Casablanca, le 23 octobre.(Photo : Abdelhak Senna/AFP)Le journal Akhbar Al-Youm s’était attiré les foudres du Palais suite à la publication d’une caricature du cousin du roi, Moulay Ismaïl. Poursuivis pour “non-respect dû à un membre de la famille royale“, Taoufik Bouachrine et le caricaturiste Khalid Gueddar avaient été condamnés, en première instance, le 31 octobre 2009, à trois ans de prison avec sursis et à environ 270 000 euros de dommages et intérêts à verser solidairement au Prince. Le tribunal avait également prononcé “la fermeture définitive des locaux” du titre. (http://fr.rsf.org/maroc-taoufiq-bouachrine-et-khalid-31-10-2009,34877). Peine confirmée en appel le 29 décembre 2009. Le lendemain, le Prince avait renoncé à l’exécution du jugement en sa faveur
(http://fr.rsf.org/maroc-le-cousin-du-roi-abandonne-les-30-12-2009,35518.html). Le 10 juin 2010, Taoufik Bouachrine a été condamné à six mois de prison ferme pour « escroquerie » pour avoir acheté, il y a trois ans, une maison à Rabat. Le propriétaire, qui l’accuse de ne pas avoir respecté le montant des versements prévus au moment de la vente, a porté plainte en juin 2009. Un scénario à la tunisienne pour faire taire les voix qui dérangent…
Le 27 janvier 2010, les locaux du Journal hebdomadaire, à Casablanca, ont été placés sous scellés suite à une stratégie concertée de boycott publicitaire.
2010 a été marqué par les premiers emprisonnements de blogueurs au Maroc, ainsi que d’un propriétaire de cybercafé. El Bachir Hazzam, Abdullah Boukfou et Boubaker Al-Yadib ont été arrêtés pour avoir couvert des manifestations étudiantes du 1er décembre 2009 dans la ville de Taghjijte (200 km au sud d’Agadir). Ces manifestations avaient été violemment réprimées par les autorités locales.
Arabe et espagnol à suivre
Communiqué

Le boycott économique du Pouvoir
contraint Nichane, le premier magazine
arabophone marocain, à la fermeture
Par Ahmed Benchemsi, 1/1/2010

Le magazine Nichane, leader des hebdomadaires arabophones marocains, a été fermé aujourd’hui à l’issue d’une assemblée générale de ses actionnaires. Malgré son standard de qualité élevé et sa large diffusion qui auraient dû en faire, légitimement, un support publicitaire incontournable, Nichane était victime d’un boycott publicitaire persistant initié par le holding royal ONA/NSI, le plus important groupe économique du Maroc, avant d’être suivi par les grandes entreprises liées au régime. Ce boycott intensif causait des dommages économiques de plus en plus graves à Nichane. Après y avoir perdu 10 millions de dirhams (près de 900 000 euros, un des plus lourds investissements de la presse marocaine), le Groupe TelQuel, principal actionnaire de Nichane, s’est vu contraint de mettre un terme à cette hémorragie financière manifestement irréversible.
Dès sa création en 2006, Nichane, un magazine laïque et moderniste, s’est forgé une place à part dans le paysage médiatique marocain en bousculant de nombreux tabous. Ses cover-stories audacieuses (« Le culte de la personnalité royale », « Le sexe et l’homosexualité dans la culture islamique », « Le Maroc, premier producteur mondial de cannabis », « Au cœur des services secrets », « Comment les Marocains rient de l’islam, du sexe et de la monarchie », et bien d’autres…) ont souvent créé l’événement, au Maroc et au-delà. Grâce à l’excellence de ses journalistes, dont plusieurs ont été récompensés par des prix internationaux, Nichane est devenu, 2 ans à peine après sa création, l’hebdomadaire arabophone le plus vendu au Maroc – une position qu’il a conservée, les derniers contrôles de l’OJD Maroc  faisant foi.
Mais à cause de son indépendance, et de ses positions éditoriales souvent critiques à l’égard du pouvoir marocain, Nichane (tout comme TelQuel, magazine francophone appartenant au même groupe de presse) a fait l’objet, dès son lancement, d’un large boycott publicitaire. Ce mouvement s’est accéléré et généralisé à partir de septembre 2009 – ce qui coïncidait avec la censure par l’Etat marocain du sondage « Mohammed VI, 10 ans de règne », réalisé conjointement par Nichane, TelQuel et le journal français Le Monde.
S’il s’est étendu par la suite à de multiples grands annonceurs étatiques, paraétatiques et proches du pouvoir opérant dans les principaux secteurs de l’économie marocaine (banque, immobilier, téléphonie – dont une filiale du groupe français Vivendi – transport aérien, automobile, agro-alimentaire, etc.), ce mouvement de boycott, à l’origine, a été initié par le holding royal ONA/SNI. Même des annonces publicitaires citoyennes et d’intérêt public (Programme d’aide à la création d’entreprises du ministère de l’Emploi, programme intergouvernemental « Les Journées de la Terre », lancé par le roi Mohammed VI…) ont été interdites de passage sur les publications du Groupe TelQuel, par décision politique. Par conséquent, la responsabilité de la mort de Nichane incombe, en premier lieu, aux premiers cercles du pouvoir du royaume du Maroc.
Si Nichane n’a pas survécu à cet implacable boycott, TelQuel, qui y est également soumis, continue à résister. En effet, le marché publicitaire de la presse francophone au Maroc est large et diversifié. Celui de la presse arabophone, en revanche, est très restreint, et principalement regroupé autour des grands annonceurs proches du pouvoir. Sans leurs publicités, un magazine arabophone ne peut survivre. Entre septembre 2008, période durant laquelle le boycott avait été brièvement suspendu, et septembre 2010, période durant laquelle le boycott battait son plein, le chiffre d’affaires publicitaire de Nichane a ainsi chuté de 77%.
Pendant ses 4 années d’existence, Nichane a traversé de multiples épreuves : une interdiction de parution qui a duré 3 mois (et qui a occasionné des pertes financières considérables) ; un procès d’opinion qui s’est soldé par 3 ans de prison avec sursis pour son ancien directeur et une de ses journalistes ; trois saisies, dont deux suivies de destructions illégales de 100 000 exemplaires (source, encore une fois, de lourdes pertes financières) ; un procès pour « atteinte à la sacralité royale » de son directeur de publication, toujours en suspens à ce jour… L’étouffement financier par le biais du boycott publicitaire a été le coup de grâce, qui a finalement contraint Nichane à la fermeture.
La disparition de Nichane n’est que le dernier épisode de la grave détérioration de la liberté de la presse au Maroc. A partir de 2009, la lutte déterminée de l’Etat contre les journaux indépendants a connu une accélération remarquée, dénoncée par de multiples ONG de défense de la liberté de la presse, dont Reporters Sans Frontières. Des journaux ont été fermés illégalement par les autorités, d’autres ont été acculés à vendre leur mobilier pour payer des amendes disproportionnées. Plusieurs journalistes ont été harcelés par la police et la justice, certains ont été contraints à l’exil. Un journaliste a même été emprisonné pendant 7 mois, courant 2010. Vivace au Maroc jusqu’au milieu des années 2000 (malgré des signaux alarmants enregistrés dès le début de la décennie), la pluralité de la presse marocaine ne tient plus aujourd’hui qu’à un fil, de plus en plus ténu. Les journaux indépendants se comptent désormais sur les doigts d’une main, et ils subissent des pressions grandissantes, politiques autant qu’économiques, visant à restreindre leur liberté de parole et d’action. Pendant quelque temps, le Maroc était pourtant considéré comme un îlot régional d’ouverture et de tolérance d’une certaine liberté de la presse. Ce temps semble révolu, et cette parenthèse appelée, à court terme, à se refermer définitivement. Les autorités marocaines semblent désormais déterminées à suivre le modèle de la Tunisie, où ne sont tolérés que des journaux qui servent les intérêts du pouvoir.   
Au moment où Nichane est contraint de fermer, il faut rendre hommage à toutes celles et ceux qui l’ont porté à bout de bras depuis sa création : ses lecteurs, avant tout, qui n’ont jamais cessé de plébisciter sa ligne éditoriale avant-gardiste, et bien entendu ses talentueux journalistes, photographes et illustrateurs, graphistes, techniciens et staff administratif. Il faut également féliciter la régie publicitaire de Nichane, dont les cadres ont travaillé pendant des années avec courage, dans des conditions difficiles. Il faut enfin saluer la sagesse de ces quelques annonceurs qui, en maintenant leur présence dans le magazine à succès qu’était Nichane, ont privilégié la rationalité économique sur les calculs politiques. Grâce à la passion et à l’engagement de tous ceux qui l’ont fait, Nichane aura été une aventure exceptionnelle, qui laissera une trace vivace dans l’histoire de la presse marocaine.
Groupe TelQuel, le 1er octobre 2010 à Casablanca (Maroc)
ar.benchemsi@gmail.com

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