INTERVIEW. Said Essoulami, directeur du Centre pour le respect de la liberté d’expression dans le monde arabo-musulman (CMF MENA) et membre de la Task Force de la Commission Européenne « Euromed Médias », s’exprime sur la dimension du statut avancé entre l'Union européenne (UE) et le Maroc en matière de liberté d’expression et liberté de presse.
Said Essoulami, Directeur du CMF MENA - Yabiladi : Quel regard portez-vous sur l'environnement dédié à l'exercice du métier du journaliste au Maroc ?
- Saïd Essoulami : L’environnement actuel est difficile pour beaucoup de médias au niveau financier. Les recettes publicitaires et les ventes sont en baisse et beaucoup de journaux, surtout les hebdomadaires, ont des dettes auprès des imprimeurs et/ ou ne peuvent plus payer les salaires des journalistes. Au niveau juridique, rien n’a changé depuis 2002. La réforme du code la presse relancé en 2007 a été bloquée pour cause d’insistance du gouvernement de maintenir des peines d’emprisonnement. Le droit d’accès à l’information n’est pas garanti ni le droit de protéger le secret des sources des journalistes. Sur le plan éthique et de la solidarité entre journalistes, l’environnement est très malsain. Des journaux « échangent » des insultes et des accusations, régulièrement. Ce qui manque, me semble-t-il, c’est un leadership moral dans la communauté des journalistes.
- Cet été, un dirigeant d'un titre de presse arabophone a fait l'objet d'une convocation policière et a été pressé de révéler l'identité des sources. Qu'en pensez-vous ?
- Selon les dires des journalistes du quotidien Assabah, aucun d’entre eux n’a révélé la source de l’information. La police a sûrement utilisé d’autres moyens pour arriver à la source. Le problème, c’est la manière dont les journalistes ont été interrogés, il faut savoir que leurs téléphones portables et emails ont été fouillés. La décision prise par le ministre de Justice de suspendre les deux juges soupçonnés d’avoir divulgué l’information a été contestée par de nombreuses organisations de la société civile ainsi que par des avocats. Trois sujets majeurs ont été débattus autour de cette affaire : le droit des citoyens d’accès à l’information, la protection des sources et le fait que le Conseil supérieur de la magistrature n’a pas, dans son règlement interne, de clauses qui imposent à ses membres le secret professionnel et donc le devoir du silence.
- Au moment où l'État a initié une série de débats sur le thème « Médias et société » dans la perspective, entre autres, d'un nouveau code de la presse, n'est-il pas opportun de se pencher sur un cadre juridique à donner pour garantir la protection du secret des sources ?
- Le Maroc fait parti des pays qui n’ont pas de loi sur la protection du secret des sources des journalistes. La communauté des journalistes revendique cette protection depuis 1994, mais le législateur n’a pas jugé nécessaire de l’introduire dans le code de la presse. Depuis cette date, de nombreux journalistes ont été obligés, sous la pression, de révéler leurs sources d’information. Des fonctionnaires et des militaires ont été condamnés à des peines de prison pour avoir diffusé l’information sans autorisation préalable. Des journalistes ont été mis en prison pour avoir publié des informations classées « confidentielles » ou « secrètes ». Nous attendons les propositions du coordinateur du débat national sur « Médias et société » pour voir si la protection du secret des sources va être inclue dans les propositions de réformes du cadre juridique qui encadre la presse marocaine.
- Que faut-il attendre du statut avancé Maroc/ UE en matière de liberté d’expression ? Le Maroc doit-il aligner son cadre réglementaire à celui des Etats membres de l’UE ?
- Le document sur le statut avancé, signé conjointement par le Maroc et l’EU, invite le Maroc à adhérer graduellement aux conventions du Conseil de l’Europe en matière de protection des droits fondamentaux, ouvert à la participation des pays non membres du Conseil de l’Europe. J’ai eu aussi l’occasion d’entendre l’Ambassadeur de la délégation européenne à Rabat, Eneko Landaburu, dire que l’UE offre au Maroc des centaines de lois et conventions pour les adapter à son propre contexte. Il y a donc de la part de l’UE, une volonté de soutenir le Maroc dans la mise à niveau de sa législation, en particulier sur les droits humains. Mais, l’UE reste préoccupée par l’état de la liberté d’expression et de la presse au Maroc et de la lenteur de la réforme de la justice. Si l’Europe est là pour soutenir la liberté de la presse et de faire de cette liberté un indicateur important de l’avancement des relations bilatérales avec le Maroc, on ne peut que s’en féliciter. Car, nos gouvernants ont l’air de négliger cette dimension, pensant que cette liberté doit obéir aux limites tracées par la loi et que les médias doivent soutenir les grands chantiers du pays et cesser de créer la «pagaille» dans l’opinion publique. La conférence internationale qu’a organisé la Commission européenne à Rabat, les 27 et 28 septembre 2010 sur la presse au Maroc, démontre l’intérêt majeur de l’UE sur ce dossier chaud. Il sera intéressant de savoir comment les autorités vont réagir aux recommandations de cette conférence qui seront débattues au sein du prochain comité Maroc-UE des droits de l’homme, prévu dans le courant du mois d’octobre.
Rachid Hallaouy
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