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dimanche 7 décembre 2014

Maroc : « Un autoritarisme négocié », selon Mohammed Mouaqit

Maroc : « Un autoritarisme négocié », selon Mohammed Mouaqit [Interview]Par Julie Chaudier, 30/11/2014

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Dans le cadre du Forum mondial des droits de l’homme qui s’est tenu à Marrakech du 27 au 30 novembre 2014, tout a été dit du Maroc de l’apologie jusqu’au pilori. Yabiladi a décidé de prendre un peu de recul avec l’enseignant chercheur à l’Université de sciences juridiques Hassan II de Casablanca, Mohammed Mouaqit. Il nous explique comment s’est négocié l’état actuel des droits de l’homme au Maroc.

Yabiladi : Comment interpréter l’organisation du Forum mondial des droits de l’homme par le Maroc, cette année ?
Mohammed Mouaqit : Le pouvoir sait quels sont les risques qu’il prend en organisant un tel forum. Il doit affronter tous ceux qui vont l’accuser d’être mal placé pour parler des droits de l’homme. En même temps, il tient à lustrer son image de pays en voie de démocratisation. Dans le contexte régional, alors que l’Algérie l’accuse de ne pas respecter les droits de l’homme sur la question du Sahara, il entend signifier qu’il peut se permettre de s’exposer car sur cette question il ne craint rien. Sur ce plan, c’est courageux de la part du pouvoir de se mettre ainsi sous les feux de la rampe.

Ne faut-il voir, dans l’organisation de ce forum, comme dans les réformes établissant des droits, que l’hypocrisie d’un pays qui veut améliorer son image sur la scène internationale ?
Peut-être le pouvoir n’a-t-il pas véritablement l’intention de rompre définitivement avec ses pratiques autoritaires, mais tout ne se réduit pas à son intention. Je pense que la semblance crée une contrainte de vraisemblance. C’est-à-dire que le pouvoir peut faire semblant de respecter les droits de l’homme, il peut le faire pour l’image qu’il veut renvoyer sur la scène internationale, mais lorsqu’il fait cela il se met lui-même dans la contrainte d’y donner crédit par ses actes. S’il ne le fait pas, ça va se voir ! Ce sera trop évident ! Il pourra aisément être mis en difficulté. Donc, il doit agir effectivement, concrètement dans le sens de l’image qu’il veut donner de lui pour qu’elle soit vraisemblable.
Le mouvement interne des droits de l’homme et le contexte international poussent le pouvoir à passer de ces engagements abstraits aux actes. Ce passage dépend de ces acteurs à contraindre le pouvoir au respect des droits humains; du rapport de force qui s’établit à ce moment-là avec le pouvoir.

Qui sont les membres de ce mouvement interne des droits de l’homme qui établissent un rapport de force avec le pouvoir ?
L’histoire contemporaine du Maroc est une succession d’essais pour sortir de l’autoritarisme et de l’absolutisme makhzénien sous la pression du mouvement national, des syndicats, des partis politiques. Mais le pouvoir est parvenu à neutraliser ces anciens acteurs en les intégrant au jeu politique. Il a réussi à réduire leur capacité à exercer une contrainte sur lui.


Un exemple frappant date de 2011. Lors de la préparation de la nouvelle constitution, l’USFP proposait que le gouvernement soit responsable devant le parlement et le roi. Le roi était finalement plus ambitieux puisque il a accepté que la nouvelle constitution ne rende le gouvernement responsable que devant le parlement.
Aujourd’hui, la société civile, les acteurs associatifs parviennent à exprimer des exigences plus substantielles. Le Mouvement du 20 février a fait ressurgir l’idée de la monarchie parlementaire qui était celle du mouvement national. Le mouvement associatif prend ainsi le relai des partis politiques.

Comment s’établit le rapport de force entre ces nouveaux acteurs et le pouvoir ?
Je ne suis pas un adepte du paradigme de la « transitologie » qui veut que le Maroc ait abordé un processus de transition d’un pouvoir autoritaire vers la démocratie. Cela impliquerait que l’idée de démocratie serait ferme au cœur du pouvoir en place et je ne pense pas que ce soit le cas. Je préfère l’idée « d’autoritarisme négocié » : le pouvoir en fonction des contraintes se met en position de négocier son autorité. Cette négociation dépend du rapport de force qui s’établit avec les acteurs qui lui font face. La monarchie évolue sous la contrainte de ces acteurs [partis politiques, hier, acteurs associatifs, aujourd’hui, ndlr].
La DIDH et le CNDH, comme toutes les réformes allant vers plus de droits, sont le résultat de la contrainte interne et internationale en faveur des droits de l’homme qui s’est exercée sur le pouvoir. Même si on les accuse de n’être qu’une façade, ils sont le produit de ce rapport de force là.
Cependant, le pouvoir continue son jeu politique en essayant d’intégrer les acteurs qui défendent les droits de l’homme au système à la fois pour élargir son assise et pour affaiblir le pouvoir de contrainte qu’ils exercent sur lui. Le CNDH en est un exemple. [Driss El Yazami a longtemps  été un grand opposant au régime au point de devoir s’exiler en France avant d’être nommé en 2011 par le roi président du CNDH, ndlr] 

Dans ce contexte, comment comprendre que les wilayas – donc le ministère de l’Intérieur et plus largement le Makhzen – interdisent les manifestations de l’AMDH et qu’en même temps le CNDH l’invite au Forum mondial des droits de l’homme ?
Il s’agit d’un « jeu » ambivalent qui met aux prises un pouvoir politique et des acteurs associatifs ancrés tous deux dans leurs habitudes anciennes : l’autoritarisme pour le pouvoir et une opposition frontale pour les acteurs associatifs issus des anciens mouvements d’extrême gauche.
On peut estimer que l’invitation faite à l’AMDH de s’exprimer librement pendant le Forum après avoir pourtant interdits plusieurs de ses actions était une manière de lui faire assumer la responsabilité de son absence. Le pouvoir a pu anticiper sur la possibilité qu’elle décide, dans ces conditions, de boycotter le forum.
On parle souvent de lignes rouges au Maroc, sont-elles intactes ?
Il existe clairement une volonté du pouvoir de maintenir des lignes rouges, mais ce qui en relève et n’en relève pas est désormais négocié. Dans l’histoire récente du pays, ces lignes ont ainsi beaucoup bougé. Pensez que le pouvoir a dû supprimer le centre de Temara pour répondre aux accusations faisant état d’un centre de torture, ce qui était inenvisageable auparavant. A une époque, il était impossible de parler de laïcité, aujourd’hui elle appartient au débat public et dans la constitution la position théorique de Commandeur des croyants et celle de chef de l’Etat sont distinguées comme deux choses indépendantes. En ce moment, le message du ministère de l’Intérieur [à l’AMDH] est clair : la question Sahara reste une ligne rouge.

http://monasso.ma/112561-maroc-un-autoritarisme-negocie-selon-mohammed-mouaqit-interview

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