Par Olivier Quarante
Le mouvement populaire de Gdeim Izik marquera l’histoire de la
contestation des sahraouis contre l’occupant marocain. Il y a tout juste
trois ans, deux français étaient sur place. Lise Trégloze, 32 ans et
Anthony Jean, 30 ans, ont fait pendant une dizaine de jours plusieurs
aller-retour clandestinement entre la ville de El Aaiun et le
campement. Pour Nouvellesdusahara.fr, Lise Trégloze revient sur ce
« printemps sahraoui ».
Nouvellesdusahara.fr : Le camp de protestation de
Gdeim Izik a débuté le 15 octobre. Quand êtes-vous arrivé sur ce lieu et
pourquoi ? Vous ne connaissiez pas particulièrement le conflit du
Sahara occidental…
Lise Trégloze : Je connaissais Ennaâma Asfari (NDLR -un militant reconnu de la cause sahraouie qui a pris part au mouvement de Gdeim Izik)
car je réside comme lui à Ivry-sur-Seine et je le croisais dans les
activités associatives et militantes. Je ne connaissais pas le conflit
du Sahara Occidental, mais je savais qu’il s’y passait « quelque chose »
dont on ne parlait pas. Comme je traversais ce territoire pour me
rendre au Sénégal, je comptais bien m’y arrêter pour tenter de
comprendre ce qu’il s’y passait et d’interviewer des militants
défenseurs des droits humains dans le cadre d’un reportage sur les
mouvements sociaux que je réalisais à l’époque avec Anthony. Nous avions
rendez-vous avec Ennaâma à El Aaiun le samedi 23 octobre. Quelle ne fut
pas notre surprise quand il nous emmena directement vers le campement
de Gdeim Izik…
Nouvellesdusahara.fr : Quelles ont été vos premières
impressions au milieu de ce véritable village de tentes, qui a
compté près de 7000 tentes traditionnelles et 20000 personnes au plus
fort du mouvement ?
Lise Trégloze : Nous étions impressionnés ! Nous
avions tous les deux beaucoup voyagé et vécu plusieurs expériences
incroyables mais celle-ci dépassait tout ! Je n’avais jamais vu de camp
de réfugiés et celui-ci y ressemblait beaucoup, mais sans le côté triste
et déprimant. Au contraire, une fois les barrages policiers et
militaires passés, nous entrions dans un grand village où tout le monde
circulait librement, saluait son voisin dans la joie, échangeait des
discussions sans peur d’être écoutés, bref un grand sentiment de liberté
alors que depuis notre départ, plus de deux mois auparavant, nous
étions dans une pression permanente à cause de notre reportage sur les
mouvements sociaux au Maroc (tout le temps suivis, sur écoute…).
Nous étions au cœur de la culture sahraouie, entourés de khaima, les
tentes traditionnelles. On nous invitait à boire le thé tous les dix
mètres, tout le monde était heureux mais en même temps prudent. On
sentait à la fois une grande organisation et une inquiétude concernant
l’armée marocaine qui encerclait le campement.
D’ailleurs, à notre arrivée, l’armée venait d’achever la construction
d’un mur qui entourait le campement. Nous avions dû nous cacher pour
rentrer. Une fois dedans, nous ne voulions plus ressortir tellement nous
avions à découvrir !
Nouvellesdusahara.fr : Quels aspects de cette vie au
milieu du désert retenez-vous, dans ces conditions matérielles
précaires et, rapidement, dans un contexte sécuritaire particulier, avec
un encerclement policier et militaire ?
Lise Trégloze : C’est vrai que les conditions de vie
étaient difficiles dans le campement et l’armée marocaine faisait tout
pour la rendre impossible : le mur qui encerclait le campement empêchait
son développement et allait tôt ou tard poser un problème sanitaire à
cause des déchets. L’armée bloqua quelques jours après notre arrivée
l’entrée de nouvelles tentes et de matériel pour la construction de
sanitaires. La survie des personnes dans le campement dépendait des
aller-retours avec El Aaiun pour l’approvisionnement en eau, gaz (pour
les repas et le thé), nourriture. Il n’y avait qu’un puits avec de l’eau
sale et le comité d’organisation avait imposé une restriction d’eau
pour chaque famille. Mais tout était bien organisé. Chacun allait manger
chez son voisin. Il y avait même un « magasin gratuit » où la
nourriture en trop était déposée pour qui en avait besoin.
Concernant l’aspect sécuritaire, à l’époque et surtout avant la première victime, le sentiment général était bien sûr à la prudence mais personne n’imaginait que l’armée marocaine irait jusqu’à attaquer le campement et ses habitants. La suite nous prouva que ce fut ce qui arriva…
Concernant l’aspect sécuritaire, à l’époque et surtout avant la première victime, le sentiment général était bien sûr à la prudence mais personne n’imaginait que l’armée marocaine irait jusqu’à attaquer le campement et ses habitants. La suite nous prouva que ce fut ce qui arriva…
Nouvellesdusahara.fr : Avec votre ami Anthony, vous
avez voulu témoigner de ce qu’il se passait devant vous. Vous avez filmé
et réalisé plusieurs interviews. Vous avez contacté des média
(certaines de vos images seront d’ailleurs diffusées à la télévision et
votre témoignage sera repris également). Avec le recul, que pensez-vous
de la médiatisation de Gdeim Izik, sachant que le territoire était tout à
fait sous embargo médiatique ?
Lise Trégloze : Bien sûr pour nous qui étions à
l’intérieur et après avoir mieux compris l’histoire du peuple sahraoui
et ce que représentait cette mobilisation, nous nous attendions
naïvement que ce soit sur toutes les TV. Or, ce ne fut absolument pas le
cas. Le relais médiatique a été médiocre, par exemple en France. On en a
plus parlé en Espagne et aux Canaries. Ce sont ces médias qui nous
sollicitaient le plus pour des images, ainsi que l’Algérie.
Nous avons été très déçus des médias français, mais nous avons pris
conscience de l’embargo médiatique bien plus tard, de retour en France.
Donc, je ne sais pas finalement quel niveau d’info ont reçu les
Français. Nos amis marocains nous faisaient état de la propagande
odieuse qui circulait dans les médias marocains, surtout après le
démantèlement : comme quoi l’armée marocaine aurait sauvé de pauvres
Sahraouis pris en otage par les terroristes du Polisario… Nous qui
étions dedans, nous avons mieux compris ce que voulait dire
« désinformation et propagande » !
En même temps, à la même époque, deux millions de Bengali subissaient des inondations affreuses, alors comment juger la priorité de l’information ?
Quelques mois plus tard commençait le printemps arabe et là, la presse française a été beaucoup plus réactive. Je pense que c’est aussi une question politique. Mais qui sait comment Gdeim Izik aurait été médiatisé s’il était survenu entre la chute du dictateur tunisien et le dictateur égyptien ? (A lire l’article sur « Le Printemps arabe a commencé au Sahara occidental », publié sur Nouvellesdusahara.fr le 6 avril 2012)
Un élément nouveau cependant est apparu pendant le printemps arabe : la presse accordait plus de crédit à l’information populaire, c’est-à-dire aux informations envoyées via les réseaux sociaux et les militants, car ils n’avaient pas vraiment accès sur place. Peut-être que l’info que nous avons envoyée comme citoyens lambda à cette époque n’a pas eu la même valeur que si des journalistes avaient été sur place. D’ailleurs, nous avions décidé de partir à l’arrivée des médias internationaux, ce que nous avons fait après avoir rencontré des journalistes de El Pais et de RFI. Nous avons été très déçus par le reportage de RFI.
En même temps, à la même époque, deux millions de Bengali subissaient des inondations affreuses, alors comment juger la priorité de l’information ?
Quelques mois plus tard commençait le printemps arabe et là, la presse française a été beaucoup plus réactive. Je pense que c’est aussi une question politique. Mais qui sait comment Gdeim Izik aurait été médiatisé s’il était survenu entre la chute du dictateur tunisien et le dictateur égyptien ? (A lire l’article sur « Le Printemps arabe a commencé au Sahara occidental », publié sur Nouvellesdusahara.fr le 6 avril 2012)
Un élément nouveau cependant est apparu pendant le printemps arabe : la presse accordait plus de crédit à l’information populaire, c’est-à-dire aux informations envoyées via les réseaux sociaux et les militants, car ils n’avaient pas vraiment accès sur place. Peut-être que l’info que nous avons envoyée comme citoyens lambda à cette époque n’a pas eu la même valeur que si des journalistes avaient été sur place. D’ailleurs, nous avions décidé de partir à l’arrivée des médias internationaux, ce que nous avons fait après avoir rencontré des journalistes de El Pais et de RFI. Nous avons été très déçus par le reportage de RFI.
Nouvellesdusahara.fr : Concrètement, comment vous
organisiez-vous étant donné que les forces de l’ordre cherchaient à
filtrer les allers et venues dans le camp et qu’elles ont cherché à
l’asphyxier ?
Lise Trégloze : La première fois, nous étions juste
« déguisés » en sahraoui, moi avec la melafa (NDLR -tenue féminine
traditionnelle) et un gamin dans les bras et Anthony avec le boubou, au
fond d’une jeep. Notre matériel photo et vidéo voyageait séparément et
de nuit, caché dans le moteur d’une camionnette. Ensuite, ce fut plus
compliqué. La surveillance se renforçait, on devait voyager la nuit en
passant par le désert pour ne pas passer les deux premiers contrôles.
Celui à l’entrée du campement était obligatoire. Une fois, on nous a
demandés de descendre et je ne sais pas comment les Sahraouis ont réussi
à tromper la vigilance des militaires pour nous faire monter en
cachette dans un autre véhicule déjà contrôlé. Ils étaient très doués.
Une autre fois, Anthony s’est fait remarquer et il a joué au touriste perdu qui cherchait un camping ! Il s’est fait renvoyer à El Aaiun.
Les militaires Marocains savaient que des étrangers avaient réussi à rentrer dans le campement. Ils demandaient donc à tout le monde de se découvrir et parlaient en arabe pour trouver les étrangers.
La dernière fois, nous avons voyagé sous des tas de sacs et de couvertures. On ne pouvait plus respirer. Surtout lors du contrôle, on en pouvait plus, on était écrasés sous les sacs et ils avaient posé des enfants sur nous ! Mais on est passés.
Une autre fois, Anthony s’est fait remarquer et il a joué au touriste perdu qui cherchait un camping ! Il s’est fait renvoyer à El Aaiun.
Les militaires Marocains savaient que des étrangers avaient réussi à rentrer dans le campement. Ils demandaient donc à tout le monde de se découvrir et parlaient en arabe pour trouver les étrangers.
La dernière fois, nous avons voyagé sous des tas de sacs et de couvertures. On ne pouvait plus respirer. Surtout lors du contrôle, on en pouvait plus, on était écrasés sous les sacs et ils avaient posé des enfants sur nous ! Mais on est passés.
Nouvellesdusahara.fr : Jusqu’à quand vous êtes-vous rendu dans le camp ? Qu’est-ce qui vous décide avec votre ami à ne plus y retourner ?
Lise Trégloze : On est allés trois fois dans le
campement, la première le 23 octobre et la dernière le dimanche 31
octobre. Notre visa pour la Mauritanie finissait bientôt et on voulait
visiter les autres villes du Sahara Occidental pour rencontrer d’autres
militants qui essayaient de monter d’autres campements. On avait
beaucoup d’images sur le campement, suffisamment pour en parler. On
voulait aussi les mettre à l’abri.
A l’époque, on ne pouvait pas imaginer que quelques jours après, le campement serait détruit. On était persuadé soit que le campement permettrait au référendum de s’organiser, soit qu’il resterait pérenne, comme ceux de Tindouf (NDLR -en Algérie, où vivent environ 150 000 Sahraouis réfugiés ; lire à ce sujet ce reportage sur les camps de réfugiés), et donc qu’on y repasserait plus tard. Quelle naïveté !!!
A l’époque, on ne pouvait pas imaginer que quelques jours après, le campement serait détruit. On était persuadé soit que le campement permettrait au référendum de s’organiser, soit qu’il resterait pérenne, comme ceux de Tindouf (NDLR -en Algérie, où vivent environ 150 000 Sahraouis réfugiés ; lire à ce sujet ce reportage sur les camps de réfugiés), et donc qu’on y repasserait plus tard. Quelle naïveté !!!
Nouvellesdusahara.fr : Les média marocains ont
cherché à discréditer le mouvement de protestation. Ils reprenaient dans
leur ensemble la propagande servie par le pouvoir. Notamment, ils
expliquaient que le camp était tenu par des délinquants, que les
personnes qui étaient à l’intérieur étaient retenues par les chefs de
file… Cette version correspond-elle à ce que vous avez vu sur place ?
Lise Trégloze : Bien sûr que non. On a entendu tout
et n’importe quoi sur ce campement. Nous, on sait ce qu’on y a vu : un
peuple opprimé qui résiste pacifiquement, une mobilisation populaire
exemplaire du type de celles qui seront célébrées partout quelques mois
plus tard avec le printemps arabe.
Nouvellesdusahara.fr : Avant le démantèlement le 8
novembre 2010, un jeune sahraoui est tué au niveau d’un barrage
policier. Étiez-vous sur place à ce moment-là, qu’avez-vous vu ou pu
recueillir comme témoignages sur ce décès ?
Lise Trégloze : Oui, le dimanche 24 octobre, le
lendemain de notre entrée dans le campement, on buvait le thé
tranquillement quand on a entendu l’hélicoptère et les coups de feu. On
s’est précipité sur le lieu et on a filmé l’hélico puis l’ambulance.
Personne ne savait ce qu’il s’était passé jusqu’à ce qu’on apprenne la
vérité par la famille du jeune Nayem. Les Sahraouis ont la culture du
martyr ; Nayem était la première victime. Un enfant, c’est devenu un
symbole. C’était aussi une violation claire du cessez le feu. Les
Sahraouis étaient habitués, quoique choqués bien sûr. Nous, on a
complètement halluciné et on a pris conscience de l’enjeu du campement,
de la situation dramatique des Sahraouis. Ça a été très dur.
Heureusement, Ennaâma (NDLR -Asfari) était là pour tout nous expliquer,
pour nous rassurer. On était révoltés. On voulait que ça se sache et
c’est ce qui a déclenché nos premiers reportages (Voir notamment cette interview de Enaâma Asfari sur les revendications de Gdeim Izik, en
particulier de 1 mn 30 à 4 mn 40). D’ailleurs, c’est à partir du moment
où il y a eu un mort que les grands médias ont commencé à s'intéresser au
sujet, c’est désolant.
Nouvellesdusahara.fr : Les jours que vous passez
dans le camp, vous suivez Ennaâma Asfari, qui avait alors déjà séjourné
plusieurs fois dans les prisons marocaines. Ce militant est un des
Sahraouis qui fait partie du groupe chargé d’organiser la vie dans le
camp. La veille du démantèlement par les forces de police et l’armée, il
est arrêté chez un ami à El Aaiun alors qu’il s’apprête à accueillir
plusieurs Français (dont le député Jean-Paul lecoq qui sera refoulé à
son arrivée a Casablanca).
Il
est depuis le 7 novembre 2010 incarcéré et a été condamné en février
2013, avec 23 autres sahraouis, à une très lourde peine par le tribunal
militaire de Rabat. Lui est condamné à 30 ans, d’autres ont écopé de la perpétuité.
Donnez-nous votre sentiment, notamment sur les chefs d’accusation présentes contre ce militant des droits de l’homme…
Lise Trégloze : Ennaâma est un grand homme. Je suis
tellement fière de l’avoir connu et d’avoir passé tout ces moments
privilégiés sous la khaima à l’entendre raconter l’histoire du peuple
sahraoui. Ennaâma est profondément pacifique, intellectuel, cultivé,
humaniste. C’est un grand militant et je l’admire beaucoup.
Nous avons été très très choqués de son arrestation, vraiment traumatisés. Je revois tous les derniers instants, quand il disait le dernier jour sur le ton de la rigolade : « Maintenant que j’ai vu Gdeim Izik, je veux bien passer le reste de ma vie en prison ». Nous étions loin d’imaginer la suite mais lui semblait déjà s’y préparer. Je n’arrive pas à me résoudre à le savoir en prison. Je connais bien sa femme à Ivry qui est aussi une grande militante que j’admire beaucoup. Alors, je travaille avec des amis d’une société de production sur un film sur Ennaâma et les prisonniers politiques, en espérant que cela aide à sa libération.
Ennaâma est accusé d’un crime qu’il n’a pas commis : le meurtre d’un policier le lendemain de son arrestation, c’est totalement injuste. Il est accusé de participation à une bande criminelle organisée : un campement pacifique fait de familles modestes !!! Le sentiment d’injustice est quelque chose de très fort, je le ressens très durement avec le cas de Naama. J’attends avec impatience sa libération.
Nous avons été très très choqués de son arrestation, vraiment traumatisés. Je revois tous les derniers instants, quand il disait le dernier jour sur le ton de la rigolade : « Maintenant que j’ai vu Gdeim Izik, je veux bien passer le reste de ma vie en prison ». Nous étions loin d’imaginer la suite mais lui semblait déjà s’y préparer. Je n’arrive pas à me résoudre à le savoir en prison. Je connais bien sa femme à Ivry qui est aussi une grande militante que j’admire beaucoup. Alors, je travaille avec des amis d’une société de production sur un film sur Ennaâma et les prisonniers politiques, en espérant que cela aide à sa libération.
Ennaâma est accusé d’un crime qu’il n’a pas commis : le meurtre d’un policier le lendemain de son arrestation, c’est totalement injuste. Il est accusé de participation à une bande criminelle organisée : un campement pacifique fait de familles modestes !!! Le sentiment d’injustice est quelque chose de très fort, je le ressens très durement avec le cas de Naama. J’attends avec impatience sa libération.
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