Par Salah Elayoubi, 2/5/2012
La clôture de sécurité à la frontière maroco-espagnole de Melilla
Au passage, Martial désigne son avant-bras gauche, brisé à deux reprises par les militaires marocains et mal ressoudé. Il raconte leur dernier franchissement de la frontière espagnole à Melilla. Âmes sensibles s’abstenir ! Aux antipodes du chocolat, comme il dit: un dispositif diaboliquement efficace avec ses projecteurs, ses caméras, ses trois clôtures de trois mètres de hauteur, truffée d’obstacles anti-escalade, sous formes de barbelés ou de fers plats coupants, disposés en V, séparées les unes des autres par une rangée de barbelés affûtés comme des rasoirs.
A dix, sans doute galvanisés par le nombre, par l’espoir, le narrateur et ses camarades franchissent, tout de même, la barrière. Au camp militaire espagnol, les sentinelles leur promettent tout ce à quoi les lois internationales, paraphées par l’Espagne, leur donnent droit: camp de réfugiés, médecin, repas chauds, repos et réconfort. A l’arrivée ils ont la Guardia civile et sa brutalité proverbiale, légendaire. Une toute autre image que celles distillées par les télévisions espagnoles, pour se donner bonne conscience, aux yeux du monde civilisé.
- « Un autre supplice commence » commente Martial en guise de préambule. Il évoque les gants enfilés par les policiers :
- « Ils ont porté des gants. Ils sont trop racistes. Ils ne nous touchent pas avec les mains ! » La descente au sous-sol rime avec celle de l’enfer. Avec ses poings, l’africain mime quelques coups assénés façon punching-ball.
- « Ils se sont mis à s’entraîner sur nous, militairement ! » Repus de sévices, les bourreaux raccompagnent leurs victimes. Direction le Maroc. Même humiliés, battus, blessés, éclopés, les dix compagnons, sont refoulés. Moins que des humains, tout juste un peu plus que des animaux.
- « Par la petite porte, pas la guérite centrale » dit Martial. A la frontière les Marocains effrayés par l’état des africains refusent purement et simplement le refoulement. Conciliabules en arabe, négociations financières. « Business », un terme récurrent chez les autorités, diront de tout cela, plus tard, les Africains, comme un seul homme !
- « L’argent traverse la grille pour venir du côté marocain ! » Une misérable poignée d’euros aura suffi à acheter la compromission et la complicité des militaires marocains de recel d’actes de tortures et de barbarie sur personnes en situation de détresse et participation à une opération de refoulement illégal. La barrière s’ouvre par le truchement de la corruption et de la cupidité. Dix éclopés franchissent, la frontière. L’un d’entre eux est grièvement blessé, les deux jambes brisées par la correction qu’il vient de subir. Les autres ne se portent guère mieux. Plaies ouvertes, arcades sourcilières fendues, lèvres tuméfiées.
Un malheur s’estompe, un autre pointe à l’horizon. C’est la vingt-cinquième heure, version africaine. Côté marocain, au programme, des gendarmes indifférents, un médecin et sa Bétadine, un hôpital qui mériterait charité et quelques médicaments mendiés au téléphone auprès de « Médecins sans frontières »… à Oujda. Martial dit :
- « Au moins, ce que nous a permis l’hôpital, c’est de dormir. Ça fait deux ans que je suis au Maroc, la seule fois où j’ai dormi dans une maison, c’est à l’hôpital ! Même avec de l’argent, un Africain ne peut louer un logement au Maroc ! » Toujours moins que des humains, tout juste un peu plus que des animaux ! Et ce cri d’indignation, lorsque reviennent les policiers marocains avec le nombre adéquat de menottes.
- « N’avez-vous donc pas de pitié, ni de peur d’Allah? Vous le priez cinq fois par jour et vous menottez des malades, dans cet état ? » Touché ! Les dix dormiront sans menottes. D’un uniforme à l’autre. Le lendemain, un jeudi. Les Africains ont très peu dormi et rien avalé depuis plus de vingt-quatre heures. Personne ne semble s’en soucier. Pas même les gendarmes qui déboulent pour les cueillir au saut du lit, et leur faire signer des papiers rédigés en arabe, au mépris du droit le plus élémentaire. Les dix refusent. Le seul moment, sans doute, de toute cette tragédie où ils décident de leur sort, un avocat de « Médecins sans frontières » leur ayant soufflé, la veille, ce conseil bien avisé. Martial fait appel à son expérience en matière de refoulement. Il réclame pour ses compagnons, comme pour lui-même, le même traitement subi en Algérie, soit une comparution devant le procureur, pour s’entendre signifier, de façon officielle, un délai pour quitter le territoire marocain. Les policiers tergiversent et rechignent, par peur de voir les Africains se répandre en dénonciations face au procureur. Ils leur promettent le retour à Mellila ! Du « Business » persiflent les Africains, rien que du « business » reprend Martial.
http://salahelayoubi.wordpress.com/2012/05/02/la-vingt-cinquieme-heure-des-africains/fricains/
Akoua Martial est camerounais.
Le récit qu’il nous livre, au nom de tous ces camarades d’infortune qui l’entourent, relève de l’abomination.
Il raconte la tragédie de milliers d’enfants de l’Afrique noire, en route pour un avenir qu’ils rêvaient meilleur et qui ont échoué aux portes de l’Europe, entre nos murs.
Un périple parsemé d’embûches, de traquenards, d’embuscades, d’arrestations, de refoulements, de bastonnades, de membres brisés, d’yeux crevés, de cadavres et de têtes coupées !
L’horreur en guise de quotidien.
Au passage, Martial désigne son avant-bras gauche, brisé à deux reprises par les militaires marocains et mal ressoudé. Il raconte leur dernier franchissement de la frontière espagnole à Melilla. Âmes sensibles s’abstenir ! Aux antipodes du chocolat, comme il dit: un dispositif diaboliquement efficace avec ses projecteurs, ses caméras, ses trois clôtures de trois mètres de hauteur, truffée d’obstacles anti-escalade, sous formes de barbelés ou de fers plats coupants, disposés en V, séparées les unes des autres par une rangée de barbelés affûtés comme des rasoirs.
A dix, sans doute galvanisés par le nombre, par l’espoir, le narrateur et ses camarades franchissent, tout de même, la barrière. Au camp militaire espagnol, les sentinelles leur promettent tout ce à quoi les lois internationales, paraphées par l’Espagne, leur donnent droit: camp de réfugiés, médecin, repas chauds, repos et réconfort. A l’arrivée ils ont la Guardia civile et sa brutalité proverbiale, légendaire. Une toute autre image que celles distillées par les télévisions espagnoles, pour se donner bonne conscience, aux yeux du monde civilisé.
- « Un autre supplice commence » commente Martial en guise de préambule. Il évoque les gants enfilés par les policiers :
- « Ils ont porté des gants. Ils sont trop racistes. Ils ne nous touchent pas avec les mains ! » La descente au sous-sol rime avec celle de l’enfer. Avec ses poings, l’africain mime quelques coups assénés façon punching-ball.
- « Ils se sont mis à s’entraîner sur nous, militairement ! » Repus de sévices, les bourreaux raccompagnent leurs victimes. Direction le Maroc. Même humiliés, battus, blessés, éclopés, les dix compagnons, sont refoulés. Moins que des humains, tout juste un peu plus que des animaux.
- « Par la petite porte, pas la guérite centrale » dit Martial. A la frontière les Marocains effrayés par l’état des africains refusent purement et simplement le refoulement. Conciliabules en arabe, négociations financières. « Business », un terme récurrent chez les autorités, diront de tout cela, plus tard, les Africains, comme un seul homme !
- « L’argent traverse la grille pour venir du côté marocain ! » Une misérable poignée d’euros aura suffi à acheter la compromission et la complicité des militaires marocains de recel d’actes de tortures et de barbarie sur personnes en situation de détresse et participation à une opération de refoulement illégal. La barrière s’ouvre par le truchement de la corruption et de la cupidité. Dix éclopés franchissent, la frontière. L’un d’entre eux est grièvement blessé, les deux jambes brisées par la correction qu’il vient de subir. Les autres ne se portent guère mieux. Plaies ouvertes, arcades sourcilières fendues, lèvres tuméfiées.
Un malheur s’estompe, un autre pointe à l’horizon. C’est la vingt-cinquième heure, version africaine. Côté marocain, au programme, des gendarmes indifférents, un médecin et sa Bétadine, un hôpital qui mériterait charité et quelques médicaments mendiés au téléphone auprès de « Médecins sans frontières »… à Oujda. Martial dit :
- « Au moins, ce que nous a permis l’hôpital, c’est de dormir. Ça fait deux ans que je suis au Maroc, la seule fois où j’ai dormi dans une maison, c’est à l’hôpital ! Même avec de l’argent, un Africain ne peut louer un logement au Maroc ! » Toujours moins que des humains, tout juste un peu plus que des animaux ! Et ce cri d’indignation, lorsque reviennent les policiers marocains avec le nombre adéquat de menottes.
- « N’avez-vous donc pas de pitié, ni de peur d’Allah? Vous le priez cinq fois par jour et vous menottez des malades, dans cet état ? » Touché ! Les dix dormiront sans menottes. D’un uniforme à l’autre. Le lendemain, un jeudi. Les Africains ont très peu dormi et rien avalé depuis plus de vingt-quatre heures. Personne ne semble s’en soucier. Pas même les gendarmes qui déboulent pour les cueillir au saut du lit, et leur faire signer des papiers rédigés en arabe, au mépris du droit le plus élémentaire. Les dix refusent. Le seul moment, sans doute, de toute cette tragédie où ils décident de leur sort, un avocat de « Médecins sans frontières » leur ayant soufflé, la veille, ce conseil bien avisé. Martial fait appel à son expérience en matière de refoulement. Il réclame pour ses compagnons, comme pour lui-même, le même traitement subi en Algérie, soit une comparution devant le procureur, pour s’entendre signifier, de façon officielle, un délai pour quitter le territoire marocain. Les policiers tergiversent et rechignent, par peur de voir les Africains se répandre en dénonciations face au procureur. Ils leur promettent le retour à Mellila ! Du « Business » persiflent les Africains, rien que du « business » reprend Martial.
Misère et ostracisme pour les migrants subsahariens
Pendant que se déroulait cette tragédie, les avions marocains volaient au secours du Mali, en proie à la guerre civile, chargés de tonnes de vivres et de médicaments. Pure posture dictée par la nécessité pour le régime de faire oublier ses violations constantes des droits de l’homme. C’est “Jeha” (1) dépouillant des invités misérables, pour aller en régaler d’autres, histoire de recueillir quelques lauriers, s’acheter à bas coût, l’admiration d’autres misérables et se tailler une place parmi les grands. Une affaire digne de la cour de récréation d’une école maternelle, si elle n’empestait l’absurdité et les relents de pillage de nos ressources. Par ce fait du Prince, voilà le Mali soudain plus proche que le Rif et Bamako aux portes de Melilla.
Pendant que se déroulait cette tragédie, les avions marocains volaient au secours du Mali, en proie à la guerre civile, chargés de tonnes de vivres et de médicaments. Pure posture dictée par la nécessité pour le régime de faire oublier ses violations constantes des droits de l’homme. C’est “Jeha” (1) dépouillant des invités misérables, pour aller en régaler d’autres, histoire de recueillir quelques lauriers, s’acheter à bas coût, l’admiration d’autres misérables et se tailler une place parmi les grands. Une affaire digne de la cour de récréation d’une école maternelle, si elle n’empestait l’absurdité et les relents de pillage de nos ressources. Par ce fait du Prince, voilà le Mali soudain plus proche que le Rif et Bamako aux portes de Melilla.
Longtemps après que cette affaire aura pris fin, la supplique de Martial reviendra hanter les consciences du monde et résonner dans nos mémoires :
- « Nous les noirs, nous les émigrés, nous souffrons ici. Nous sommes bastonnés, mutilés, piétinés, humiliés. Vous qui allez voir ces images, si vous pouvez faire quelque chose, venez à notre secours ! Pardon, mais venez à notre secours, venez à notre secours !…Et que justice soit faite ! »
Nul n’est obligé de croire à toutes les ignominies que dénonce cette vidéo. Mais si une partie aussi infime soit-elle, s’avérait exacte, elle suffirait à faire la honte de notre pays et son indignité.
Ce ne serait jamais qu’une fois de plus !
(1) “Jeha” ou “Jouha”, personnage légendaire arabe qui se repaît des turpitudes ou de la cupidité de ses semblables http://salahelayoubi.wordpress.com/2012/05/02/la-vingt-cinquieme-heure-des-africains/fricains/
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