Propos recueillis par Sara Daniel, 29/11/2011
« La victoire du Parti islamiste au Maroc
" Marcher pour ne pas bouger : Rien n'a changé. L'essentiel du pouvoir reste entre les mains du Roi"
Les élections qui viennent de se dérouler au Maroc, et qui viennent de consacrer le parti islamiste PJD, premier parti du Maroc, inaugurent elles une nouvelle ère démocratique ?
Les élections qui viennent d’avoir lieu inaugurent un nouveau cycle de la politique marocaine. Elles couronnent un processus inauguré par le discours royal du 9 mars 2011, qui répondait à la pression populaire de la rue. Car contrairement à ce qu’on a pu dire, il n’y a pas d’exception marocaine : le peuple marocain aspire à la démocratie. Et le régime politique marocain est un régime autoritaire confronté comme tant d’autres dans la région au printemps arabe.
Certes, la nouvelle constitution octroie quelques pouvoirs limités au gouvernement. Le chef de celui-ci est, contrairement au passé, issu du parti arrivé en tête aux élections, c’est à dire aujourd’hui le PJD.
Cependant sur le fond rien de fondamental n’a changé. L’essentiel des pouvoirs reste entre les mains du roi. La constitution dont l’élaboration a été soigneusement encadrée par le palais a été plébiscitée avec un score (98 %) qu’affectionnent les autocraties. Et il est apparu assez vite que l’objectif était moins de procéder à une réforme de fond du système que de désamorcer la menace que le printemps arabe faisait peser sur la monarchie.
Manipulation du découpage des circonscriptions, refus d’établir une commission électorale indépendante : les élections ont été organisées pour que rien ne change… Cependant, le mouvement de contestation du 20 février ainsi que les forces d’opposition n’ont pas désarmé. Et il est clairement apparu au régime que ce simulacre de démocratie ne suffirait pas à apaiser le mécontentement.
Vous pensez donc que le succès du PJD a été organisé par le palais pour « contenir » les revendications démocratiques des opposants ?
Les résultats des élections traduisent la peur du changement du régime.
On savait que le taux de participation allait constituer l’enjeu véritable qui irait crédibiliser l’ensemble du processus lancé par la monarchie depuis le mois de mars. Cela explique-t-il l’annonce précipitée d’un taux de participation à 45 % ? En tout cas les observateurs [y compris ceux de l’Union Européenne] ont bien noté l‘absence des listes électorales d’une partie importante de la population en âge de voter. Un autre fait troublant est que le taux de participation est passé de quelques 21% à 45% en quelques heures. Si l’on prend en compte toutes les formes d’influence exercées par l’administration en particulier dans le monde rural, et le battage des médias proches du pouvoir, il parait clair que le taux de participation réel devait en réalité se situer au-dessous des 40 %. Plus révélateur encore, les 20% de bulletins nuls indiquent le désintérêt clair de la population. Ce pourcentage ainsi que le faible taux de participation, constituent un désaveu pour des élections qui voulaient fondatrices. Nous sommes donc très loin des chiffres de l'élection tunisienne.
Une fois de plus la cuisine électorale politique semble avoir bien fonctionné : un succès du PJD, contrebalancé par la présence des partis “libéraux “ autoritaires.
Vous pensez-donc que le Parti de la justice et du développement sera contrôlé par le palais ?
Non, car si le PJD est loyaliste, il est aussi ambitieux. Il tire sa popularité de son appel à la moralisation de la vie publique et du fait qu'il se trouve non compromis jusqu'à présent, par la gestion des affaires publiques. Cette popularité découle également de son opposition farouche au parti « Authenticité et Modernité », créé par le Palais .Ce parti avait concentré privilèges, passe droits et corruption et il était détesté par les Marocains. De ce point de vue, le PJD était au diapason avec l’opinion publique, et son succès électoral constitue un vote de sanction à l’encontre de la monarchie et de ses partis.
Ainsi se dessine le nouveau paysage politique, dominé par trois acteurs principaux : la monarchie, le PJD et le mouvement du 20 février.
Comment va évoluer la situation politique marocaine ?
Tout porte à croire que le régime va connaître un répit de courte durée, grâce aux difficultés du mouvement de contestation du 20 février à se transformer en mouvement de masse.
Cependant, la société marocaine ne tolérera pas longtemps l’immobilisme politique. Le mouvement est appelé à reprendre, et imposer les réformes indispensables. Il faut empêcher de nuire ces cénacles opaques de pouvoir qui gravitent autour du palais, ces bureaucraties administratives, sécuritaires, religieuses, ces réseaux économiques, partis et syndicats aux ordres, ces intellectuels et artistes inféodés au palais, bref ce qu’on appelle au Maroc le « Makhzen » qui n’aspire qu’à l’immobilisme et au partage de la rente.
Pourquoi le mouvement d’opposition marocain a-t-il plus de mal à se structurer que dans d’autres pays arabes ?
La jeunesse et la diversité des militants du mouvement du 20 février sont un de ses atouts majeurs. Beaucoup d’entre eux sont indépendants mais ils comptent aussi dans leurs rangs des membres des partis traditionnels acquis au makhzen (PPS et USFP) ainsi que des militants de l’organisation interdite Al Adl wa L’Ihsan (interdite) qui prône l’instauration d’un califat islamique. Résultat, beaucoup de ces militants tiennent un discours public tout en conservant des stratégies personnelles…
Et puis le Makhzen est très retors ! Depuis le mois de mars, il s’emploie à désamorcer la pression exercée par le mouvement de contestation. Mais cela ne veut pas dire qu’il s’adresse à ce mouvement. En réalité son discours passe, par-dessus la tête de tous ceux qui aspirent au renouveau et s’adresse à toutes les forces qui craignent le changement et les risques qui peuvent l’accompagner.
Telles sont, je crois, les deux logiques, qui président à l’action et au discours, respectivement de la galaxie makhzen et du mouvement du 20 février . La rencontre de ces deux logiques dans le champ politique marocain fait que l’on risque de faire du sur place pendant un certain temps, au bénéfice des ennemis de la démocratisation
Le PJD peut-il réussir ?
Cela dépendra sans doute de sa capacité et de sa volonté à faire sauter les verrous du système, et à surmonter ses propres contradictions. Car ce parti oscille toujours entre l’allégeance et le populisme. Le PJD a été d’abord contre la réforme constitutionnelle avant de se rallier à la nouvelle constitution. Il a choisi depuis toujours de faire partie du système pour le réformer « de l’intérieur » L’avenir dira s‘il va réussir son pari, ou bien finir par être digéré par le Makhzen, comme les partis qui l’ont précédé au pouvoir. Dans ce cas, on aurait un islamisme royal qui s’opposerait à des mouvements plus radicaux. Enfin, notons que ce parti est très conservateur voire obtus. Ceci le différencie clairement des partis islamiques turc et tunisien auxquels on le compare à tort.
Le PJD pourrait se tourner vers le mouvement du 20 février pour élargir sa marge de manœuvre auprès de la monarchie... Mais il y a des raisons sérieuses pour douter du succès d’une telle démarche .Car le PJD se contente d’agiter l’épouvantail du mouvement de contestation pour arracher des concessions de la part du palais et des autres partis.
Dans ces conditions, tout indique que la demande d’un changement sera de plus en plus forte. Le pays connaît dans toutes ses provinces des vagues de protestation sociale. Cela engagera le mouvement du 20 février à surmonter ses difficultés.
Fort du soutien de ses notables, le système attend sans doute que le printemps arabe passe comme une mauvaise fièvre, et avec lui le mouvement du 20fevrier. Illusion : ce sont plutôt les institutions non démocratiques qui passeront.
Ce prince que l'on appelle le rouge est résolument anti-amazigh pour une raison inconnue. Son analyse des révolutions populaires au Maroc et en Afrique du Nord laisse de côté le rôle important joué par le mouvement amazigh.
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