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mardi 17 mai 2011

Affaire Strauss-Kahn: les deux erreurs du PS

 Par François Bonnet, Mediapart, 17/5/2011

L'affaire DSK ne concerne pas que la personne privée Dominique Strauss-Kahn. Ce ne pourrait être qu'un fait divers sordide : une personnalité accusée d'agression sexuelle, de tentative de viol et de séquestration ; un homme de 62 ans accusé d'avoir violenté une jeune femme de 32 ans dans la suite d'un hôtel de luxe et devant aujourd'hui répondre de ses actes devant le tribunal pénal de New York (lire ici le fil des événements et la plainte en français déposée par le procureur).

Mais chacun aura compris que ce fait divers est un événement politique majeur qui va contraindre le parti socialiste, mais aussi beaucoup d'autres acteurs, à revoir de fond en comble leurs engagements comme leurs règles.

La sidération qui semble avoir saisi le pays face aux images d'un Dominique Strauss-Kahn comparaissant devant le tribunal de New York, entre petits délinquants et trafiquants de drogue, doit aussi fonctionner comme un brutal rappel au réel.

Oui, l'un des hommes les plus influents, les plus puissants, les plus populaires de la planète doit répondre de sa conduite comme un citoyen ordinaire. C'est une bonne nouvelle, même si notre pays s'est habitué, de guerre lasse, à considérer – parfois à tort – que l'impunité était un privilège dû aux puissants.

Oui, cela peut être vécu comme «un cauchemar » (Pierre Moscovici), « une cruauté » (Elisabeth Guigou), « une tragédie grecque mâtinée de série américaine » (François Bayrou). Mais la violence symbolique de ces images d'un DSK menotté et déchu n'est que l'écho de la violence physique, bien réelle celle-là, que constitue une tentative de viol. Et la plainte du procureur, dans son libellé brutal, laisse entrevoir ce que pourrait avoir été cette violence. Oui, il y a un accusé présumé innocent, nul n'en doute. Mais oui, il y a une femme présumée victime et nul ne peut l'oublier.

Le parti socialiste, dont les dirigeants se réunissent ce mardi pour un bureau extraordinaire, a déjà commis deux lourdes erreurs d'appréciation quant à la portée et aux conséquences de cette affaire. Des années d'amitié, de compagnonnage ou d'intérêts partagés permettent de les comprendre mais ne les effacent pas tant elles posent indirectement de graves questions sur ce qu'est devenu le premier parti d'opposition.

1.- La première erreur provient de l'entourage le plus proche de Dominique Strauss-Kahn. Elle consiste en une défense aveugle et sans distance de l'inculpé, au risque de faire grossir le malaise. Relativiser l'accusation, alimenter les scénarios complotistes, nier en bloc ou affirmer ex abrupto qu'il y a de « nombreuses contradictions dans le dossier » en sous-entendant déjà qu'il va tomber en morceaux (« Dominique sera bientôt au milieu de nous », selon Jean-Christophe Cambadélis) n'est certainement pas la meilleure stratégie pour marquer son soutien à l'homme Dominique Strauss-Kahn.

Question ravageuse sur les années passées

DSK, dimanche soir.
DSK dimanche soir
DSK, dimanche soir.Car ce déni brutal, aussi alimenté d'un étrange portrait nous décrivant une fois de plus un Dominique Strauss-Kahn « séducteur », « libertin », « aimant les femmes », risque de provoquer des interrogations terribles sur les années passées. Le patron du FMI est aujourd'hui accusé, selon le vocabulaire du crime, d'être un « prédateur sexuel ». Ces proches le disaient jusqu'alors « séducteur ». S'agissait-il là d'un euphémisme pour masquer une tout autre réalité ? La question est ravageuse mais elle ne cessera malheureusement d'être posée.

Elle l'est déjà, et depuis dimanche soir, lorsque la mère de Tristane Banon (par ailleurs élue socialiste et amie de la famille Strauss-Kahn) a expliqué avoir découragé sa fille, une journaliste devenue écrivaine, de porter plainte contre Dominique Strauss-Kahn pour une tentative de viol qui serait survenue en 2002. Cette mère, Anne Mansouret, conseillère générale et régionale socialiste, dit aujourd'hui regretter son attitude et ajoute, à propos de DSK: « Il a un vrai problème: une addiction au sexe, comme d'autres ont des soucis avec l'alcool, la drogue ou le jeu. » Certains s'indignent de cette histoire soudainement resurgie (ici, Bernard-Henri Lévy par exemple) mais c'est oublier que si la durée de prescription a été fixée à dix ans pour de tels faits, c'est justement pour acter de la difficulté des victimes à demander réparation dans de telles affaires.

La question est aussi posée à la presse sur ses éventuels manquements au devoir d'informer, sur ses silences ou – là encore – ses euphémismes dans la description d'un homme public. Que le respect de la vie privée doive être farouchement défendu est une évidence ; il s'agit là de notre liberté à tous. Mais ce respect s'arrête là où commence la violation de la loi : le tabou légitime de la vie privée ne saurait couvrir des crimes ou délits. Or depuis des années, de nombreux journalistes ont décrit par de prudentes ellipses la vie de Dominique Strauss-Kahn : ont-ils failli dans ce qui est une de leurs missions, le devoir d'alerter ?

Le journaliste Christophe Deloire, auteur du livre Sexus Politicus, le pense et l'explique ici dans une tribune titrée « L'étrange omerta des médias sur le cas DSK ». En 2008, relayant l'alerte de Jean Quatremer de Libération, Mediapart avait posé la question politique centrale, au croisement des passions privées et des vertus publiques : n'était-ce pas prendre un risque politique inouï que de promouvoir dans un monde de culture anglo-saxonne un responsable connu pour cette « addiction au sexe » décrite par la mère de Tristane Banon (lire ici l'article de Philippe Riès) ?

2.- La deuxième erreur est celle-là directement politique et vient de la direction du parti socialiste. « Le parti n'est ni affaibli, ni décapité », a résumé contre toute évidence son numéro 2, Harlem Désir. Martine Aubry est ce mardi après-midi à Bordeaux « à la rencontre des Français ». Benoît Hamon, porte-parole, a répété que rien ne changerait dans le calendrier et l'organisation des primaires, cet exercice de plus en plus baroque de sélection du candidat socialiste à l'élection présidentielle.

On peut aisément comprendre qu'un parti tétanisé se cramponne à quelques automatismes de pensée quand un immense gouffre s'ouvre sous ses pieds. Mais là encore, la stratégie de déni face à l'irruption d'une nouvelle réalité est la garantie de la défaite.

Car l'élimination de facto de Dominique Strauss-Kahn de la compétition présidentielle renverse toutes les fragiles constructions faites par le PS depuis 2008. Constater que DSK est éliminé ne préjuge en rien de son éventuelle culpabilité : simplement, le calendrier judiciaire, qui promet de s'étaler sur des mois, lui interdit un processus politique qui démarre dès le 28 juin (début du dépôt des candidatures). Bien plus, le parti socialiste va devoir vivre durant des mois avec une affaire parallèle, celle de Dominique Strauss-Kahn et d'un procès prévisible qui pourrait se tenir à la fin de l'année ou début 2012, selon plusieurs juristes.

«C'est une affaire privée, pas une affaire politique et je mets en garde la droite contre toute tentation d'exploiter cette affaire privée», veut croire Harlem Désir. «Le parti socialiste continue à travailler auprès des Français comme il le fait depuis trois ans », assure Martine Aubry qui veut «garder un cap et être là où les Français nous attendent.»

Les villages Potemkine bâtis depuis 2008
Martine Aubry, mardi matin sur France Info.Martine Aubry, mardi matin sur France Info.Cette ligne pourrait être tenable si le premier impact politique de l'affaire Strauss-Kahn n'était pas la destruction des villages Potemkine soigneusement édifiés par la direction du PS depuis le congrès de Reims. Tout, depuis trois ans, a été fait en considérant une bulle sondagière et des emballements d'éditorialistes ralliés au patron du FMI présentant comme indispensable la candidature de Dominique Strauss-Kahn. Martine Aubry peut vanter le travail accompli depuis trois ans : parti en ordre, parti apaisé, programme et procédure de choix du candidat. Mais nous sommes là dans une illusion d'optique habilement construite tant un autre film était programmé, qui devait mener DSK à l'Elysée.

Comme nous l'avons déjà expliqué (lire ici l'article de Lénaïg Bredoux et Stéphane Alliès), la direction du PS appuyée par les fabiusiens et les strauss-kahniens n'aura eu de cesse de ne pas gêner l'entrée en scène de l'ancien ministre des finances. Ce fut d'abord la défense en règle de son choix d'être nommé au Fonds monétaire international avec l'appui de Nicolas Sarkozy. Ce fut ensuite la défense de la politique menée par cette institution, politique pourtant fortement contestée. Ce fut encore le choix d'un calendrier tardif des primaires conforme aux souhaits de l'intéressé. C'est également l'élaboration d'un programme de consensus (les militants en discutent actuellement), laissant toute latitude au futur candidat.

Et c'est enfin, décrit sous l'appellation « pacte de Marrakech », l'engagement pris par Martine Aubry et Dominique Strauss-Kahn de ne pas se présenter l'un contre l'autre, ce qui revenait de fait pour la première secrétaire à entériner une candidature DSK.

C'est ce dispositif qui est aujourd'hui à bas et qui menace d'emporter le PS par le fond. Depuis trois ans, tout occupés à entretenir ou conforter ces équilibres, les dirigeants socialistes se seront dispensés d'une véritable entreprise de reconstruction de la gauche gravement blessée par le 21 avril 2002 et débordée par la présidence sarkozyste.

Son incapacité à porter des dynamiques sociales (au moment de la réforme des retraites, par exemple), à contenir le parti de gauche de Jean-Luc Mélenchon, à construire des alliances rassembleuses avec les écologistes et les autres forces de gauche ; sa timidité programmatique quand la social-démocratie est à réinventer ; son apologie du localisme qui fait de la gestion d'une ville ou d'un conseil général un nouvel horizon... Dominique Strauss-Khan devait faire oublier toutes ces impasses et faux-fuyants lors d'un blitzkrieg éliminant Nicolas Sarkozy.

Le voici éliminé, politiquement. Le PS peut désormais craindre de l'être avec lui. Sauf à prendre l'initiative de bouleverser la donne et de se tourner vers ses partenaires naturels pour reconstruire dans l'urgence. Les primaires, paradoxalement, peuvent encore en être l'occasion. Étriquées, résumées à une nouvelle guerre interne entre une multitude de candidats des vieilles écuries, elles affaibliront un peu plus encore ce parti. Ouvertes, repensées et réorganisées, elles peuvent être l'occasion pour ce parti d'appeler à l'aide la société et les autres forces de gauche. Car sans elles, sans une dynamique unitaire et sans une remobilisation citoyenne, le PS et, avec lui, la gauche tout entière risquent de laisser Nicolas Sarkozy et Marine Le Pen mener la campagne 2012, lui imposer leurs thèmes et leurs calendriers, leurs obsessions et leurs cousinages.

L'affaire Strauss-Kahn est l'ultime alerte pour un PS qui n'a pas su, jusqu'ici, relever le défi du sarkozysme. S'ils ne l'entendent pas, ses dirigeants porteront une lourde responsabilité dans l'échec de la gauche et dans le déclin de la France.

Parti pris188
 Comme indiqué en son en-tête, cet article est un parti pris. Il n'engage que son auteur et certainement pas l'ensemble de la rédaction de Mediapart où les sensibilités différentes sont absolument encouragées. Il vise, par ailleurs, à lancer un débat nécessaire sur la réorganisation de la gauche après le «coup de tonnerre» DSK, comme le disait dimanche Martine Aubry. Toutes les contributions – dans le cadre de notre charte de modération et d'un dialogue courtois même si vif – sont les bienvenues.

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