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mercredi 16 février 2011

Quelques clés pour comprendre la fronde algérienne

Après la Tunisie et l’Égypte, l’Algérie est le théâtre de manifestations anti-gouvernementales ? Que réclame l’opposition ? Le pouvoir en place peut-il chanceler ? De quel côté va se ranger l’armée ? Explications.
Par Tahar HANI, France 24, 15/2/2011

Quelle est la situation qui prévaut aujourd'hui en Algérie ?
Un vent de révolte souffle sur l'ensemble du pays. Malgré une rente pétrolière de plusieurs milliards de dollars, l’Algérie ne décolle pas économiquement. Le chômage touchait, selon le site Internet du ministère du Travail, 11,8 % de la population active en 2007. Des chiffres qui se situeraient aujourd’hui entre 20 et 25 %, d’après Moncef Cheikh Rouhou, professeur de finance internationale à l’École des hautes études commerciales (HEC), à Paris.
Le secteur informel ne cesse de croître. La corruption fait des ravages. Elle touche tous les secteurs de l’État et de la société. Les projets ne sont pas menés à terme.
Les militaires continuent de diriger le pays d’une main de fer. Des émeutes éclatent régulièrement dans plusieurs localités du pays. Celles qui se sont déroulées début janvier à Bousmail, une ville côtière située à 50 kilomètres d’Alger, ont fait un mort et plusieurs blessés. Dans la commune de Naciria, dans le Nord, les manifestants ont attaqué, le 12 février, le commissariat de la ville à l’aide des cocktails Molotov et coupé durant plusieurs heures l’autoroute qui mène vers Alger.

En Algérie, le taux de suicides a atteint des proportions alarmantes chez les jeunes. Selon les chiffres fournis par la gendarmerie algérienne en mars 2010, le nombre des suicides est passé de 143 en 2008 à 203 en 2009. L’immolation tend à devenir, quant à elle, un nouveau moyen pour exprimer la misère sociale.

Quelles sont les forces qui luttent pour le changement ?
Outre les émeutes spontanées que provoquent les jeunes dans plusieurs villes du pays, l’opposition politique, jusque-là divisée, cherche à s’unir pour imposer une alternative au régime en place. En janvier, les partis de l’opposition se sont regroupé au sein d’une structure appelée Coordination nationale pour la démocratie et le changement (CNDC).
Dans cette coalition figurent des formations d’horizons politiques divers : le Rassemblement pour la culture et la démocratie (RCD) de Saïd Saadi, le Parti pour la laïcité et la démocratie (PLD) de Moulay Chentouf, le Comité citoyen pour la défense de la république (CCDR), dirigé par l’ex-ministre de l’Enseignement supérieur Abdelhak Brerhi, ainsi que le Mouvement pour la démocratie sociale (MDS) de Hocine Ali.
D’autres partis d’opposition qui bénéficient d’un bon ancrage dans la société, comme le Front des forces socialistes dirigé par le leader historique Hocine Ait Ahmed, refusent, pour le moment, de rejoindre le mouvement.
Des associations comme la Ligue algérienne des droits de l’Homme (LADH), le Syndicat national du personnel de l’administration publique (SNAPAP) ou la Coordination des lycées d’Alger (CLA) font également partie de la CNDC. Le réseau Wassila, qui regroupe plusieurs associations féminines, le Collectif des jeunes chômeurs du Sud, le Mouvement citoyen de Kabylie, l’Association des disparus et le collectif Liberté de presse font également partie de la coalition.

Que réclame la coalition anti-gouvernementale ?
Comme son nom l’indique, elle exige la démocratie et le changement. En d’autres termes, le départ du régime actuel incarné par le président Abdelaziz Bouteflika et les généraux. Le mouvement s’inspire des récents événements qui se sont déroulés en Tunisie et en Égypte.
La nouvelle stratégie du CNCD est de maintenir une pression permanente sur le régime, en organisant, chaque samedi, une marche pacifique dans Alger, la capitale. La CNDC a appelé à organiser des rassemblements similaires le même jour dans les principales villes du pays.
Parallèlement, la CNCD étudie la possibilité d’appeler à une grève générale sur tout le territoire national mais la date n’a pas encore été arrêtée.

Quelle concession Bouteflika est-il prêt à faire ?
Quelque peu ébranlé par les émeutes successives qui ont agité le pays, le régime commence à lâcher du lest. Le président Bouteflika, en poste depuis 1999, a promis de lever l’état d’urgence en vigueur depuis 19 ans, mais sans donner de date précise. Le chef de l’État a également promis de remanier le gouvernement et d’ouvrir le champ médiatique public, notamment la télévision et les radios, à l’opposition.
De son coté, le ministère de l’Intérieur a assuré qu’il ne s’opposera plus à la création de nouveaux partis politiques et de nouveaux journaux.
Sur le plan social, le Premier ministre, Ahmed Ouyahia, a demandé aux préfets, aux maires et aux responsables de la police de répondre favorablement aux demandes des citoyens, en leur octroyant des logements sociaux et en leur versant des aides financières. Le nouveau chef de la police, Abdelghani Hamel, a donné comme instructions aux policiers de se montrer compréhensifs avec les jeunes et de ne pas les provoquer.
A titre d’exemple, les policiers n’empêchent plus les vendeurs à la sauvette d’écouler leurs marchandises sur les trottoirs d’Alger, et ne confisquent plus les permis de conduire, même en cas d’infractions graves au code de la route.
Or, pour les responsables de la CNCD et les simples citoyens, tout cela n’est pas suffisant. Le peuple demande un changement radical et une rupture historique avec les pratiques du passé. Selon Saïd Saadi, le leader du RCD, le régime essaye de gagner du temps, mais au regard des changements qui ont lieu dans le monde arabe, le système algérien vit ses derniers moments.

Quel est le rôle de l’armée ?
Officiellement, l’armée ne se mêle pas des affaires politiques du pays, mais dans la réalité, c’est elle qui contrôle tout. Elle est la colonne vertébrale du régime. Rien ne se fait sans elle. Les généraux sont accusés par la population de spolier les richesses du pays et de concentrer tous les pouvoirs.
Lors des rassemblements de 1988, à Alger, et dans les principales villes du pays, comme Oran, Blida ou Constantine, l’armée avait tiré sur les manifestants qui demandaient la fin du parti unique et l’ouverture du champ politique et médiatique. Bilan : environ 200 morts. Aujourd’hui, la question qui taraude les observateurs de la scène algérienne concerne l’attitude de la "grande muette". Va-t-elle se mettre du côté du peuple, comme ce fut le cas en Égypte et en Tunisie, ou continuer à soutenir le régime ?

Les islamistes peuvent-ils profiter du mouvement de contestation pour réintégrer la scène politique ?
Les derniers événements ont montré que les islamistes ne sont pas les bienvenus. Pour preuve, l’expulsion, à deux reprises (une fois lors des émeutes de janvier dernier à Bab el-Oued, un quartier populaire d’Alger, et l’autre, samedi, de la place du 1er-Mai), par les manifestants d’Ali Belhadj, le leader de l’ancien parti islamique du Front islamique du salut (FIS).
"Les islamistes constituent une réalité sociologique dans le pays, mais les 10 années de terrorisme [1991-2001] ont fini par ternir leur image auprès de la population", selon Mourad Hachid, rédacteur en chef du quotidien algérien "El Watan". Pour ce spécialiste de la politique algérienne, ce sont les jeunes qui feront la révolution demain en dehors de tout combat partisan.
L’intégration dans la coalition gouvernementale d’un autre parti islamique, le Mouvement pour la paix civile (MSP), dirigé par Aboujerra Soltani, a fini par diviser la mouvance islamiste en Algérie.


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