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Khadija Mohsen-Finan
> 29 mars 2016
Le Maroc ne décolère pas. Ban Ki-moon a effectué une visite — la première du genre — dans les camps de Tindouf, en Algérie, où vivent depuis 1975 des milliers de Sahraouis qui revendiquent l’indépendance du Sahara occidental.
Le secrétaire général des Nations Unies s’est également rendu à Bir
Lahlou, localité au nord-est du Sahara occidental, en zone contrôlée par
le Front Polisario et considérée par les Sahraouis de Tindouf comme une
« zone libérée ».
C’est à cet endroit précis que le 27 février 1976, le Front Polisario
annonçait la création de la République arabe sahraouie démocratique (RASD) et c’est de cette localité qu’émet la « Radio nacional de la républica árabe saharaui democrática ». La presse marocaine parle de provocation.
Au-delà de la visite elle-même, ce sont les propos formulés par Ban Ki-moon, en ces lieux hautement symboliques, qui ont paru « inacceptables » pour le Maroc. Le plus haut fonctionnaire onusien, qui affiche habituellement une grande réserve, a exprimé beaucoup de compassion pour les réfugiés sahraouis qu’il a vus à Tindouf : « J’ai été très attristé de voir autant de réfugiés et particulièrement des jeunes qui y sont nés. Les enfants qui sont nés au début de cette occupation ont désormais 40 ou 41 ans. Soit quarante ans d’une vie difficile. Je voulais vraiment leur apporter l’espoir que ce n’est pas la fin du monde pour eux ».
Pour Rabat, la ligne jaune est franchie, le secrétaire général a parlé explicitement d’« occupation » pour désigner le contrôle exercé depuis 1975 par le Maroc sur le Sahara occidental, territoire sur lequel l’ONU n’a pas encore statué.
C’est la première fois que Ban Ki-moon affiche un ton aussi ferme en ce qui concerne la politique saharienne du Maroc. Il ne le fait pas en territoire neutre, mais à partir de Tindouf, commune qui avait été revendiquée par le Maroc jusqu’en 19721. Le chef de la diplomatie marocaine, Salaheddine Mezouar, qui s’est rendu au siège des Nations unies le 14 mars pour y rencontrer Ban Ki-moon, n’a pu observer d’évolution notable dans son attitude. Il maintenait ses propos et exprimait également une réelle ulcération quant à la manifestation qui l’a pris pour cible la veille à Rabat. Le ministre marocain a dû se résoudre à tenter de dissocier l’ONU de son secrétaire général pour mieux jeter le discrédit sur celui qui considère que le Maroc « occupe » le Sahara.
En évoquant le terme d’occupation — sous-entendant qu’il s’agit d’occupation du Sahara par le Maroc (80 % de l’ancienne colonie espagnole) — Ban Ki-moon dénie au Maroc le droit d’être présent sur ce territoire. Lourdement connoté, le terme n’est bien entendu pas utilisé par hasard. Le secrétaire général aurait pu parler d’« annexion », qui aurait été effectuée en vertu du traité de Madrid signé le 14 novembre 1975 entre le Maroc, l’Espagne et la Mauritanie et portant sur la partition du territoire, même si ce traité, qui a été ratifié par les Cortes generales — le Parlement espagnol — n’a pas été reconnu pour autant par les Nations unies.
Dans un communiqué, le gouvernement marocain note que ce type de « dérapage sémantique qui déroge de façon drastique avec la terminologie traditionnellement utilisée par les Nations unies blesse les sentiments de l’ensemble des Marocains et porte dangereusement atteinte à la crédibilité du secrétaire général des Nations unies. » La tension est d’autant plus importante qu’après la manifestation organisée le 13 mars à Rabat, l’ONU n’a pas tenté d’aplanir les déclarations de son secrétaire général. Son porte-parole a clairement mentionné qu’il s’agissait bien d’un « territoire non autonome dont le statut reste à définir et que les réfugiés sont dans l’incapacité de retourner chez eux dans des conditions satisfaisantes de gouvernance ».
La réponse ne s’est pas fait attendre. Le Maroc a demandé le départ de 84 membres du personnel de la Mission des Nations unies pour l’organisation d’un référendum au Sahara occidental (Minurso) et annoncé l’annulation de la contribution volontaire qu’il accorde à son fonctionnement. Rabat menace également de retirer ses contingents engagés dans des opérations de maintien de la paix (Le Maroc fournit près de 2 300 casques bleus à la Mission de l’Organisation des nations unies pour la stabilisation en République du Congo (Monusco).
Plus récemment, dans son rapport de 2012 sur la situation du Sahara occidental, le secrétaire général de l’ONU épinglait déjà sans ménagement les entraves au bon fonctionnement de la Minurso par le Maroc. Selon ce rapport, en agissant au Sahara comme sur le territoire marocain, le Maroc brouille la lisibilité du conflit. Le texte mentionne également des exemples de confusion entre le Sahara — territoire non autonome — et le Maroc, comme l’organisation des élections marocaines sur ce territoire, ou encore l’obligation de faire porter aux véhicules de la Minurso des plaques d’immatriculation diplomatiques marocaines, ou encore le déploiement de drapeaux marocains autour du quartier général de la Mission, créant ainsi « une apparence qui soulève des doutes quant à la neutralité de l’ONU ». Le Maroc s’est défendu de ces accusations, considérant que les activités de la mission onusienne se déroulent « dans les limites de la pratique établie ». Or, précise le rapport, « c’est justement la pratique établie qui est au cœur des difficultés auxquelles se heurtent les activités de la Minurso. En effet, l’évolution des contraintes au fil des années empêche de plus en plus la Minurso de s’acquitter de son mandat de manière crédible. ».
Pas plus tard que l’an dernier, dans son rapport annuel de 2015, Ban Ki-moon épinglait notamment le Forum de Crans Montana4 qui se tient chaque année à la mi-mars à Dakhla alors que « le statut définitif du Sahara occidental fait encore l’objet d’un processus de négociation sous l’égide des Nations unies ».
Pour Hassan II, qui avait mis en place ce schéma d’intégration, il s’agissait de développer ces « provinces », avant de faire admettre à la communauté internationale le caractère marocain du Sahara. Cet état de fait n’a jamais été dénoncé clairement et ouvertement par les Nations unies, ni par des États comme la France, l’Espagne ou encore les États-Unis. Cette politique saharienne du Maroc se fondait sur « les droits historiques » auxquels se réfère Rabat, mettant régulièrement en avant l’accord de Madrid signé avec l’Espagne et la Mauritanie. Toutefois, Hassan II, qui savait pertinemment que l’accord n’avait pas été reconnu par les Nations unies, répétait à l’envi que « tôt ou tard, il faut que notre titre de propriété du Sahara soit déposé à la conservation foncière des Nations unies »5.
En l’absence de ce titre de propriété auquel tenait Hassan II, la politique d’intégration connaît des limites relatives à la gestion par le Maroc des ressources de ce territoire comme à sa population. En décembre 2015, la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) a décidé d’annuler l’accord agricole et de pêche avec le Maroc au motif que cet accord « ne présente pas les garanties nécessaires pour que les ressources de la région du Sahara profitent aux habitants locaux ». Plus loin dans le temps, en novembre 2009, la question des rapports politiques entre Sahraouis et pouvoir marocain s’est posée à travers la grève de la faim entamée par Aminatou Haidar. Cette icône de la résistance sahraouie rentrait en effet de New York où elle recevait le prix du courage qui lui avait été décerné par la Train Foundation. À l’aéroport de Lâayoune, elle a indiqué « Sahara occidental » pour désigner son lieu de résidence et laissé vide la case réservée à la nationalité. Les autorités marocaines l’ont alors expulsée vers les Canaries. Refusant de quitter l’aéroport, elle entamait une grève de la faim qui a duré un mois. Elle a refusé la nationalité espagnole que lui proposait Madrid, de même que le statut de réfugiée. Elle a seulement dit désirer rentrer chez elle au Sahara, sans jamais consentir à considérer qu’il s’agit d’une région du Maroc. En refusant son entrée, Rabat voulait amener la communauté internationale à condamner l’attitude de la militante. Or, Madrid et les Nations unies se sont bien gardés d’émettre un avis sur la question. Aminatou Haidar a finalement pu regagner son domicile à Lâayoune.
Compte tenu de cette réalité, les propos de Ban Ki-moon paraissent incongrus et quelque peu incompréhensibles. Beaucoup se demandent ce qui a pu inciter cet homme affable à engager un conflit aussi violent avec le Maroc. Les hypothèses sont nombreuses. Le secrétaire général est en fin de mandat, il se sent sans doute plus libre dans l’expression de griefs déjà existants dans ses rapports annuels qu’il décide aujourd’hui de rendre publics. Malgré son apparente amabilité, pour ceux qui suivent le dossier du Sahara, Ban Ki-moon n’a pourtant jamais fait de concessions à Rabat. En 2012, suite à la parution de son rapport annuel sur le Sahara, le Maroc a demandé le renvoi de Christopher Ross, son envoyé spécial. Contrairement à ses prédécesseurs qui ont mis fin à la mission de leurs envoyés spéciaux, Ban Ki-moon l’a cependant maintenu dans ses fonctions.
Depuis quelques années déjà, Christopher Ross tente d’attirer l’attention sur les difficultés de l’ONU à gérer ce conflit auquel il souhaitait réellement trouver un dénouement, pour deux raisons qui lui paraissent essentielles. La première est relative à la situation des Sahraouis, population oubliée et sans perspective d’avenir qui se trouve confinée dans des camps. La seconde a trait à la géopolitique régionale, puisqu’il s’agit d’une région où l’on voit s’implanter les acteurs du djihadisme international, Al-Qaida au Maghreb islamique (AQMI) et l’organisation de l’État islamique (OEI). La fin du conflit du Sahara occidental éviterait de donner aux Sahraouis aguerris et qui maîtrisent bien la zone l’occasion de rejoindre les groupes djihadistes. Aujourd’hui, si les connexions ne sont pas avérées, on ne peut écarter d’un revers de manche cette éventualité.
Au-delà de la visite elle-même, ce sont les propos formulés par Ban Ki-moon, en ces lieux hautement symboliques, qui ont paru « inacceptables » pour le Maroc. Le plus haut fonctionnaire onusien, qui affiche habituellement une grande réserve, a exprimé beaucoup de compassion pour les réfugiés sahraouis qu’il a vus à Tindouf : « J’ai été très attristé de voir autant de réfugiés et particulièrement des jeunes qui y sont nés. Les enfants qui sont nés au début de cette occupation ont désormais 40 ou 41 ans. Soit quarante ans d’une vie difficile. Je voulais vraiment leur apporter l’espoir que ce n’est pas la fin du monde pour eux ».
Pour Rabat, la ligne jaune est franchie, le secrétaire général a parlé explicitement d’« occupation » pour désigner le contrôle exercé depuis 1975 par le Maroc sur le Sahara occidental, territoire sur lequel l’ONU n’a pas encore statué.
C’est la première fois que Ban Ki-moon affiche un ton aussi ferme en ce qui concerne la politique saharienne du Maroc. Il ne le fait pas en territoire neutre, mais à partir de Tindouf, commune qui avait été revendiquée par le Maroc jusqu’en 19721. Le chef de la diplomatie marocaine, Salaheddine Mezouar, qui s’est rendu au siège des Nations unies le 14 mars pour y rencontrer Ban Ki-moon, n’a pu observer d’évolution notable dans son attitude. Il maintenait ses propos et exprimait également une réelle ulcération quant à la manifestation qui l’a pris pour cible la veille à Rabat. Le ministre marocain a dû se résoudre à tenter de dissocier l’ONU de son secrétaire général pour mieux jeter le discrédit sur celui qui considère que le Maroc « occupe » le Sahara.
« Dérapage sémantique »
Pour le Maroc, l’usage du terme « occupation » constitue une « rupture de neutralité ». Ban Ki-moon aurait ainsi outrepassé son rôle et sa mission. En réalité, s’il n’avait jusque-là jamais formulé de tels propos, il n’est pas contraint à la neutralité sur les dossiers dont l’ONU a la charge et plus largement sur les conflits en cours. La Charte des nations unies définit son secrétaire général comme une personnalité engagée, autorisée à « attirer l’attention du Conseil de sécurité sur toute affaire qui, à son avis pourrait mettre en danger le maintien de la paix et la sécurité internationales »2. Par delà les grandes lignes qui définissent les pouvoirs et la fonction du diplomate, le secrétaire général dispose d’une marge d’action considérable dans sa mission. Présenté par l’ONU comme « porte-parole des peuples du monde, en particulier ceux qui sont pauvres et vulnérables »3, le secrétaire général doit, dans chacune de ses missions, se prévaloir de son indépendance, de son impartialité et de son intégrité.En évoquant le terme d’occupation — sous-entendant qu’il s’agit d’occupation du Sahara par le Maroc (80 % de l’ancienne colonie espagnole) — Ban Ki-moon dénie au Maroc le droit d’être présent sur ce territoire. Lourdement connoté, le terme n’est bien entendu pas utilisé par hasard. Le secrétaire général aurait pu parler d’« annexion », qui aurait été effectuée en vertu du traité de Madrid signé le 14 novembre 1975 entre le Maroc, l’Espagne et la Mauritanie et portant sur la partition du territoire, même si ce traité, qui a été ratifié par les Cortes generales — le Parlement espagnol — n’a pas été reconnu pour autant par les Nations unies.
Dans un communiqué, le gouvernement marocain note que ce type de « dérapage sémantique qui déroge de façon drastique avec la terminologie traditionnellement utilisée par les Nations unies blesse les sentiments de l’ensemble des Marocains et porte dangereusement atteinte à la crédibilité du secrétaire général des Nations unies. » La tension est d’autant plus importante qu’après la manifestation organisée le 13 mars à Rabat, l’ONU n’a pas tenté d’aplanir les déclarations de son secrétaire général. Son porte-parole a clairement mentionné qu’il s’agissait bien d’un « territoire non autonome dont le statut reste à définir et que les réfugiés sont dans l’incapacité de retourner chez eux dans des conditions satisfaisantes de gouvernance ».
La réponse ne s’est pas fait attendre. Le Maroc a demandé le départ de 84 membres du personnel de la Mission des Nations unies pour l’organisation d’un référendum au Sahara occidental (Minurso) et annoncé l’annulation de la contribution volontaire qu’il accorde à son fonctionnement. Rabat menace également de retirer ses contingents engagés dans des opérations de maintien de la paix (Le Maroc fournit près de 2 300 casques bleus à la Mission de l’Organisation des nations unies pour la stabilisation en République du Congo (Monusco).
Entraves à la mission onusienne
Si la tension n’a jamais atteint ce degré d’importance entre l’ONU et le Maroc, les entraves à la liberté d’action de la mission onusienne ont toujours existé, même si elles ont rarement été dénoncées, et le plus souvent acceptées par les secrétaires généraux qui se sont succédé et leurs envoyés spéciaux dans le Sahara. Depuis 1991, date de la création de la Minurso après l’accord de cessez-le-feu qui prévoyait l’organisation d’un référendum, toutes les missions ont été confrontées aux mêmes types de difficultés. En septembre 1991, alors que la Minurso était chargée d’identifier les Sahraouis natifs de la région pour l’établissement des listes électorales en vue de l’organisation d’un référendum, Hassan II avait ordonné que les Sahraouis, qu’il considérait comme dispersés, soient recensés. Face à de véritables transferts de population venues de diverses provinces marocaines vers Lâayoune pour figurer sur ces listes électorales, le responsable de la Minurso, Johannes Manz avait alors démissionné, déclarant qu’il ne serait pas « le vice-roi du Sahara ».Plus récemment, dans son rapport de 2012 sur la situation du Sahara occidental, le secrétaire général de l’ONU épinglait déjà sans ménagement les entraves au bon fonctionnement de la Minurso par le Maroc. Selon ce rapport, en agissant au Sahara comme sur le territoire marocain, le Maroc brouille la lisibilité du conflit. Le texte mentionne également des exemples de confusion entre le Sahara — territoire non autonome — et le Maroc, comme l’organisation des élections marocaines sur ce territoire, ou encore l’obligation de faire porter aux véhicules de la Minurso des plaques d’immatriculation diplomatiques marocaines, ou encore le déploiement de drapeaux marocains autour du quartier général de la Mission, créant ainsi « une apparence qui soulève des doutes quant à la neutralité de l’ONU ». Le Maroc s’est défendu de ces accusations, considérant que les activités de la mission onusienne se déroulent « dans les limites de la pratique établie ». Or, précise le rapport, « c’est justement la pratique établie qui est au cœur des difficultés auxquelles se heurtent les activités de la Minurso. En effet, l’évolution des contraintes au fil des années empêche de plus en plus la Minurso de s’acquitter de son mandat de manière crédible. ».
Pas plus tard que l’an dernier, dans son rapport annuel de 2015, Ban Ki-moon épinglait notamment le Forum de Crans Montana4 qui se tient chaque année à la mi-mars à Dakhla alors que « le statut définitif du Sahara occidental fait encore l’objet d’un processus de négociation sous l’égide des Nations unies ».
Les « provinces récupérées »
En réalité, c’est dans cette confusion entre le Sahara et le Maroc que réside le point nodal de ce conflit. Depuis le retrait définitif de l’Espagne en 1976, le Maroc a décidé d’intégrer progressivement cette ancienne colonie espagnole dans son espace de souveraineté. Au plan territorial, cette intégration a été pensée comme une extension de l’administration marocaine et une implantation de l’État marocain dans ce que Rabat considère comme « des provinces récupérées ». Cette intégration a été régulièrement confirmée par l’extension des élections nationales dans ces contrées et l’exercice du ministère de l’intérieur. Des événements à caractère international donnent une visibilité à cette politique : ce fut le cas du tracé du rallye Paris-Dakar qui passait par Smara, mentionnant entre parenthèses le Maroc, ainsi que de l’organisation du Forum de Crans Montana qui se tient à Dakhla.Pour Hassan II, qui avait mis en place ce schéma d’intégration, il s’agissait de développer ces « provinces », avant de faire admettre à la communauté internationale le caractère marocain du Sahara. Cet état de fait n’a jamais été dénoncé clairement et ouvertement par les Nations unies, ni par des États comme la France, l’Espagne ou encore les États-Unis. Cette politique saharienne du Maroc se fondait sur « les droits historiques » auxquels se réfère Rabat, mettant régulièrement en avant l’accord de Madrid signé avec l’Espagne et la Mauritanie. Toutefois, Hassan II, qui savait pertinemment que l’accord n’avait pas été reconnu par les Nations unies, répétait à l’envi que « tôt ou tard, il faut que notre titre de propriété du Sahara soit déposé à la conservation foncière des Nations unies »5.
En l’absence de ce titre de propriété auquel tenait Hassan II, la politique d’intégration connaît des limites relatives à la gestion par le Maroc des ressources de ce territoire comme à sa population. En décembre 2015, la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) a décidé d’annuler l’accord agricole et de pêche avec le Maroc au motif que cet accord « ne présente pas les garanties nécessaires pour que les ressources de la région du Sahara profitent aux habitants locaux ». Plus loin dans le temps, en novembre 2009, la question des rapports politiques entre Sahraouis et pouvoir marocain s’est posée à travers la grève de la faim entamée par Aminatou Haidar. Cette icône de la résistance sahraouie rentrait en effet de New York où elle recevait le prix du courage qui lui avait été décerné par la Train Foundation. À l’aéroport de Lâayoune, elle a indiqué « Sahara occidental » pour désigner son lieu de résidence et laissé vide la case réservée à la nationalité. Les autorités marocaines l’ont alors expulsée vers les Canaries. Refusant de quitter l’aéroport, elle entamait une grève de la faim qui a duré un mois. Elle a refusé la nationalité espagnole que lui proposait Madrid, de même que le statut de réfugiée. Elle a seulement dit désirer rentrer chez elle au Sahara, sans jamais consentir à considérer qu’il s’agit d’une région du Maroc. En refusant son entrée, Rabat voulait amener la communauté internationale à condamner l’attitude de la militante. Or, Madrid et les Nations unies se sont bien gardés d’émettre un avis sur la question. Aminatou Haidar a finalement pu regagner son domicile à Lâayoune.
L’urgence d’un règlement négocié
Ces quelques exemples, qui pourraient être multipliés, montrent que le contrôle exercé par Rabat sur le Sahara au niveau des personnes et des ressources a des limites. Fort de l’appui des États-Unis et de la France, le Maroc croit pouvoir se passer d’un règlement juridique du conflit. En proposant en 2007 un plan d’autonomie que les États occidentaux jugèrent crédible et sérieux, Rabat a refusé de discuter avec la partie adverse. À la fois juge et partie dans le règlement de ce conflit, le royaume s’est en quelque sorte substitué à l’ONU. Mais au-delà de ces manœuvres politiciennes, il faut aussi considérer le fait que le Maroc est aujourd’hui incapable de négocier la souveraineté d’un territoire qu’il considère comme le sien et gère sans obstacles majeurs depuis quarante ans.Compte tenu de cette réalité, les propos de Ban Ki-moon paraissent incongrus et quelque peu incompréhensibles. Beaucoup se demandent ce qui a pu inciter cet homme affable à engager un conflit aussi violent avec le Maroc. Les hypothèses sont nombreuses. Le secrétaire général est en fin de mandat, il se sent sans doute plus libre dans l’expression de griefs déjà existants dans ses rapports annuels qu’il décide aujourd’hui de rendre publics. Malgré son apparente amabilité, pour ceux qui suivent le dossier du Sahara, Ban Ki-moon n’a pourtant jamais fait de concessions à Rabat. En 2012, suite à la parution de son rapport annuel sur le Sahara, le Maroc a demandé le renvoi de Christopher Ross, son envoyé spécial. Contrairement à ses prédécesseurs qui ont mis fin à la mission de leurs envoyés spéciaux, Ban Ki-moon l’a cependant maintenu dans ses fonctions.
Depuis quelques années déjà, Christopher Ross tente d’attirer l’attention sur les difficultés de l’ONU à gérer ce conflit auquel il souhaitait réellement trouver un dénouement, pour deux raisons qui lui paraissent essentielles. La première est relative à la situation des Sahraouis, population oubliée et sans perspective d’avenir qui se trouve confinée dans des camps. La seconde a trait à la géopolitique régionale, puisqu’il s’agit d’une région où l’on voit s’implanter les acteurs du djihadisme international, Al-Qaida au Maghreb islamique (AQMI) et l’organisation de l’État islamique (OEI). La fin du conflit du Sahara occidental éviterait de donner aux Sahraouis aguerris et qui maîtrisent bien la zone l’occasion de rejoindre les groupes djihadistes. Aujourd’hui, si les connexions ne sont pas avérées, on ne peut écarter d’un revers de manche cette éventualité.
1Tindouf a été au centre des revendications territoriales marocaines visant à l’accomplissement du « Grand Maroc »,
carte dessinée par le parti Istiqlal, puis par le pouvoir marocain qui
mentionne les territoires revendiqués par le Maroc au nom des ses « droits historiques ». La « guerre des sables »
(1963) qui oppose le Maroc à l’Algérie et porte sur l’absence de tracé
frontalier entre les deux pays commence à Tindouf. Alger refuse de
reconsidérer les frontières héritées de la période coloniale. La
controverse sur l’appartenance de Tindouf a pris fin le 15 juin 1972
avec la signature d’un accord frontalier algéro-marocain qui a été
ratifié en 1973 par l’Algérie et en 1992 par le Maroc, consacrant
l’appartenance de Tindouf à l’Algérie.
3« Le rôle du secrétaire général », site de l’ONU.
4Organisation
internationale non gouvernementale suisse née en 1986. Ses forums,
organisés à travers le monde et qui rassemblent chefs d’entreprises et
acteurs politiques, sont très médiatisés.
5Entretien dans Le Monde du 2 septembre 1992.
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