AMNESTY INTERNATIONAL
DÉCLARATION PUBLIQUE
5 novembre 2015
Maroc. Les 21 Sahraouis incarcérés il y a cinq ans doivent être
libérés ou rejugés
libérés ou rejugés
Appel lancé conjointement par des organisations de
défense des droits à l'occasion de l'anniversaire des affrontements
(Rabat, le 5 novembre 2015) – Les autorités
marocaines doivent libérer les 21 prisonniers qui purgent de longues
peines de réclusion liées aux mouvements de protestation de 2010 au Sahara
occidental qui ont entraîné des morts ou leur accorder un procès équitable
devant un tribunal civil, et enquêter sur toutes les allégations de torture,
ont déclaré quatre organisations de défense des droits humains le
5 novembre.
Le 8 novembre 2010, les forces de sécurité
marocaines ont démantelé le camp de protestation installé par des Sahraouis un
mois auparavant à Gdeim Izik, au Sahara occidental, placé sous le contrôle du
Maroc. Onze membres des forces de sécurité et deux civils sont morts lors des
troubles qui ont eu lieu dans le camp et à El-Ayoun, la ville principale du
Sahara occidental. Le 17 février 2013, un tribunal militaire a condamné
25 hommes, parmi lesquels se trouvaient des militants des droits humains,
pour leur rôle présumé dans les violences qui ont fait des morts, à l'issue de
procès marqués par de graves irrégularités.
« Les familles de ceux qui ont perdu la vie en
novembre 2010 ont le droit d'obtenir justice, a déclaré Sarah Leah Whitson,
directrice de la division Moyen-Orient et Afrique du Nord à Human Rights Watch.
Toutefois, ce n'est certainement pas rendre la justice que d'enfermer un groupe
de Sahraouis reconnus coupables par un tribunal militaire sur la base d'aveux
qui auraient été obtenus par la contrainte ou par la torture, alors qu'aucun
autre élément de preuve ne les relie à ces homicides. »
Les organisations signataires de ce communiqué sont Human Rights Watch, Amnesty International,
l'Action des chrétiens pour l'abolition de la torture et l'Association
sahraouie des victimes des violations graves commises par l’État marocain.
Deux des 25 hommes ont purgé leur peine et été remis
en liberté, un troisième a été condamné par contumace, et un quatrième a été
libéré de façon provisoire pour raisons de santé. Les 21 autres purgent
des peines allant de 20 ans d'emprisonnement à la réclusion à perpétuité.
Le tribunal s'est basé presque exclusivement sur des déclarations faites par
ces hommes pour rendre son verdict, et il n'a pas enquêté sur les allégations
des accusés selon lesquelles la police les a torturés pour les forcer à signer
de fausses déclarations.
Si les autorités rejugent les accusés, elles doivent
respecter le principe du droit international relatif aux droits humains de
présomption de libération dans l'attente du procès, à moins qu'un juge n'estime
qu'il existe des motifs valables justifiant leur détention, ont déclaré les organisations.
S'il est établi qu'ils ont été victimes d'une erreur judiciaire, l'État doit
alors les dédommager, en vertu de l'article 14, paragraphe 6 du Pacte
international relatif aux droits civils et politiques, que le Maroc a ratifié
en 1979. La Constitution marocaine, dans son article 122, accorde un droit
à réparation de la part de l'État à la victime d'une « erreur
judiciaire »
Les 21 accusés emprisonnés se trouvent dans la
prison de Salé, à 1 200 kilomètres de leurs familles au Sahara
occidental. Parmi eux se trouvent Naâma Asfari, Ahmed Sbaï et Mohamed Tahlil,
tous trois membres d'organisations sahraouies de défense des droits humains qui
contestent la mainmise du Maroc sur ce territoire.
En octobre 2010, plusieurs milliers de Sahraouis ont
installé un camp avec des tentes à Gdeim Izik pour appuyer une série de
revendications concernant des droits sociaux et économiques. Les autorités
marocaines ont entamé des négociations avec des dirigeants du mouvement de
protestation, mais à un certain stade elles ont décidé d'obliger les
protestataires à partir. Tôt dans la matinée du 8 novembre, les forces de
sécurité sont arrivées pour démanteler le camp, et il s'en est suivi de
violentes confrontations qui ont gagné la ville d'El-Ayoun, non loin du camp.
Les autorités ont arrêté des centaines de Sahraouis, mais
elles les ont finalement relâchés à l'exception de 22 d'entre eux qui ont
été déférés devant un tribunal militaire et inculpés pour la plupart
d'« association de malfaiteurs » et de participation à des violences
commises contre les forces de l'ordre ayant entraîné « la mort, avec
l'intention de la donner », ou de complicité. Deux de ces hommes ont aussi
été accusés d'avoir souillé un cadavre. Au cours des mois qui ont précédé le
procès, les autorités ont arrêté deux autres personnes dans cette même affaire
et libéré à titre provisoire un des accusés pour raisons de santé ; un
autre accusé a été jugé par contumace.
Les comptes rendus judiciaires montrent que la plupart
des accusés ont déclaré tôt dans la procédure judiciaire que la police les
avait soumis à la torture ou à d'autres formes de contrainte pour qu'ils
signent de fausses déclarations. Plusieurs accusés ont dit au juge
d’instruction que la police ne leur avait même pas permis de lire ces déclarations
avant de les signer, et qu'ils n'avaient été informés de leur contenu que plus
tard.
Quand le procès a enfin débuté, 27 mois après les
événements, les accusés ont tous nié les charges retenues contre eux. Beaucoup
ont redit qu'ils avaient été torturés et contraints à signer de fausses
déclarations les incriminant. Le juge a maintenu la publicité du procès – y
compris pour les observateurs mandatés par plusieurs des organisations qui
publient ce communiqué – et permis de manière générale aux accusés de
s'exprimer, mais il n'a pas ordonné d'enquête sur les allégations des accusés
faisant état de mauvais traitements et de déclarations falsifiés, et il a
finalement accepté de recevoir ces déclarations en tant que preuves suffisantes
pour prononcer des verdicts de culpabilité.
L'accusation n'a présenté aucun témoin ni aucune preuve
matérielle permettant d'établir de façon décisive un lien entre les accusés et
les homicides. Elle a produit devant la cour des armes que la police a
prétendument saisies dans le camp, mais aucune preuve établissant un lien entre
ces armes et les accusés, en dehors de leurs « aveux ». La cour a
rejeté les demandes de la défense visant à faire pratiquer des tests d'ADN sur
les armes afin de savoir s'il existait un lien entre ces armes et les accusés.
La cour a également rejeté les requêtes de la défense
demandant que les policiers ayant enregistré les déclarations des accusés
soient cités à comparaître. Aucun rapport d'autopsie n'a été produit au cours
du procès afin de déterminer comment et quand chacun des membres des forces de
l'ordre était mort.
Le fait de juger des civils devant des tribunaux
militaires est contraire aux dispositions des normes internationales relatives
aux droits humains, ont déclaré les organisations. De plus, la législation marocaine ne permet
pas aux accusés jugés par une juridiction militaire d'avoir accès à tous les
moyens de recours disponibles devant la justice civile. Les accusés jugés par
une juridiction militaire ne peuvent déposer un recours que devant la Cour de
cassation, qui examine les questions d'erreurs de procédure, de compétence,
d'abus de pouvoir ou d'application de la loi. La Cour de cassation a reçu les
recours des accusés de Gdeim Izik en mars 2013 mais elle n'a toujours pas rendu
de décision.
Une loi entrée en vigueur en juillet a modifié la loi
marocaine sur la justice militaire afin de soustraire les civils à la
compétence des tribunaux militaires. Cette nouvelle loi ne mentionne pas le
statut judiciaire des civils emprisonnés par des tribunaux militaires avant son
entrée en vigueur.
La Constitution marocaine de 2011 garantit le droit à un
procès équitable dans ses articles 23 et 120. L'article 109
dispose : « Tout manquement de la part du juge à ses devoirs
d’indépendance et d’impartialité, constitue une faute professionnelle grave,
sans préjudice des conséquences judiciaires éventuelles. » La Constitution
interdit également en toutes circonstances les actes de torture ou les actes
« cruels, inhumains, dégradants ou portant atteinte à la dignité »
(article 22).
La Convention des Nations unies contre la torture et
autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, que le Maroc a
ratifiée en 1993, oblige les États parties à abolir la torture et les autres
formes de mauvais traitements et aussi à empêcher que de tels actes ne portent
atteinte au droit à un procès équitable. Elle accorde aux victimes de torture
le droit de porter plainte devant les autorités qui doivent procéder
immédiatement et impartialement à l'examen de leur cause (article 13).
Elle prévoit en outre que les États parties doivent veiller à ce que « toute
déclaration dont il est établi qu’elle a été obtenue par la torture ne puisse
être invoquée comme un élément de preuve dans une procédure, si ce n’est contre
la personne accusée de torture pour établir qu’une déclaration a été
faite » (article 15). Aux termes de la Convention, les autorités sont
aussi tenues d'enquêter sur toute allégation de torture même en l'absence d'une
plainte officielle.
Le Maroc a modifié son Code pénal afin de définir et
d'ériger en infraction pénale la torture (articles 224 à 232), et son Code
de procédure pénale afin que les aveux obtenus par la « violence » ou
la « contrainte » ne puissent pas être utilisés en tant que preuve
(article 293). En pratique, les tribunaux n'enquêtent quasiment jamais sur
les allégations selon lesquelles des aveux ont été obtenus par la torture ou la
contrainte avant de recevoir à titre de preuve de tels aveux, sur lesquels est
alors principalement fondée la déclaration de culpabilité.
En 2012, le rapporteur spécial des Nations unies sur la
torture a demandé au Maroc de « renforcer les moyens médicolégaux du
parquet et des tribunaux » et « de donner effet au droit de plainte
et de faire en sorte que les défendeurs qui comparaissent devant le mécanisme
aient une bonne chance de formuler leurs allégations au sujet des tortures et
des mauvais traitements qu’ils ont pu subir » aux mains de la police ou
des services de renseignement.
« Le Maroc a pris une mesure positive cette année en
mettant fin aux procès militaires pour les civils, a déclaré Said Boumedouha,
directeur adjoint d’Amnesty International pour l'Afrique du Nord et le
Moyen-Orient. Il doit à présent faire en sorte que les personnes injustement
condamnées par un tribunal militaire peu avant l'entrée en vigueur de la
nouvelle loi, et emprisonnées depuis de longues années, obtiennent
justice. »
Document public
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Pour en savoir plus, veuillez prendre contact avec :
À Washington, DC, Eric Goldstein (anglais, français)
+1-917-519-4736 (mobile) ; ou goldstr@hrw.org, Twitter : @goldsteinricky
À Washington, DC, Ahmed Benchemsi (anglais, arabe,
français) +1-929-343-7973 (mobile) ou
+1-202-612-4345 ; ou benchea@hrw.org Twitter : @AhmedBenchemsi
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À Paris, Pierre Motin (français, anglais)
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À Londres, Sara Hashash (anglais, français, espagnol) +44
(0) 20 7413 5511 ou
+44 (0) 7831640170 (mobile) ; ou sara.hashash@amnesty.org, Twitter : @sarahashashAmnesty
+44 (0) 7831640170 (mobile) ; ou sara.hashash@amnesty.org, Twitter : @sarahashashAmnesty
Liste des accusés avec les charges pour lesquelles ils
ont été condamnés et les peines prononcées contre eux :
Nom
|
Charges pour lesquelles ils ont été condamnés
|
Peine prononcée
|
Ahmed Sbaï
|
Appartenance à une association de malfaiteurs,
violences contre un agent de la force publique ayant entraîné la mort avec
l'intention de la donner
|
Réclusion à perpétuité
|
Mohamed Bachir Boutanguiza
|
Appartenance à une association de malfaiteurs,
violences contre un agent de la force publique ayant entraîné la mort avec
l'intention de la donner, avoir souillé un cadavre
|
Réclusion à perpétuité
|
Sidi Abdallah Abhah
|
Appartenance à une association de malfaiteurs,
violences contre un agent de la force publique ayant entraîné la mort avec
l'intention de la donner, avoir souillé un cadavre
|
Réclusion à perpétuité
|
Mohamed Bani
|
Appartenance à une association de malfaiteurs,
violences contre un agent de la force publique ayant entraîné la mort avec
l'intention de la donner
|
Réclusion à perpétuité
|
Brahim Ismaïli
|
Appartenance à une association de malfaiteurs,
complicité de violences contre un agent de la force publique ayant entraîné
la mort avec l'intention de la donner
|
Réclusion à perpétuité
|
Sidahmed Lemjayed
|
Appartenance à une association de malfaiteurs,
violences contre un agent de la force publique ayant entraîné la mort avec
l'intention de la donner, complicité de violences contre un agent de la force
publique ayant entraîné la mort avec l'intention de la donner
|
Réclusion à perpétuité
|
Abdallah Lekhfawni
|
Appartenance à une association de malfaiteurs,
violences contre un agent de la force publique ayant entraîné la mort avec
l'intention de la donner
|
Réclusion à perpétuité
|
Abdeljalil Laâroussi
|
Appartenance à une association de malfaiteurs,
violences contre un agent de la force publique ayant entraîné la mort avec
l'intention de la donner
|
Réclusion à perpétuité
|
Hassanna Alia (jugé par contumace)
|
La version écrite du verdict de la cour ne contient
apparemment pas la liste des charges
|
Réclusion à perpétuité
|
Naâma Asfari
|
Appartenance à une association de malfaiteurs,
complicité de violences contre un agent de la force publique ayant entraîné
la mort avec l'intention de la donner
|
30 ans
|
Hassan Dah
|
Appartenance à une association de malfaiteurs et
complicité de violences contre un agent de la force publique ayant entraîné
la mort avec l'intention de la donner
|
30 ans
|
Cheikh Banga
|
Appartenance à une association de malfaiteurs et
complicité de violences contre un agent de la force publique ayant entraîné
la mort avec l'intention de la donner
|
30 ans
|
Mohamed Bourial
|
Formation d'une association de malfaiteurs, violences
contre un agent de la force publique dans l'exercice de ses fonctions ayant
entraîné la mort
|
30 ans
|
Mohamed Tahlil
|
Appartenance à une association de malfaiteurs,
complicité de violences contre un agent de la force publique ayant entraîné
la mort avec l'intention de la donner
|
20 ans
|
Mohamed Lamine Haddi
|
Appartenance à une association de malfaiteurs et
complicité de violences contre un agent de la force publique
|
25 ans
|
Abdallah Toubali
|
Formation d'une association de malfaiteurs, violences
contre un agent de la force publique ayant entraîné la mort avec l'intention
de la donner, participation à et complicité de violences (les charges ont été
modifiées au cours du procès)
|
25 ans
|
Hocine Zaoui
|
Formation d'une association de malfaiteurs, complicité
de violences contre un agent de la force publique ayant entraîné la mort avec
l'intention de la donner, complicité de violences, avoir souillé un cadavre
(les charges ont été modifiées au cours du procès)
|
25 ans
|
Daich Daf
|
Formation d'une association de malfaiteurs, complicité
de violences contre un agent de la force publique ayant entraîné la mort avec
l'intention de la donner
|
25 ans
|
Mohamed Embarek Lefkir
|
Appartenance à une association de malfaiteurs,
complicité de violences contre un agent de la force publique ayant entraîné
la mort avec l'intention de la donner (les charges ont été modifiées au cours
du procès)
|
25 ans
|
Mohamed Khouna Babeit
|
Appartenance à une association de malfaiteurs,
violences contre un agent de la force publique ayant entraîné la mort avec
l'intention de la donner
|
25 ans
|
Larbi Elbakai
|
Appartenance à une association de malfaiteurs,
violences contre un agent de la force publique ayant entraîné la mort avec
l'intention de la donner
|
25 ans
|
Mohamed el Ayoubi (jugé pendant sa libération
provisoire pour raisons de santé)
|
Appartenance à une association de malfaiteurs,
violences contre un agent de la force publique ayant entraîné la mort avec
l'intention de la donner
|
20 ans (en liberté provisoire pour raisons de santé)
|
Bachir Khadda
|
Entente de malfaiteurs, complicité de violences contre
un agent de la force publique ayant entraîné la mort avec l'intention de la
donner
|
20 ans
|
Taki el Machdoufi
|
Voies de fait avec préméditation contre des agents de
la force publique dans l'exercice de leurs fonctions (les charges ont été
modifiées au cours du procès)
|
Condamné à une peine qu'il a purgée (2 ans) et remis en
liberté
|
Sidi Abderrahmane Zayou
|
Participation à des voies de fait avec préméditation
contre des agents de la force publique dans l'exercice de leurs fonctions
(les charges ont été modifiées au cours du procès)
|
Condamné à une peine qu'il a purgée (2 ans) et remis en
liberté
|
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