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samedi 5 septembre 2015

AI - Ne pas oublier : Maroc. Au royaume de la torture, l’impunité est reine


Maroc. Au royaume de la torture, l’impunité est reine

Par Rosa Moussaoui,  L'Humanité, 20/5/2015

Photo : Paul Schemm /AP
Le rapport d’Amnesty international a aussi été présenté à Rabat, au Maroc. Au cours de la conférence de presse, Abderrazak Jkaou, a témoigné des coups reçus par la police marocaine.
Photo : Paul Schemm /AP

Amnesty International a recueilli les témoignages de 173 victimes de torture et de traitements inhumains et dégradants. Le rapport de l’ONG brise l’image d’un pays respectueux des droits humains que veulent cultiver Mohammed VI et ses soutiens occidentaux, Paris en tête.
«Ils ont menacé de me violer avec une bouteille – ils ont amené une bouteille devant moi. (…) Ils m’ont fouetté la plante des pieds avec des cordes, tandis que j’étais suspendu dans la position du poulet rôti et ils ont aussi trempé mes pieds dans de l’eau glacée. (…) Alors que j’étais suspendu, ils m’ont mis une serviette dans la bouche et m’ont versé de l’eau dans le nez pour me faire étouffer. Ils ont ensuite versé de l’urine. Puis ils m’ont (…) déshabillé, me laissant en sous-vêtements et m’ont fouetté les cuisses à l’aide de ceintures. » Ce sont des policiers marocains qui ont infligé ces sévices à Mohammed Ali Sadi, un Sahraoui de vingt-sept ans, après son arrestation dans une manifestation à Laayoune, au mois de mai 2013. 

Son témoignage et celui de 172 autres victimes de torture et de traitements inhumains et dégradants ont été recueillis par Amnesty International. L’ONG a dévoilé, hier, un rapport accablant, « L’ombre de l’impunité : la torture au Maroc et au Sahara occidental », qui brise l’image d’un pays ouvert, respectueux des droits humains, si chère à Mohammed VI et à ses soutiens occidentaux, Paris en tête.
 « Les coups, le maintien dans des positions douloureuses, l’asphyxie, les simulacres de noyade ainsi que les violences psychologiques ou sexuelles font partie des méthodes de torture employées par les forces marocaines de sécurité afin d’extorquer des “aveux”, de réduire des militants au silence et d’étouffer la dissidence », constate Amnesty International. 

Les tortionnaires n’attendent pas d’être dissimulés dans l’ombre des cellules de garde à vue ou de prison pour laisser libre cours à leur violence. Celle-ci se déchaîne dès l’arrestation, sur la voie publique, au vu et au su de tous, comme pour entretenir un climat de terreur, puis dans les véhicules de police où les coups pleuvent sur les personnes interpellées. Il est impossible de mesurer avec exactitude l’ampleur de ces pratiques tortionnaires, la plupart des victimes se murant dans le silence par crainte de nouveaux sévices. Mais la torture n’épargne aucune région, aucun profil : opposants politiques, militants de l’autodétermination du Sahara occidental, suspects d’infractions de droit commun. Depuis les attentats de Casablanca, en 2003, la « lutte contre le terrorisme » tient aussi lieu d’argument ultime pour donner carte blanche aux responsables d’actes de torture. Soupçonné d’avoir participé à un programme américain de sous-traitance de la torture, le Maroc n’a jamais fait la lumière sur les nombreux cas présumés de détention secrète.

Ceux qui osent dénoncer la torture s’exposent à de graves poursuites

« Dans la quasi-totalité des cas de poursuites judiciaires examinées par Amnesty International, les tribunaux se sont basés, parfois exclusivement, sur des “aveux” obtenus sous la contrainte pour prononcer des condamnations, alors que la législation marocaine interdit l’utilisation de tels éléments dans les procédures  », indique le rapport. Victimes renvoyées sur le banc des accusés, ceux qui osent dénoncer la torture s’exposent à des poursuites pour « dénonciation calomnieuse » ou « fausse dénonciation d’une infraction », mettant ainsi le doigt dans un engrenage judiciaire infernal qui assure l’impunité aux tortionnaires. C’est ce qui est arrivé à Wafae Charaf et Oussama Housne, ces deux défenseurs des droits de l’homme qui croupissent en prison après une condamnation pour « allégations mensongères » et « diffamation ». C’est ce qui est arrivé, aussi, au boxeur franco-marocain Zakaria Moumni, enlevé et torturé par les services marocains, finalement poursuivi et condamné pour « escroquerie » tandis que ses tortionnaires tentaient de salir sa réputation par la diffusion de grossiers photomontages à caractère pornographique.La plainte déposée en France en février 2014 par ce sportif contre le chef du contre-espionnage marocain, Abdellatif Hammouchi, et le secrétaire particulier du roi, Mounir Majidi, avait déclenché l’ire du Palais et assombri les relations entre Paris et Rabat, qui a suspendu l’accord de coopération judiciaire entre les deux pays. Le parquet de Paris, qui a conclu l’enquête préliminaire, appelle aujourd’hui la justice marocaine à se saisir du dossier. S’il est peu probable que des poursuites soient engagées au Maroc, cette démarche de la justice française prouve, selon Zakaria Moumni, que ses allégations « ont été prises au sérieux et jugées suffisamment solides malgré toutes les tentatives pour les décrédibiliser ». 
Abellatif Hamouchi, lui, peut dormir tranquille. Visé par d’autres plaintes déposées par l’Association des chrétiens pour l’abolition de la torture (Acat) devant le comité contre la torture des Nations unies et devant la justice française, il vient d’être promu chef de la police par Mohammed VI. Mieux, ce tortionnaire en chef est invité à Paris, au mois de juin, pour y recevoir les insignes d’officier de la Légion d’honneur (voir l’Humanité du 17 février 2015). Pour quels services rendus à la France ? Mystère.
Cette indécente breloque résume à elle seule la complaisance de la France pour un régime qui tourne le dos aux principes élémentaires de l’État de droit. Le roi du Maroc n’a-t-il pas bénéficié du soutien appuyé de la diplomatie française dans sa croisade contre l’élargissement du mandat de la Minurso, la force onusienne au Sahara Occidental, à la surveillance des droits de l’homme ? Ces petits arrangements entre amis pourraient être bientôt gravés jusque dans le nouvel accord de coopération judiciaire que la France et le Maroc ont signé en février, bientôt soumis à l’approbation des députés. « Quatre des personnes poursuivies par les autorités marocaines ont porté plainte devant des tribunaux français du fait de leur double nationalité ou de leur statut de conjoint d’un ressortissant français. Il pourrait devenir impossible d’intenter ce type d’action en justice si l’Assemblée nationale approuve un accord visant à faire en sorte que les tribunaux français ne soient plus compétents pour se prononcer sur les violations commises au Maroc », alerte Amnesty International. Aux témoignages détaillés et circonstanciés recueillis par l’ONG, Rabat oppose un démenti global, que n’étaye aucune enquête. Loin des belles intentions affichées dans la Constitution de 2011 pour désamorcer l’élan de contestation du 20 février, le maintien d’un système qui protège les tortionnaires plutôt que leurs victimes prouve que le Maroc n’a pas rompu avec les sombres pratiques des années de plomb. Depuis la communication du rapport aux autorités marocaines, les représentants d’Amnesty International, eux, sont persona non grata au Maroc…

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