Patrick Nussbaum, L'Humanité, 23/2/2015
Les chibanis évacués manu militari à Paris jeudi de leur
« hôtel » insalubre continuent la lutte pour un relogement respectueux de leur
dignité.
La gérante et la société propriétaire assignées par les locataires
« Selon le PV d’évacuation remis aux locataires, un nouvel arrêté a
été signé le 10 février, explique Jean-Baptiste Eyraud, militant de Droit au
logement (DAL), qui accompagne les habitants depuis le début de leur lutte, en
juin 2014. Le même jour, le tribunal d’instance renvoyait l’audience au mois de
mai. » Il fait ainsi allusion à l’affaire dans laquelle les locataires avaient
assigné la gérante de l’hôtel et la société propriétaire des murs, pour
demander la réparation du préjudice subit, depuis de nombreuses années, en
payant leur loyer pour un logement insalubre et laissé à l’abandon. Un rapport
du service d’inspection de la salubrité et de la prévention des risques, daté
du 17 octobre 2014, constatait, en effet, que la gérante et le gardien venaient
de quitter les lieux définitivement. « La PP aurait pu informer les locataires,
ou le DAL du nouvel arrêté, continue Jean-Baptiste Eyraud, désœuvré. Mais ça
n’a pas été le cas… » Depuis la disparition de la gérante, les locataires
s’étaient organisés pour faire face aux charges et à l’entretien. « Quand on a
quitté l’hôtel, il était en meilleur état qu’avant son départ, ironise Mohamed.
On est resté pour revendiquer nos droits. On ne voulait pas habiter au 73 à
tout prix, mais on n’allait pas non plus dormir à la rue, à nos âges.
L’immeuble est dans cet état depuis longtemps. On aurait pu y rester en
attendant le relogement. » Plusieurs élus municipaux dénoncent en effet un
excès de zèle de la préfecture aux commandes d’une expulsion « inutile et traumatisante ».
Un processus de relogement, à l’initiative de Ian Brossat, adjoint (PCF) de la
Ville de Paris, est en cours depuis plusieurs mois. L’élu assure que tout a été
mis en place pour que les locataires soient « tous relogés définitivement, dans
Paris, d’ici au 30 juin ». En attendant d’être relogés, les chibanis avaient
pris acte des motifs de « l’interdiction immédiate d’habiter » émise, en
décembre, par la préfecture de police : l’absence de gardien formé à la
sécurité incendie, et les dysfonctionnements du dispositif extérieur de coupure
de la chaudière. Dans un courrier, daté du 30 décembre, adressé au préfet de
police, ils s’engageaient donc « à recruter un gardien diplômé » et faisaient
part, concernant l’autre raison évoquée, de « besoin d’information technique »
avant de mettre en œuvre les travaux. « Ils n’ont jamais répondu, accuse
Mohamed. Ils ont préféré débarquer à l’improviste, de façon musclée et
violente. » Et Djamal d’ajouter, moqueur : « Ils ont envoyé un escadron pour
évacuer des papis ! »
La police leur a laissé à peine le temps de prendre de quoi s’habiller
Une évacuation qui, par ailleurs, n’est pas encore complètement
terminée. Hier matin, les chibanis continuaient de s’inquiéter pour leurs biens
restés sur place. Jeudi, la police leur a laissé à peine le temps de prendre de
quoi s’habiller. « Les vêtements, la vaisselle, nos albums photos, pour
certains, leurs papiers, sont restés là-bas, s’émeut Youcef. Ça faisait seize
ans que j’habitais l’immeuble. S’il nous avait donné un délai, on aurait pu
s’organiser et partir tranquillement. » Pour l’heure, leurs effets personnels
sont stockés par la préfecture. Les expulsés espèrent pouvoir les récupérer
dans la semaine. Journal sous le bras et cigarillo aux lèvres, Mohamed promet,
qu’avec l’aide du DAL, ils continueront « à mettre la pression pour que les
propositions de relogements aboutissent. Ça traîne, insiste-t-il. Il ne
faudrait pas qu’en juin ils trouvent un prétexte pour nous mettre dehors. »
Pour ce cuisinier retraité, travaillant en France depuis 1968, la lutte est une
question de respect et de dignité. Notions qui lui ont permis de garder la tête
haute face aux agents de la préfecture, jeudi matin. « Il y avait dix camions,
décrit-il. Une véritable rafle. Tout le voisinage observait la scène. Avec
quatre autres habitants de l’hôtel, nous avons refusé de monter dans les bus de
la police. Nous n’avons pas cédé et nous nous sommes rendus au foyer par nos
propres moyens. »
Le visage encore cerné par la colère, hier matin, Mohamed Amrouni
partage un café avec ses compagnons d’infortunes expulsés, jeudi, de l’hôtel
situé au 73, boulevard du Faubourg-Saint-Antoine, à Paris. « Je ne leur
pardonnerai pas cette opération, lâche le retraité, né en 1949 dans l’Algérie
d’avant l’indépendance. C’est une trahison. On nous avait dit qu’on serait
tranquille jusqu’à la fin de la trêve hivernale, le 31 mars prochain. »
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