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mercredi 25 février 2015

Chibanis « Un escadron pour expulser des papis »

Patrick Nussbaum, L'Humanité, 23/2/2015

Les chibanis évacués manu militari à Paris jeudi de leur « hôtel » insalubre continuent la lutte pour un relogement respectueux de leur dignité.
Le 19 février, à 6 h 30, leur immeuble a été investi par les CRS venus faire appliquer un « arrêté de péril grave et imminent » signé, dix jours plus tôt, par la préfecture de police de Paris (PP). « Devant chaque porte, deux policiers et, en bas, une dame qui nous demandait de monter dans les camions », décrit Youcef Ferkous, soixante-douze ans, attablé à côté de Mohamed, dans un bar du 13e arrondissement, proche d’un ancien foyer SNCF réquisitionné par la Mairie pour les hébergements d’urgence. Trente-trois personnes ont ainsi été évacuées de leur logement et placées dans des bus pour être conduites dans cet immeuble gris et sans âme. « Ils nous font vivre dans des piaules vides, s’indigne Mohamed. Quatre murs et même pas une chaise. Pour dormir, il y a un simple lit de camp. La cuisine est collective et on n’a le droit de recevoir personne. » Assis à la droite de Youcef, Djamal n’a que trente-sept ans et fait lui aussi partie des expulsés. Chômeur depuis plusieurs semaines, séparé de sa compagne, il s’inquiète, pour sa part, de ne pouvoir accueillir ses enfants dans ce nouveau logement provisoire.

La gérante et la société propriétaire assignées par les locataires

« Selon le PV d’évacuation remis aux locataires, un nouvel arrêté a été signé le 10 février, explique Jean-Baptiste Eyraud, militant de Droit au logement (DAL), qui accompagne les habitants depuis le début de leur lutte, en juin 2014. Le même jour, le tribunal d’instance renvoyait l’audience au mois de mai. » Il fait ainsi allusion à l’affaire dans laquelle les locataires avaient assigné la gérante de l’hôtel et la société propriétaire des murs, pour demander la réparation du préjudice subit, depuis de nombreuses années, en payant leur loyer pour un logement insalubre et laissé à l’abandon. Un rapport du service d’inspection de la salubrité et de la prévention des risques, daté du 17 octobre 2014, constatait, en effet, que la gérante et le gardien venaient de quitter les lieux définitivement. « La PP aurait pu informer les locataires, ou le DAL du nouvel arrêté, continue Jean-Baptiste Eyraud, désœuvré. Mais ça n’a pas été le cas… » Depuis la disparition de la gérante, les locataires s’étaient organisés pour faire face aux charges et à l’entretien. « Quand on a quitté l’hôtel, il était en meilleur état qu’avant son départ, ironise Mohamed. On est resté pour revendiquer nos droits. On ne voulait pas habiter au 73 à tout prix, mais on n’allait pas non plus dormir à la rue, à nos âges. L’immeuble est dans cet état depuis longtemps. On aurait pu y rester en attendant le relogement. » Plusieurs élus municipaux dénoncent en effet un excès de zèle de la préfecture aux commandes d’une expulsion « inutile et traumatisante ». Un processus de relogement, à l’initiative de Ian Brossat, adjoint (PCF) de la Ville de Paris, est en cours depuis plusieurs mois. L’élu assure que tout a été mis en place pour que les locataires soient « tous relogés définitivement, dans Paris, d’ici au 30 juin ». En attendant d’être relogés, les chibanis avaient pris acte des motifs de « l’interdiction immédiate d’habiter » émise, en décembre, par la préfecture de police : l’absence de gardien formé à la sécurité incendie, et les dysfonctionnements du dispositif extérieur de coupure de la chaudière. Dans un courrier, daté du 30 décembre, adressé au préfet de police, ils s’engageaient donc « à recruter un gardien diplômé » et faisaient part, concernant l’autre raison évoquée, de « besoin d’information technique » avant de mettre en œuvre les travaux. « Ils n’ont jamais répondu, accuse Mohamed. Ils ont préféré débarquer à l’improviste, de façon musclée et violente. » Et Djamal d’ajouter, moqueur : « Ils ont envoyé un escadron pour évacuer des papis ! »

La police leur a laissé à peine le temps de prendre de quoi s’habiller

Une évacuation qui, par ailleurs, n’est pas encore complètement terminée. Hier matin, les chibanis continuaient de s’inquiéter pour leurs biens restés sur place. Jeudi, la police leur a laissé à peine le temps de prendre de quoi s’habiller. « Les vêtements, la vaisselle, nos albums photos, pour certains, leurs papiers, sont restés là-bas, s’émeut Youcef. Ça faisait seize ans que j’habitais l’immeuble. S’il nous avait donné un délai, on aurait pu s’organiser et partir tranquillement. » Pour l’heure, leurs effets personnels sont stockés par la préfecture. Les expulsés espèrent pouvoir les récupérer dans la semaine. Journal sous le bras et cigarillo aux lèvres, Mohamed promet, qu’avec l’aide du DAL, ils continueront « à mettre la pression pour que les propositions de relogements aboutissent. Ça traîne, insiste-t-il. Il ne faudrait pas qu’en juin ils trouvent un prétexte pour nous mettre dehors. » Pour ce cuisinier retraité, travaillant en France depuis 1968, la lutte est une question de respect et de dignité. Notions qui lui ont permis de garder la tête haute face aux agents de la préfecture, jeudi matin. « Il y avait dix camions, décrit-il. Une véritable rafle. Tout le voisinage observait la scène. Avec quatre autres habitants de l’hôtel, nous avons refusé de monter dans les bus de la police. Nous n’avons pas cédé et nous nous sommes rendus au foyer par nos propres moyens. »
Le visage encore cerné par la colère, hier matin, Mohamed Amrouni partage un café avec ses compagnons d’infortunes expulsés, jeudi, de l’hôtel situé au 73, boulevard du Faubourg-Saint-Antoine, à Paris. « Je ne leur pardonnerai pas cette opération, lâche le retraité, né en 1949 dans l’Algérie d’avant l’indépendance. C’est une trahison. On nous avait dit qu’on serait tranquille jusqu’à la fin de la trêve hivernale, le 31 mars prochain. »

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