La Chronique de Aziz Enhaili, rédacteur en chef adjointTolerance.ca, membre de Tolerance.ca®, 20/10/2014
Au
Maroc, le rap engagé peut mener en prison. Mouad Belghouate (Lhaqed)
n’est pas le seul artiste à l’avoir appris à ses dépens. Un rappeur
d’âge mineur de Casablanca vient d’en faire l’amère expérience. Dans
l’étonnement de plusieurs. Lui le premier. Cette affaire éclate alors
que le pays s'apprête à organiser le mois prochain le Forum mondial des
droits de l’Homme.
Le rap n’a pas bonne presse au Maroc. Cette composante du mouvement
culturel hip-hop dérange les milieux conservateurs. La police marocaine
ne semble pas non plus l’apprécier surtout quand il livre un message
critique. Plusieurs artistes critiques de la société ou du régime
politique en place se sont retrouvés derrière les barreaux suite à un de
leurs clips YouTube. Le dernier des leurs à en faire les frais est un
dénommé Mr Crazy.
Trois mois de prison ferme pour deux clips
Othmane Atik est un lycéen (cégépien) marocain. Il est âgé de 16 ans.
Il est connu dans les milieux du hip-hop local sous son nom de scène Mr
Crazy.
Il a été arrêté le 8 août dernier et placé en état de détention provisoire. Son délit?
Les autorités l’ont accusé de quatre délits: "détournement des
paroles de l'hymne national", "insulte à corps constitué", "propos
immoraux" et "incitation à la consommation de drogue" (AFP, 12 octobre
2014). Le caractère gravissime des accusations et l’âge mineur de
l’accusé ont enflammé les réseaux sociaux marocains. Une page Facebook
de soutien a été créée à cette occasion pour sensibiliser l’opinion
publique et défendre sa cause. Elle s'est attirée les faveurs de 32 306
''like''. Plusieurs Marocains l’ont découvert à cette occasion et
partagé ses clips en signe de désapprobation de son arrestation.
En fait, l’adolescent avait diffusé sur YouTube des clips critiques
de la situation politique et sociale de son pays. Il raconte à cet
effet, dans "Hiyati naqsa" (visionné 32.294 fois), le quotidien
difficile et le mal-être des habitants de quartiers défavorisés de la
métropole du Maroc et plus généralement les inégalités, la
marginalisation, l’absence de liberté et la torture routinière
pratiquée en centres de détention pour délit d'opinion.
***
Dans le clip "3aqliya mhabsa" (visionné 1.085.744 fois au moment où
nous mettions en ligne), Mr Cazy raconte, à travers l’histoire de vie
d’un adolescent de Casablanca, les violences urbaines, le mal-être et
les espoirs déçus des couches sociales défavorisées. On y voit des
acteurs d’un jour, des désœuvrés, consommer de la drogue, boire de
l’alcool, simuler des scènes d’agression en plein jour et montrer
également le butin de leurs "exploits".
La critique de Mr Cazy de la situation politique et sociale de son pays n’a donc pas plu aux autorités.
Le vendredi 17 octobre, soit neuf semaines après son arrestation, le
tribunal de première instance d’Aïn Sebaa à Casablanca a condamné le
lycéen (cégépien) à 3 mois de prison ferme. Ayant déjà passé la majeure
partie de sa peine en préventive, il devra être en principe libéré le
mois prochain.
Le lycéen Othmane Atik a donc été condamné, non pas pour un crime
quelconque, mais tout simplement par ce qu’il a dépeint l’état précaire
des jeunes des catégories sociales marginalisées de la métropole telle
qu’il le perçoit. Sans oublier sa critique au passage de l’état des
libertés dans son pays.
Au lieu de condamner Mr Crazy, les autorités auraient dû ne pas
oublier que le fait de dépeindre la vie difficile d’une partie de la
jeunesse urbaine ne revient pas à l'inciter à commettre des délits.
Elles auraient dû également y voir un cri de détresse d’un adolescent
enragé par l'état criant des inégalités sociales et les espoirs déçus de
sa génération. Au lieu de chercher à l'empêcher de s'exprimer
librement, elles auraient mieux fait de le laisser servir d'exutoire des
frustrations des gens de sa génération. N'oublions pas que faute
d'exutoire, l'éventualité d'explosion ''sauvage'' des frustrations
augmente sensiblement.
***
Cette affaire s’ajoute à d’autres. Elle montre l’état réel de la
liberté d’expression au Maroc. Elle sape au passage cette campagne de
relations publiques menée tambour battant en Occident pour "vendre"
l’image d’un régime qui se démocratise. Elle montre en fait l’allergie
du pouvoir à toute critique de l'état réel des libertés et des
inégalités sociales dans ce pays, surtout quand cette critique est
formulée dans le parler marocain, la "darija".
20 octobre 2014
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