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samedi 20 septembre 2014

Ali Anouzla, un an plus tard


Par Ali Anouzla
Interprété de l’arabe par Salah Elayoubi

anouzla

Le souvenir du 17 Septembre 2013, avec ces intrus investissant, au petit matin, mon minuscule appartement, me hantera à tout jamais. L’écho de cette sonnette insistante, résonne encore dans mes oreilles et n’en finit plus de réveiller le petit garçon qui sommeille en moi, me transportant en cette nuit cauchemardesque, lorsque des éléments de la police militaire étaient venus tambouriner à la porte métallique du domicile familial, sous les aboiements furieux de mon chien « Frini », pour nous annoncer la mort de mon père, tombé au champ d’honneur de cette mère-patrie, qui fait de moi, aujourd’hui, son prisonnier.
Depuis cette tragique soirée, mes nuits ne furent plus jamais les mêmes, faites de veille vigilante et de sommeil superficiel. Dans la cellule que mes geôliers m’avaient assignée, alors que le silence prenait possession de la prison et que mes compagnons d’infortune cherchaient dans quelques heures de sommeil, le moyen d’oublier leur misérable condition, le cauchemar revenait me hanter. Je croyais alors, reconnaître, dans les cris de détresse de quelques codétenus, le claquement des lourdes portes de métal ou le jappement lointain d’un chien, la tragédie qui frappa, cette nuit-là, ma famille.
Étendu sur ma couche d’infortune, je ressassais inlassablement ces questions : Pourquoi suis-je ici ? Quelle ignoble infamie ai-je commis, pour qu’on me place, trente jours durant, à l’isolement, privé de mes lectures et de ma dignité ? Serais-je un dangereux ennemi public, pour mériter cet acharnement policier, judiciaire et médiatique ? Faudra-t-il qu’on me livre en pâture aux chiens et que mon sang coule dans le caniveau, pour que cessent les éructations pitoyables, des thuriféraires de la tyrannie, à mon égard ?
J’étais entré en journalisme comme on entre en sacerdoce, convaincu de la mission qui m’incombait. Plus qu’un métier, j’en avais fait un engagement à défendre le faible et à me faire gardien de l’intérêt général. J’y ai croisé tant d’opportunisme, de cupidité, et de plumes aux ordres, mais aussi quelques justes, qui me rendirent l’espoir et renforcèrent ma détermination à rendre compte de la vérité, toute la vérité, rien que la vérité !
Mes lectures philosophiques m’apprirent que le scepticisme était le meilleur chemin vers la certitude. J’appris très tôt, à m’affranchir des vérités toutes faites, et à m’imposer le doute comme vertu, n’hésitant jamais à franchir les prétendues lignes rouges et poser les questions les plus dérangeantes, dans ma quête de la vérité.
Mes lectures vernaculaires me firent privilégier l’opinion, plutôt que le courage des plus braves. Je me fis la promesse de ne jamais me taire, face à l’injustice, ni craindre de dire la vérité, dussé-je affronter solitude et traversée du désert.
De désert, il en fut précisément question, une année durant, avec l’épée de Damoclès que l’on sait. Il fut le pire de tous les déserts, non pas en raison de la fermeture injuste de mon unique gagne-pain, ayant appris depuis longtemps, à me contenter de peu, ni en raison de l’interdiction qui m’a été signifiée, dans l’illégalité absolue, de quitter le territoire marocain, et son prolongement, la drôle de liberté qui m’est imposée, mais parce que je n’aurais jamais imaginé qu’on puisse, un jour, confier aux plus lâches et aux plus misérables, le soin de m’infliger, autant d’injustices, de peines et de mépris à la fois.
Je repense à ces moments d’infinie solitude, lorsque je découvrais, stupéfié, que dans ce pays qui se disait celui du droit, mon sort ne tenait qu’à un fil et à l’humeur d’un seul homme, juge de mon destin. Je fis connaissance avec la vengeance aveugle et vis comment la haine et la colère s’étaient liguées, pour vider mes contempteurs de toute humanité. Je réalisais avec anéantissement, à quel point, nous étions tous, confinés dans une immense salle d’attente, en liberté surveillée.
Pourtant même dans les moments les plus sombres, jamais je ne cédai au désespoir ou à la colère, puisant mon énergie dans ce vieux poème arabe :
«  Jamais la haine n’atteint le cœur altier, ni ne grandit celui qu’elle imprègne »
J’ai consacré ma vie à défendre les valeurs de liberté, de justice, de dignité et de démocratie, me promettant de ne jamais changer d’un iota, ma ligne éditoriale, ni faire l’économie d’une seule bataille contre la corruption et la tyrannie, quel qu’en fut le prix à payer.
Je suis redevable à cette épreuve que je traverse, de m’avoir révélé l’affection que me vouent ces femmes et ces hommes libres, et jusqu’à mes geôliers, pour leur bonté à mon égard. Je serais, à tout jamais, reconnaissant à ces militants, ces amis, ces collègues, ces confrères et ces citoyens anonymes, enfants de mon pays, qui prirent, plusieurs fois de suite, possession de la rue, au péril de leur propre existence, pour exiger ma libération. Ils furent simplement merveilleux !
Ma reconnaissance éternelle va également à ma famille, ainsi qu’à tous ces justes, des militants d’organisations internationales et des journalistes, du monde entier. Que serait-il advenu de moi, sans leur soutien ?
A tous, je ne saurais jamais vous restituer un peu de ce que vous m’avez donné, sinon en poursuivant la mission que je me suis fixée, de prêter la plume aux opprimés, aux exclus et aux sans-voix ! Amen !
Ali Anouzla

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