Depuis
deux ans et demi, les habitants de la commune d’Imider, au sud-est du
Maroc, observent un sit-in permanent contre l’exploitation d’une mine
d’argent appartenant au holding de la famille royale. Aujourd'hui mardi,
deux jeunes militants, arrêtés dans des circonstances obscures fin
décembre, ont été condamnés à 10 et 18 mois de prison ferme.
Maroc, correspondance
Depuis deux ans et demi, les habitants d’Imider, au sud-est du Maroc,
observent un sit-in permanent contre l’exploitation d’une mine
d’argent, située à deux kilomètres de la commune, par la Société
métallurgique d’Imider (SMI), une filiale du groupe minier Managem, du
holding royal SNI. À 1 400 m d’altitude, au sommet du mont Alebban dans
le Haut-Atlas, ils se relaient pour surveiller la vanne qu’ils ont
fermée le 23 août 2011 pour couper l’alimentation en eau du principal
forage vers la mine, après avoir constaté une baisse considérable du
débit en eau dans les villages. Depuis, les niveaux d’eau sont remontés,
d'après les habitants.
En août 2013, à Imider
Les habitants accusent la société métallurgique de pomper leurs
réserves d’eau et de polluer la nappe phréatique. Ils estiment aussi que
leur commune doit bénéficier de ses ressources naturelles et que la SMI
doit employer davantage de population locale dans la mine. Cette mine
est le septième producteur mondial d’argent. Son chiffre d’affaires, en
hausse l’année dernière, s’élevait en 2011 à 75 millions d’euros et ses
bénéfices à 32 millions d’euros.
En face, la population locale vit dans la pauvreté, dans une région
où les infrastructures sont quasi inexistantes, l’État y étant
totalement absent. Les dirigeants de la SMI soutiennent ne pas être
responsables de cette situation et qu’au contraire, ils compensent
autant que possible ce retard de développement de la commune
(fournitures et transport scolaire, médecin pour le dispensaire,
systèmes d'irrigation).
Mais les militants du mouvement n’en démordent pas. Ils continent à
s’opposer non seulement à la SMI, mais aussi à une politique d’État qui,
d'après eux, a laissé cette région à l’abandon. Depuis le début de ce
mouvement, troisième du genre, baptisé le Mouvement sur la voie de 96
– en référence à un mouvement de 48 jours dispersé par la force en
1996 –, plus d’une douzaine de militants ont été incarcérés. Le plus
connu, Mustapha Ouchtoubane, qui travaillait dans une des usines
sous-traitantes de la SMI, a été arrêté le 5 octobre 2011 puis condamné à
quatre ans de prison pour vol : 18 g d’argent avaient été retrouvés
dans son véhicule de fonction. Mardi 13 février, Ichou Hamdane et Hamid
Berka, arrêtés dans des circonstances obscures fin décembre, ont été
condamnés à 10 et 18 mois de prison ferme pour « coups et blessures ».
Brahim
Udawd a rejoint ce qui deviendra un mouvement de contestation unique
dès août 2011, alors que son village natal est en proie aux
manifestations. À 27 ans, cet aide-mécanicien, qui n’a aucune expérience
militante, décide de se consacrer pleinement à la lutte pour les droits
économiques et sociaux des habitants d’une région pourtant riche en
ressources naturelles. Pour lui, ces « procès fabriqués », ces
arrestations et les pressions des autorités pour mettre un terme au
sit-in n’ont pas affaibli la mobilisation des habitants, déterminés à
arracher leurs droits malgré l’échec des négociations avec la SMI.
Cela fait maintenant plus de deux ans et demi que vous observez un
sit-in permanent au mont Alebban. Comment cela a-t-il commencé ?
Le
mouvement a commencé à la fin de la période de travail saisonnier.
Seule la moitié des étudiants (35 sur 70) a été recrutée. À chaque fin
de saison, les élus promettent pourtant des postes chez les
sous-traitants mais ils embauchent uniquement leurs proches. Les
étudiants, ignorés par les responsables de la commune rurale, ont décidé
de protester pour attirer l'attention sur leur problème. Après
l’absence de réaction des responsables de la commune à une première
manifestation, une marche a eu lieu le 1er août 2011. Les
chômeurs se sont rendus au siège de la commune dans la matinée pour
faire pression. Les femmes, de leur côté, ont préparé des bidons sur
lesquels étaient inscrits des slogans faisant référence à la pénurie
d'eau potable dans les villages depuis le printemps. On a organisé des
manifestations de sensibilisation dans tous les villages alentour pour
faire comprendre aux gens ce que nous revendiquons. Et le mouvement a
commencé à prendre de l’ampleur.
Comment êtes-vous passés de ces manifestations au sit-in permanent ?
Les femmes, les vieux et même les enfants ont rejoint le mouvement.
Ce n'était plus uniquement les étudiants et les chômeurs qui
protestaient. On a tenu un sit-in devant le siège de la commune pendant
dix-neuf jours, avec des marches vers la mine et tous les villages. Le
19 août 2011, pour réagir au silence des responsables locaux et
provinciaux, la population a décidé au terme d'une discussion collective
de porter la lutte à un autre niveau : c'était la naissance du sit-in
permanent au sommet d'Alebban.
Dans la commune, qui participe à ce sit-in permanent ? Comment vous organisez-vous ?
La majorité de la population de la commune participe au sit-in
pendant la journée. Le soir, les femmes, les vieux et les enfants
rentrent dans leurs villages et les jeunes restent la nuit pour
surveiller la vanne. Nous avons construit des cabanes en terre, en
pierre, sur le mont Alebban pour nous protéger des conditions
climatiques difficiles. La nuit, un service de sécurité surveille. Comme
le sit-in se maintient depuis longtemps maintenant, nous ne pouvons pas
tous être présents sur le mont. Il y a un membre de chaque famille qui
est là. Moi, je reste à Alebban 14 jours sur 15. Je suis célibataire, je
vis chez ma mère et j'y retourne une fois tous les 15 jours. Ma mère
aussi vient 6 jours sur 7 à Alebban.
Brahim Udawd © RI |
Pourquoi avez-vous décidé de vous impliquer dans ce mouvement ?
Avant la reprise de la lutte Occupy Imider (la région a connu d’autres mouvements, en 1996, notamment - ndlr),
je travaillais comme aide-mécanicien dans un garage à Boumalne Dadès.
Mais après avoir appris ce qui se passait dans mon village natal, je
n'ai pas hésité à rejoindre le mouvement le 3 août 2011. J’ai laissé
tomber mon travail – qui ne répondait pas non plus à mes qualifications,
car j’ai un diplôme de technicien. La commune doit en passer par ce
genre de manifestations. Les habitants souffrent. Ce jour-là, nous avons
constitué le comité d'organisation et le comité de dialogue. Je me suis
présenté avec mes amis devant les gens dans l'Agraw (l’assemblée
générale). Ce mouvement est important pour moi car les responsables
politiques et industriels, à travers une politique systématique de
discrimination et de marginalisation, ont retardé le développement de
cette commune, qui est l'une des plus anciennes. Je veux que cela
s'arrête et que l'on corrige toutes ces erreurs commises dans cette
région.
Le sit-in a lieu depuis plus de deux ans et demi. La mobilisation a-t-elle baissé ?
Nous sommes toujours en sit-in, et malgré les arrestations, la
désinformation et le black-out médiatique, nous résistons. Nous
maintenons en permanence la surveillance sur le mot Alebban et nous
organisons des marches avec le même nombre de personnes qu'au début.
Quelle a été la réaction des autorités lorsque vous vous êtes installés au mont Alebban ? Ont-elles tenté de vous déloger ?
Des représentants des autorités viennent souvent sur le mont. En
septembre 2011, la SMI a déposé une plainte contre les membres du comité
de dialogue qu’elle accuse d'entraver son travail par la fermeture de
la vanne. On a reçu des convocations mais on ne s'est pas rendus au
poste de la gendarmerie de Tinghir. Du coup, le 20 septembre 2011,
quatre jeunes et moi avons été arrêtés puis libérés le jour même, après
une marche gigantesque. En novembre, les autorités ont essayé de
disperser une assemblée générale en faisant survoler le mont par un
hélicoptère.
On
a eu 16 rounds de dialogue mais, visiblement, il y a un manque de
responsabilité et de sérieux de la part des représentants de la mine et
une claire absence de neutralité du gouverneur, qui est en faveur de la
SMI. Ils ne veulent pas réellement résoudre le problème. La situation à
Imider est le résultat d'une politique d’État visant à dépouiller l'être
humain de sa dignité. La SMI, quant à elle, mène une guerre chimique
contre la population, à travers la pollution de l'air avec des produits
hautement toxiques (cyanure, mercure) et l’assèchement des nappes
phréatiques d'une commune rurale déjà connue pour son climat aride.
Les responsables de la SMI affirment que des études environnementales ont démontré qu’il n’y
a aucun danger résultant directement de l’exploitation de la mine. Ils
disent aussi que la SMI n’est pas responsable de la baisse du débit
d’eau et qu’il n’y a aucun lien entre la nappe qui alimente la mine et
les réseaux d’irrigation utilisés par les habitants.
Ce n'est pas crédible. Dans un pays comme le nôtre, tout se
marchande. Je vis près de l'usine, je vois des fumées multicolores
chaque matin. L'usine est entourée de montagnes de déchets. Des métaux
lourds sont aussi utilisés pour le traitement de l'argent. Les surfaces
irriguées ont dangereusement chuté. Les vents emportent toutes sortes de
substances toxiques en direction des terres agricoles. Ajoutons à cela
l'infiltration d’une quantité considérable d'eau polluée dans les nappes
souterraines en l'absence d'une gestion stricte de ces déchets
dangereux.
Pour la SMI, vos revendications en termes d’emploi sont irréalisables.
Premièrement, concernant l’emploi chez les sous-traitants, ce n'est
pas nous qui disons cela mais le cahier des charges des sous-traitants
qui octroie la priorité à la population locale. Concernant l'embauche
dans la société mère, la population locale, ce sont les sept villages
d’Imider. Actuellement, 14 % de la main-d’œuvre affectée à la mine vient
de la commune d'Imider. Le reste, de partout au Maroc. Nous demandons
que 75 % des postes de travail à venir à la SMI soient accordés à la
population locale. La SMI est d’accord uniquement pour 20 %. Les
dernières négociations ont eu lieu le 22 novembre 2013 mais il n'y a pas
de progrès.
Avez-vous des revendications politiques ?
Notre mouvement s’est constitué pour défendre des droits
socio-économiques. C’est un mouvement apolitique, indépendant de toute
institution politique. Il a comme référence la loi nationale et
internationale.
Ci-dessous, les manifestations au fil des mois
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