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mercredi 19 décembre 2012

«La reconnaissance des crimes du 17 Octobre par la France reste insuffisante»


 Interview réalisée à Paris par Hadj Hamiani

Il est historien et professeur à l’université d’Evry dans la banlieue parisienne où il enseigne les sciences politiques et la philosophie politique.
Olivier Le Cour Grandmaison est connu aussi pour être un fervent défenseur des droits des victimes des évènements du 17 octobre 1961. Auteur de plusieurs ouvrages à l’image de : Le 17octobre 1961 : un crime d’Etat à Paris, Haine (s) ; Coloniser. Exterminer. Sur la guerre et l’Etat colonial ; De l’indigénat. Anatomie d’un monstre juridique. Le droit colonial en Algérie et dans l’empire français, La Découverte / Zones… L’historien Olivier Le Cour Grandmaison a, à l’occasion du cinquantenaire de l’indépendance de l’Algérie, aimablement accepté de répondre à nos questions et ce, avant que le Sénat français vote la proposition de loi formulée par le parti socialiste consistant à considérer le 19 mars comme étant la journée nationale du souvenir des victimes civiles et militaires de la guerre d’Algérie. Interview..

La Nouvelle République : François Hollande a-t-il eu raison de reconnaître la répression du 17 octobre 1961 à la veille de sa visite officielle en Algérie ?
Olivier Le Cour Grandmaison : La réponse est évidemment oui car il y a 51 ans que les victimes, leurs descendants ainsi que celles et ceux qui militent depuis plusieurs dizaines d’années pour la reconnaissance de ce qui a été perpétré les 17 et 18 octobre 1961 attendaient une déclaration. Reste que cette reconnaissance, comme beaucoup en France et en Algérie l’ont justement remarqué, demeure insuffisante sur le fond comme sur la forme. Sur le fond car le crime n’est ni nommé comme tel ni qualifié par voie de conséquence comme crime d’Etat, encore moins comme crime contre l’humanité alors que nombreux avocats, je pense en particulier à la regrettée maître Nicole Dreyfus, considèrent qu’une telle qualification est parfaitement justifiée. De plus, et ceci découle également de cela, le principal responsable de ces massacres, à savoir le préfet de police Maurice Papon, n’est pas désigné de façon explicite. Enfin, sur la forme, eu égard à la gravité de ce qui a été commis à l’époque, on aurait été en droit d’attendre non un bref communiqué rédigé en des termes délicatement euphémisés mais une véritable déclaration en bonne et due forme du président de la République. J’ajoute, et je pense en particulier à la commémoration à venir du 17 octobre 2013, qu’il serait souhaitable que François Hollande, devenu chef d’Etat, se comporte comme le candidat qu’il a été. Rappelons qu’au lendemain de sa désignation lors des primaires socialistes en octobre 2011, Hollande s’était rendu en personne à Clichy, dans la proche banlieue parisienne, pour rendre hommage aux victimes de la manifestation pacifique appelée par le FLN. Que le président de la République joigne le geste à parole et qu’il soit donc présent sur le pont Saint-Michel l’année prochaine aux côtés de celles et ceux qui ont tant fait pour que ce passé soit enfin reconnu…
Que pensez-vous des réactions de Christian Jacob, président UMP au sein de l’Assemblée nationale, et d’Eric Clotti, député UMP, suite à cette décision ?
Réactions convenues et pavloviennes d’une droite qui, sur un nombre croissant de sujets, chasse sur les terres électorales du Front national et contribue ainsi à banaliser l’idéologie revancharde de cette dernière organisation. Le tout dans le cadre d’une compétition exacerbée au sommet de l’UMP pour savoir qui en sera le prochain dirigeant. De là aussi, ces surenchères d’un autre âge. Cette droite se croit sans doute très moderne, elle n’est que sinistrement passéiste comme s’il ne s’était rien passé depuis cinquante ans. 

Comment réagissez-vous aux gestes honteux de Gérard Longuet et Gilbert Collard envers l’Algérie ?
Le geste obscène de Gérard Longuet suivi du soutien de Gilbert Collard, jamais en mal de publicité pourvu que les médias parlent de lui, est à l’image de ces deux personnages : sinistre et indigne. Ce geste dit fort bien la pétrification idéologique et la vulgarité intellectuelle d’une partie de la droite et de l’extrême droite ; sur ce point comme sur beaucoup d’autres, hélas, les différences sont toujours plus minimes. Relativement à la guerre d’Algérie la démonstration est désormais faite de façon exemplaire. De plus, on sait maintenant ce que signifie l’expression «être décomplexé» pour ceux qui se situent de ce côté-là de l’échiquier politique. Cela signifie pouvoir faire des gestes insultants en faisant croire qu’il s’agit d’une attitude courageuse destinée à sauver ce qu’ils osent encore appeler «l’honneur de la France». Très singulière conception, en vérité. Contrairement à ce qu’a affirmé le ministre Arnault Montebourg, qui doit avoir manqué quelques déclarations des principaux dirigeants de l’UMP, G. Longuet exprime tout haut ce que beaucoup pensent tout bas : avoir une hostilité résolue et persistante à toute reconnaissance des crimes coloniaux commis par la France de 1830 à 1962. Pire encore, les mêmes entonnent, encore et toujours, le même refrain convenu que l’on croirait sorti tout droit des manuels scolaires de la IIIe République, à savoir que la colonisation de l’Algérie aurait comporté de très nombreux points positifs. Pour s’en convaincre, il suffit de se reporter aux réactions de F. Fillon, entre autres, suite au communiqué de la présidence de la République relatif aux massacres d’octobre 1961. Rappelons enfin que la loi du 23 février 2005, qui sanctionne une interprétation apologétique du passé colonial de la France, est toujours en vigueur et qu’elle fut proposée, soutenue et votée par ceux-là mêmes qui s’érigent en donneurs de leçons démocratiques et républicaines. Là encore, l’actuelle majorité de gauche serait bien inspirée d’abroger ce texte indigne d’une démocratie et qui n’a d’équivalent dans aucun autre pays. Encore une remarquable mais sinistre exception française. 

Qu’attendez-vous du gouvernement français quant à l’accès aux archives ?
Si l’on compare la législation française en matière d’accès aux archives à celle de pays comme la Grande-Bretagne et les Etats-Unis, on découvre qu’elle est beaucoup plus restrictive. En ces matières aussi, des réformes sont donc nécessaires pour rendre les archives, et toutes les archives, plus rapidement accessibles à celles et ceux qui, pour des raisons diverses, en font la demande. Des propositions de loi existent ; elles doivent désormais prospérer, d’autant plus qu’il n’y a plus aucun obstacle politique puisque les gauches socialiste, communiste et écologiste sont, pour la première fois,dans l’histoire de la Ve République, majoritaires à l’Assemblée nationale et au Sénat. Si cette majorité le veut donc, elle le peut, et sur ce sujet comme sur beaucoup d’autres, elle sera jugée sur ces actes. 

La mobilisation continue, alors ?
La mobilisation pour la reconnaissance claire et précise des massacres d’octobre 1961, pour un libre accès aux archives et pour la création d’un lieu de mémoire doit continuer, conformément d’ailleurs aux revendications du collectif unitaire qui s’est mis en place à Paris. J’ajouterai, pour ce qui me concerne, qu’au-delà de ce dernier événement, il serait souhaitable que la reconnaissance s’étende à l’ensemble des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité commis par la France depuis la conquête de l’Algérie jusqu’à la fin du conflit en 1962. Contrairement aux propos indignés de la droite et à ce qu’affirment certains ministres et dirigeants socialistes, le communiqué de François Hollande n’est en rien audacieux. Pour s’en convaincre, il suffit de se reporter à ce qui a été fait ailleurs par d’autres dirigeants. Je pense en particulier à la déclaration du Premier ministre australien qui, en 1992, a reconnu de façon très claire les «crimes commis lors de la colonisation de ce territoire ainsi que «la discrimination et l’exclusion» longtemps pratiquées à l’encontre des populations autochtones. Si l’on compare les termes employés à ceux qui ont été utilisés par le président de la République française, on mesure le chemin qui reste à parcourir. «La France se grandit toujours lorsqu’elle reconnaît ses fautes», affirmait, le 25 septembre 2012, François Hollande à propos du sort indigne réservé en France aux harkis. Assurément, mais pour qu’un tel geste ne demeure ni partiel ni partial, cette reconnaissance doit désormais comprendre l’ensemble des crimes de la période coloniale, qu’ils aient été commis en Algérie ou en métropole. C’est la seule façon de rendre justice à toutes celles et à tous ceux qui, directement ou indirectement, ont été affectés par cette histoire d’une rare violence… 

Le ministre des Affaires étrangères algérien vient de déclarer à la presse que «les Algériens durant la guerre de Libération étaient inspirés par l'amour de la patrie et fondés sur la bonne organisation et la discipline». Avant d'ajouter : «Aujourd'hui, nous avons grand besoin de paix et nous devons œuvrer à travers notre expérience pionnière à la consécration de la culture de la paix et de la réconciliation.» Quelle lecture faites-vous de cette déclaration ?
«A mes yeux, ce genre de déclarations, tout à la fois générales et hyperboliques, révèle une fois encore l’usage qui est fait par les autorités algériennes de la mythologie forgée autour de la guerre de libération nationale. Mythologie qui fonctionne comme un principe de légitimation pour celles et ceux qui exercent aujourd’hui des responsabilités majeures et, quelquefois aussi, comme un moyen de pression diplomatique employé dans les rapports souvent tumultueux avec les autorités françaises. Usages politiques du passé, donc. Ils confirment que l’histoire et le pouvoir ne font jamais bon ménage et que la première ne peut véritablement exister là où le second cherche à exercer sa tutelle, d’une façon ou d’une autre. Cela vaut des deux côtés de la Méditerranée.
Un dernier mot, peut-être ?
Merci à vous pour cette interview…




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