Des trucs, des machins et des choses
par Salah Elayoubi, 8/10/2012
J’ai
regardé, comme vous cette vidéo édifiante, enregistrée ce lundi 17
septembre, lorsqu'au matin, avait eu lieu une invasion de
fonctionnaires, au voisinage immédiat de Ali Lmrabet, celui que le
régime a pensé condamner au silence en l’emprisonnant et le condamnant à
une interdiction d’exercice de son métier de journaliste, pour dix ans.
Les fonctionnaires qui arpentent consciencieusement la terrasse
voisine, scrutent chaque mètre carré et semblent mémoriser d’occultes
détails, en vue de la préparation d’une mystérieuse opération à venir.
Il y a là le Caïd, caméra en main, assisté de rien moins que trois de
ses adjoints, des "Mokaddems", ces fonctionnaires pléthoriques qui
rappellent les tristement célèbres commissaires politiques des
républiques soviétiques, tant ils sont acquis à la cause de la
dictature. Le régime marocain en a tissé un maillage si serré sur le
territoire marocain qu’ils font remonter aux « services » du ministère
de l’Intérieur, la moindre parcelle d’information, le plus infime
renseignement sur chaque citoyen de ce pays, si bien qu'un pet de souris
au fond de son trou, ne saurait leur échapper.
Il y a également des policiers en civils et deux agents des renseignements généraux.
En tout une bonne quinzaine de personnes, dont deux femmes qui ferment la marche de cet étrange cortège de comploteurs.
Une débauche de moyens, dans un pays qui en manque cruellement dans
les secteurs clés, qui font le développement humain. Pas étonnant que
le pays traîne au fond du classement mondial.
Une démonstration supplémentaire que nous sommes bien en dictature,
ce genre de régimes qui mobilisent un maximum de personnes en un minimum
de temps pour punir, sévir, laver les affronts et intimider, au lieu de
servir, aider, encourager et soutenir les initiatives citoyennes.
Mais ce n’est pas tant ce lâcher de sbires et le déploiement insensé
de moyens qui interpellent, mais plutôt le sens à donner à tout ce
remue-ménage. Des manigances indicibles en forme de trucs, de machins et
de choses, qui ne font plus honte, depuis bien longtemps, aux ennemis
de la liberté.
Quel mauvais coup pétrit de nouveau le Makhzen, pour venger les
publications courageuses d'Ali et ses dénonciations de la dictature ?
Quelles idées assassines ont à nouveau germé dans l’esprit malade de
nos sécuritaires, pour impressionner ou mettre hors d’état de nuire ce
parangon de la liberté ?
Quel obscur traquenard ont imaginé ces états-majors de l’indignité, pour faire taire ce pourfendeur du despotisme ?
C’est la caméra d’Ali qui fournit peut-être, quelques indices,
lorsqu’elle zoome sur les gravats et les maisons menaçant ruine
alentour.
Autour du domicile de l’intéressé tout n’est que ruine et désolation.
Les gravats des maisons démolies, jonchent les environs sur une hauteur
de deux étages et menacent jusqu’à la sécurité des passants qui
empruntent les ruelles étroites de cette partie de la médina de Tétouan.
Pas de quoi inquiéter cette réunion d’espions, de sicaires et de
barbouzes, dont on connaît le peu de cas qu’ils font de la sécurité de
leurs semblables, eux si empressés lorsqu’il s’agit de défendre
l’insupportable.
Les fonctionnaires seraient-ils en train de tramer une nouvelle
démolition, afin d’isoler un peu plus l’intéressé et le frapper
d’ostracisme, en préméditant un "no man's land", une sorte de « terre
brûlée » ?
Cherchent-ils à le persuader de quitter la ville, voire le pays ?
On peut raisonnablement le penser, connaissant les méthodes du
makhzen accoutumé à puiser dans les complots et les méthodes peu
orthodoxes, son inspiration.
C’est l’avenir qui nous apportera les réponses à toutes ces questions.
Je m’entretenais avec lui, au lendemain de cette curieuse incursion,
lui conseillant à tout le moins la prudence, sinon d’étudier
sérieusement la question de quitter le pays pour se mettre à l’abri. Sa
réponse a fusé aussi cinglante que catégorique :
- « Je ne quitterai jamais le Maroc ! »
Harcelé, espionné, emprisonné, battu et privé de ce qui fait la
dignité d’un père de famille et sa raison d’être, son droit à
l’exercice de son métier, Ali Lmrabet semble avoir débroussaillé et
tracé, comme l’ont fait d’autres avant lui, un chemin vers la liberté.
Il le fait à sa manière, à coups de dénonciations et tel un phare planté
au milieu des ténèbres de la dictature, il est le juste qui éclaire le
chemin à ceux qui le suivent.
La dictature marocaine ressemble tellement aux autres
dictatures. Elle s’accommode rarement du courage et de l'exercice de la
citoyenneté et n'apprécie que l'échine courbée et le panégyrique.
A force d'injustices, de turpitudes et de crimes, elle ne doit s'en
prendre qu'à elle-même, d'avoir forgé tant de détermination chez un seul
homme.
On ne rend hommage qu’aux morts, dit-on, mais face à tant de courage et de patriotisme on ne peut que s’incliner.
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Affaire de l’invasion de la terrasse de Lmrabet : Le ministre El Khalfi tente de répondre à Al Jazeera
Par Demain, 9/10/2012
http://youtu.be/OTBMkExZy
Après l’invasion de la terrasse de la maison du journaliste Ali Lmrabet par
un comando de fonctionnaires de l’Etat marocain, parmi lesquels se
trouvaient des membres des forces de l’ordre, la chaîne de télévision
qatarie Al Jazeera a demandé au ministre de la communication et porte-parole du gouvernement, Mustapha El Khalfi, son avis sur la question.
Selon El Khalfi, le ministre de la justice Mustapha Ramid
aurait décidé d’enquêter sur les tribulations du journaliste Ali
Lmrabet. C’est-à-dire demander pourquoi une armada de fonctionnaires est
montée sans son autorisation sur le toit de la maison du journaliste et
qui en a donné l’ordre. Et également pourquoi aucune enquête n’a été
diligentée après les trois plaintes déposées par le journaliste auprès
de différentes commissariats de la ville : deux agressions et un vol.
Ramid devrait peut-être demander aussi à son procureur du roi auprès du tribunal de première instance de Tétouan
pourquoi il a fait convoquer verbalement le journaliste il y a trois
jours. Deux « fonctionnaires » se sont présentés au domicile de Lmrabet
et ont demandé à un résident « de dire à M. Lmrabet qu’il était convoqué au tribunal’. Ils n’ont laissé aucune convocation écrite.
Peut-être que le procureur manque de papier pour ses convocations…
Enfin, en ce qui concerne Reporters sans frontières (RSF), le ministre l’a violemment attaqué en l’accusant d’avoir entendu « une seule partie », mais il n’a pas profité de l’hospitalité télévisuelle d’Al Jazeera pour donner sa version des faits.
El Khalfi a invité RSF à venir au Maroc pour voir les avancées en matière de liberté d’expression.
Florilège de ces avancées. Rachid Niny, l’ex-directeur du journal le plus vendu au Maroc, Al Massae,
vient tout juste de sortir de prison après une année passée derrière
les barreaux. Le journaliste Lmrabet est toujours condamné à
l’interdiction de son métier de journaliste (2005-2015) dans son propre
pays, comme si on était en Iran ou en Chine. Et enfin, le correspondant
de l’AFP, Omar Brouksy, à qui El
Khalfi lui-même a retiré son accréditation après des instructions venues
du cabinet royal, ne peut pas non plus exercer son métier.
En effet, ce sont des avancées certaines en matière de liberté d’expression.
URL courte:http://www.demainonline.com/?p=22063
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