- Créé le dimanche 7 octobre 2012 17:14
- Écrit par Eric Anglade
A Errachidia et à l'initiative d'Abdellah Smita,
des jeunes ont pris l'initiative de redonner une fraicheur au paysage
visuel de leur territoire de vie. Sous le nom d'une marque, "Maures",
ils veulent créer, produire et diffuser les signes nouveaux d'un
quotidien renouvelé, celui d'un Maroc nouveau. Perdus dans une cité qui
ne les a pas encore reconnus, ils sont porteurs d'un magnifique message
d'espoir pour toute la région Sud Est : la capacité à innover.
Originaires d'Errachidia, Abdellah Smita et Abdelmounaim Yousfi ont
passé leurs études entre Meknès, Casablanca et Rabat où ils ont obtenu
un BTS d'arts graphiques. De ce passage dans les grandes villes du
Maroc, ils ont retenu le constat que le monde du graphisme et du design
au Maroc, notamment dans la publicité, n'accueillait pas suffisamment la
tradition marocaine dans toute la diversité qui la caractérise. Selon
eux, il convient de mieux mettre en valeur l'héritage culturel de leur
pays pour le faire vivre dans le quotidien de chacun au travers les
objets usuels comme les vêtements, les produits de papeteries, les
posters, les signalétiques urbaines, tout ce qui concoure à
l'environnement visuel de la population. Leur souhait est ainsi de
permettre, au travers le renouvellement de ce paysage visuel quotidien,
une redécouverte de la culture marocaine.
Ils
sont âgés de 21 et 22 ans et cela fait près d'un an qu'ils ont retrouvé
leur ville natale pour y lancer, en février 2012, leur propre
entreprise et ainsi diffuser leurs idées sous la forme d'une marque au
nom emblématique : Maures. Ils revendiquent clairement
une double visée, commerciale et éducative, comme en réaction à une
déplorable folklorisation de leur culture. Selon leurs propres mots, "soucieuse
des aspects négligés ou ridiculisés de la société marocaine, Maures a
l’ambition, à travers ses productions directement inspirées de la
culture populaire, de promouvoir une culture visuelle, mais aussi une
conscience identitaire et une fierté d’appartenance."
Ils conçoivent une première gamme de Tshirts et de posters avec
l'impression de dessins originaux qui portent témoignage de cet héritage
culturel dont ils se sont faits les messagers. A partir de contes
traditionnels, de personnages populaires, d'expressions ancestrales,
leurs produits se font l'écho vivant d'un imaginaire oublié. Ils
construisent un site web qui leur sert de plateforme commerciale et
entament en mai 2012 le lancement médiatique de leur création auprès de
la presse marocaine.
A Errachidia même, le lancement de leurs produits n'est pas simple à
mettre en œuvre. Ils ne reçoivent aucune attention de la part des
pouvoirs publics et aucune aide pour soutenir leur initiative pourtant
innovante et pertinente en regard de la nécessaire évolution de la
promotion de la ville et de ses richesses culturelles. Ils peinent à
susciter l'enthousiasme auprès d'un public peu enclin à s'intéresser à
la nouveauté. De fait, ils restent perplexes sur le devenir de leur
démarche d'entrepreneurs. L'ambiance d'Errachidia n'est pas pour les
aider. D'un café à l'autre, tout se ressemble dans une monotonie
soporifique. Pas de lieux culturels, pas de lieux de découverte, pas
d’espaces d’expérimentation, la morosité gagne du terrain dans leur tête
à se demander s'ils ne vont pas refaire leur baluchon et reprendre la
route.
Cependant, et malgré ces déceptions, ils poursuivent leur élan et
préparent, selon la même approche, la diffusion d'articles de scolarité
comme des agendas, des marques pages, des cahiers.
Abdellah
Smita est le fondateur de cette initiative, il répond aux questions
d'almaouja.com pour mieux nous faire comprendre les raisons qui animent
son entreprise.
Almaouja.com - Pourquoi avoir choisi le nom "Maures" pour votre marque ?
Abdellah Smita - Notre objectif était de raconter aux marocains
l'histoire du Maroc, de leur raconter leur propre culture, leur héritage
visuel, qu'ils ne connaissent pas. Nous avons voulu partager cette
richesse en s'appuyant sur des éléments visuels issus de légendes,
d’histoires populaires, de motifs traditionnels. En cherchant à
comprendre le sens de chacun de ces symboles, le nom de Maures s'est
imposé car il rassemble toutes les différentes racines de notre culture.
C'est pour nous le point carrefour de toutes les parties qui composent
le peuple marocain. Pour nous, ce nom rassemble métaphoriquement tout le
Maroc.
Maintenir vivace notre capacité à créer
Almaouja.com -
Votre slogan commercial est "Rebranding Morocco". Quel message voulez
faire passer au travers cette formule choc qui pose le Maroc en tant que
marque, et donc label de commercialisation ?
AS - Nous avons voulu par ces mots indiquer notre souhait de participer au «
relookage » du Maroc. Il est temps selon nous de retravailler notre
paysage visuel, de le rafraichir. Nous sommes fatigués d’être entourés
de signaux visuels qui ne parlent pas de notre culture. Nous avons un
patrimoine visuel très riche et, sans que je comprenne pourquoi, nous
avons cessé à un moment de notre histoire d'être créatifs et nous nous
sommes contentés de reproduire soit ce qui avait été fait jadis, soit,
et c’est le cas aujourd’hui, ce qui est fait ailleurs à l’étranger. Or
le monde ne cesse de changer, le regard sur la vie change, et nous
estimons qu’il faut reprendre ce mouvement de créativité. Il ne faut pas
se satisfaire de ce qui est. Et bien au contraire, il faut maintenir
vivace notre capacité de créer l'harmonie entre la tradition, le présent
et la marche vers l'avant. « Rebranding Morocco » est un concept
dynamique qui dépasse nos seuls produits et qui engage le Maroc, et donc
les marocains, à reprendre le geste de la créativité pour proposer ici
et dans le monde une vision renouvelée de ce que nous sommes, une vision
vivante et joyeuse parce qu’en harmonie avec nos racines culturelles et
en résonance avec la diversité du monde d’aujourd’hui. Oui, le Maroc
est une marque et nous sommes fiers d’appeler à son épanouissement au
Maroc et dans le monde.
Almaouja.com - Comment le public a-t-il accueilli ce message ?
AS - Pour tout dire, nous sommes déçus car ceux qui nous ont
contacté, et qui ont compris le sens de notre travail et lui ont donné
de la valeur, ce ne sont que les étrangers, pas des marocains. Et cela,
c'est désolant. Nous nous adressons pourtant avant tout aux marocains et
c'est triste de voir cette incapacité à accueillir la nouveauté.
Almaouja.com - Comment expliques-tu cela ?
AS - C'est difficile à comprendre car c'est quelque chose d'intime à
l'être marocain. Je ressens que c'est la combinaison de beaucoup de
choses, un mélange d'influence de l'école, de la rue, de la maison.
C’est un mélange qui crée des êtres indifférents, indifférents à tout ce
qui se passe autour de nous et qui ne cherchent que la futilité. Mêmes
les créateurs marocains dans les grandes villes ne font que suivre la
mode inspirée de ce qui se passe ailleurs dans le monde. Nous importons
mais il n'y a pas vraiment une touche marocaine, une touche identitaire.
L'entreprise est le moteur du changement de la société marocaine
Almaouja.com - Comment changer cette situation ?
AS - En tant que jeunes marocains, nous n'attendons rien de l'Etat.
De notre point de vue, c'est l'initiative privée, c’est l'entreprise,
qui va pouvoir faire bouger la société marocaine et changer cette
morosité qui englue tout. Si l’on prend le tourisme qui reste l'activité
principale d'Errachidia, il est malheureux de voir que les
potentialités du territoire ne sont pas assez mises en valeur comme par
exemple les produits du terroir qui devraient être bien plus mis en
avant. C’est le cas d’un café local fabriqué à base de datte et qui
n'est pas du tout promu et encouragé. D’un point de vue général, les
gens ont peur, ils ont peur de tout et donc ils ont peur de
l'innovation, peur de l'audace du changement.
Almaouja.com - Votre initiative est donc fondée sur l'émergence d'une identité marocaine nouvelle ?
AS - C'est mon rêve, mais en vérité, je ne sais pas si j'y crois
vraiment car la situation du Maroc est compliquée. Plusieurs histoires
différentes se déroulent dans le même temps. Chaque ville a sa propre
histoire sans lien avec celle des autres. A ce stade, le Maroc est un
ensemble de contradictions.
Almaouja.com - Comment voyez-vous l’évolution de votre projet ?
AS - Nous voulons créer une association qui servira de laboratoire de
recherche graphique et animera un travail d'équipe pour permettre
d'appliquer le renouvellement du graphisme dans les situations concrètes
de la vie quotidienne de la population. Nous avons la conviction que le
graphisme doit se développer au Maroc. Il faut donc former les jeunes à
mélanger les couleurs et les symboles. Cette association proposera des
ateliers de formations, de créations et donc de productions pour ensuite
diffuser des produits porteurs des thématiques de nos territoires et de
nos cultures. D'un autre côté, nous voulons organiser une réflexion
collective sur l’ensemble de ces sujets et principalement sur cette
dynamique de renouvellement du paysage visuel de notre société. Nous
devons parvenir à réunir les jeunes qui ne font rien, et qui tombent eux
aussi dans le piège de la morosité et de l’immobilisme. Nous devons
parvenir à faire émerger leurs talents créatifs, dans tous les domaines,
afin de leur permettre de découvrir leur propre culture et de la faire
vivre dans le quotidien de notre société.
Almaouja.com - Avez-vous envie d’aller à l’étranger pour mieux développer vos idées et vos projets ?
AS - J’ai passé autrefois quelques temps en Angleterre, j’y ai fourni
à peine un 20ème de ce que j’ai fait depuis mon retour sur Errachidia
et j’ai gagné beaucoup plus qu’ici, j’étais remercié pour mes créations.
Ici, il n’y pas la reconnaissance nécessaire à la création. Mais en fin
de compte, c’est pourtant ici au Maroc que nous voulons réussir car ici
nous avons le sentiment d’appartenance. Reste à recueillir la
reconnaissance.
A découvrir :
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire