Ludovic-Mohamed Zahed (à droite), premier musulman français à s’être marié religieusement à un homme, vient de sortir un livre, "Le Coran et la chair". Il y raconte son difficile parcours et y dévoile une interprétation audacieuse du Coran.
Par Gaëlle LE ROUX (texte)
"Aujourd’hui, je suis persuadé que si le prophète Mahomet était
encore vivant, il marierait […] des couples d’homosexuels." L’auteur de
ces lignes, Ludovic-Mohamed Zahed, est un fervent musulman, fin
connaisseur du Coran, homosexuel et marié depuis fin février - avec la
bénédiction d’un imam français - à Qiyaammudeen, un Sud-Africain lui
aussi musulman.
Dans son ouvrage "Le Coran et la chair" (Editions Max Milo), sorti jeudi
29 mars en librairie, le jeune homme livre un témoignage poignant sur
le parcours difficile d’un homosexuel musulman, parsemé de doutes et
d’humiliations. "L’homosexualité […] n’est pas un choix ; et il faudrait
être fou pour choisir d’être homosexuel lorsque l’on vient du milieu
socioculturel d’où je viens", écrit-il.
Intellectuel brillant, écrivain doué et militant intrépide,
Ludovic-Mohamed a fait de l’islam et de l’homosexualité la cause de sa
vie. À travers notamment son association d’aide et de défense des homosexuels musulmans HM2F (Homosexuels musulmans de France), mais
aussi à travers ses recherches universitaires. Le jeune homme, qui suit
un double cursus en anthropologie et en psychologie dans la
prestigieuse École des hautes études en sciences sociales (EHESS), se
consacre depuis plusieurs années à préparer un doctorat sur le sujet.
Des coups pour "apprendre à être un homme"
Né en Algérie en 1977, Ludovic-Mohamed est le deuxième garçon d’une
famille de trois enfants. Alors qu’il est âgé de trois ans, ses parents
quittent Alger pour s’installer en région parisienne. La famille ne
reviendra au pays que pour les vacances, puis le temps d’une année dans
le chaos algérien des années 1990. Ludovic-Mohamed est un enfant timide,
efféminé. "Je suis entre les deux : un peu fille, un peu garçon",
réalise-t-il à l’âge de 8 ans.
Mais
ni son père, "un voyou macho", ni son grand frère ne l’entendent de
cette oreille. "J’ai passé mon enfance avec un père qui me disait que je
n’étais qu’une 'femmelette, une gonzesse, un pleurnichard'", témoigne
le jeune homme. Pour lui apprendre "à être un homme", son frère aîné le
passe régulièrement à tabac, allant jusqu’à lui casser le nez. "Il avait
honte de son frère ‘malade’", affirme Ludovic-Mohamed dans son livre.
En quête d’identité, l’adolescent se plonge dans la religion. Pris en
charge par un groupe de salafistes en Algérie, il apprend par cœur - en
arabe - une partie du Coran, prie cinq fois par jour, observe
strictement les enseignements de ses maîtres. Là aussi, ses manières
considérées comme trop efféminées finissent par déranger ses "frères",
qui l’écartent de leur communauté. Nous sommes alors en 1995, l’Algérie
s’embourbe dans la guerre civile. Le 30 janvier, un camion bourré
d’explosifs dévaste le centre d’Alger. Quarante-deux personnes perdent
la vie. L’attentat est revendiqué par le Groupe islamiste armé, le GIA.
Désert spirituel
"Ce jour là, […] je sens remuer jusqu’à mes tripes de savoir que
j’ai, ne serait-ce que de très loin, quelque chose à voir avec ces
gens-là", décrit Ludovic-Mohamed. L’attentat et son exclusion de la
confrérie des salafistes algérois signent "le début d’un très long
désert spirituel, […] quinze ans durant lesquels [il] rejettera
violemment l’islam". À 21 ans, il avoue son homosexualité à sa famille.
Sa mère en reste inconsolable plusieurs mois, mais son père, celui-là
même qui, pendant de longues années, n’avait pas adressé la parole à un
fils qu’il n’estimait pas assez viril, lui répond : "C’est comme ça, je
comprends, il faut accepter". Une main tendue, enfin bienveillante. À
cette époque, Ludovic-Mohamed est séropositif depuis deux ans.
Malgré
sa rupture avec les salafistes, la soif de spiritualité couve au fond
de son âme. Le jeune homme se tourne un temps vers le bouddhisme. "Mais
je me suis rendu compte que la misogynie et l’homophobie sont partout
les mêmes", commente le jeune homme, le regard droit derrière ses
lunettes cerclées. Petit à petit, l’islam s’impose de nouveau à lui.
"J’ai recommencé peu à peu à prier, puis je suis allée une première fois
faire un pèlerinage à La Mecque, aux sources de l’islam, pour me
réapproprier ma religion, raconte-t-il. J’ai redécouvert une paix
intérieure qui m’avait quittée depuis l’enfance".
À son retour en France, il fonde une première association, Les
enfants du Sida, pour laquelle il voyage autour du monde pendant toute
une année. "Ça m’a permis de me rendre compte que j’étais quelqu’un de
bien, assure-t-il aujourd’hui. J’ai réalisé aussi que je pouvais être
homosexuel, et avoir une pratique religieuse". Il fonde alors une
deuxième association : HM2F, homosexuels musulmans de France. "L’éthique
islamique actuelle condamne cette orientation sexuelle, mais en fait
rien dans l’islam ou le Coran ne l’interdit, assure-t-il. D’ailleurs,
pendant des siècles, les musulmans ne prenaient pas l’homosexualité
comme l’abomination suprême, comme la débauche ultime, comme c’est le
cas aujourd’hui".
L’apaisement
Sur le sujet, Ludovic-Mohamed est intarissable. "L’homosexualité n’a
rien de "contre-nature" selon une certaine représentation de l’islam,
bien au contraire […]", écrit-il ainsi dans "Le Coran et la chair". Il
érige cette conception de l’islam en un combat de tous les jours. HM2F
l’amène à voyager. Notamment jusqu’en Afrique du Sud, où il participe à
une conférence organisée par une association similaire à la sienne –
fondée par un ancien imam qui, se découvrant homosexuel, a divorcé et
s’est consacré à son organisation. Ludovic-Mohamed y rencontre
Qiyaammudeen. Ils se marient civilement en juin 2011 - le mariage gay,
légal en Afrique du Sud, n’est pas reconnu dans l’Hexagone - puis
s’installent en France, en banlieue parisienne, en octobre de la même
année. C’est là que, le 18 février, ils célèbrent religieusement leur
union. Une première en France.
Malgré des détours administratifs kafkaïens pour l’obtention de
papiers pour Qiyaammudeen, malgré les mails et les appels téléphoniques
de menace, courants depuis qu’il a décidé de vivre au grand jour sa foi
et son homosexualité, Ludovic-Mohamed a enfin trouvé la quiétude. "Je
suis apaisé, affirme-t-il, un fin sourire se dessinant sur ses lèvres.
Je pourrais partir demain, je suis enfin serein."
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