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mardi 15 mai 2012

Islam et pérsécution : rien de comparable avec l'Inquisition catholique

 par Mohammed Belmaïzi et Latifa Gadouche, Carte blanche, Le Soir (Belgique) 22/5/2008
Contribution au débat au sein du « Séminaire sur l’Islam » organisé par l’ASBL Dakira (« Mémoire » en français)

Latifa Gadouche, juriste, militante pour le dialogue interconvictionnel, Mohamed Belmaïzi, Co-auteur de « Rompre le silence », éd. Labor, militant pour le dialogue des cultures.

 Régulièrement, les médias rapportent le cas de journalistes, d’intellectuels, d’artistes inquiétés, inculpés, condamnés par une fatwa ou carrément trucidés (en Algérie, par exemple). Interpellés par ce phénomène qui s’exporte jusqu’en Europe, nous sommes allés voir si la persécution contemporaine avait des références dans l’ère islamique. Rien ne semble, dans l’Histoire de l’islam, indiquer une organisation massive et systématique de la persécution contre les intellectuels et les religieux. Et rien n’évoque une offensive identique à la Sainte Inquisition de l’Eglise. 
 Pourtant, lorsque l’on examine les époques, divers personnages ont été exécutés pour leurs idées, tel Ghaylân al-Dimachqi crucifié en 740. Et la mémoire collective retient l’exécution spectaculaire du mystique Al Hallaj en l’an 922 à Bagdad. Célèbre par sa personnalité d’homme pieux et passionné, Al Hallaj est qualifié, selon les familiers de son œuvre, de « Jésus de l’Islam ». Cette exécution par crucifixion, torture, dépeçage et incinération, fut le prélude de l’errance douloureuse des soufis (mystiques musulmans) camouflant, plus que jamais, leurs doctrines sous une expression ésotérique inaccessible. A telle enseigne qu’au XIIe siècle, Ibn Arabi, autre géant de la pensée mystique, cite Al Hallaj sans pouvoir mentionner son nom. Et pour cause : Ibn Arabi, un soufi qui n’a cessé de professer « la Religion de l’Amour / quelles que soient ses orientations » – son credo bien connu : « l’Amour est ma foi / l’Amour est ma loi » – était sur le point, lui aussi, d’être coupable d’hérésie. Notamment pour son recueil de poèmes L’Interprète des désirs auquel il devait, pour échapper à ses détracteurs, ajouter un commentaire bourré de références coraniques après chacun de ses poèmes, mot après mot, phrase après phrase. 
 Ce climat de suspicions et condamnations s’avère prévisible. Dès l’institutionnalisation de l’islam, en tant que religion d’Etat et plus tard comme facteur d’unification pour l’expansion de l’empire, un rigide « Consensus » s’est opposé à toute diversité sur le plan de la pensée, mettant en évidence la singularité de la nouvelle foi. Une seule grille de lecture religieuse s’était imposée et allait de pair avec la décision d’unifier l’empire et de pérenniser les dynasties et leurs lignées.
 Les récits ne manquent pas pour évoquer la manipulation de l’islam à des fins politiques et religieuses. Pour exemple, ce chef militaire nommé Mansur (régnant en Andalousie en l’an 978), cyniquement réputé pour avoir fait appel aux ulémas les plus renommés de ses contemporains, les invitant à détruire la bibliothèque la plus prestigieuse du Moyen-Âge, acquise avec patience et obstination par le roi éclairé Hakam II. « Il leur dit qu’il avait résolu de détruire les livres qui traitaient de philosophie, d’astronomie et d’autres sciences interdites par la religion ». Et il va jusqu’à les prier « de trier eux-mêmes les livres à détruire » (André Clot, L’Espagne musulmane). Ce genre d’alliance, si courante entre les pouvoirs institués et les théologiens dogmatiques, a jalonné l’ère islamique. C’est ainsi que nombre d’écrits et de recherches ont été broyés par le bulldozer du « Consensus ». Ne nous parviennent, de ce butin perdu, que quelques noms de penseurs et leurs thèses… – et seulement lorsque les thuriféraires de la pensée unique les citent pour les neutraliser. En 1150, l’autodafé, à Bagdad, d’une grande encyclopédie ainsi que des livres d’Avicenne (Ibn Sina) signalaient le summum du totalitarisme gravement décidé à briser tout savoir et tout penseur réfractaire à l’orthodoxie. C’est que cette importante encyclopédie a été rédigée, sous la chape de l’anonymat, par un groupe de savants nommés « Frères de la Pureté » (Ikhwan as-Safa). Une époque qui accouche d’une importante encyclopédie rédigée par des auteurs anonymes, révèle à la fois le raffinement d’une civilisation savante, et annonce les prémisses d’une décadence incontestablement provoquée par l’obscurantisme, l’intolérance et la persécution. Mais la persécution peut changer de camp. Car elle n’a pas été toujours le monopole des orthodoxies totalitaristes. Il convient, pour le vérifier, de revenir sur l’un des débats cruciaux et âpres au sein de l’islam. Cette violente bataille intestine concerne l’approche et l’interprétation du texte coranique. En effet, ce violent antagonisme entre musulmans modernistes et traditionalistes, lors du règne d’Al-Ma’mûn (fils de Hârun al-Rashîd et calife de 819 à 833), a abouti à des débordements tyranniques contre l’orthodoxie. 
C’est une persécution au nom d’une réforme politico-religieuse audacieuse que d’aucuns qualifient aujourd’hui de tentative, sinon de laïcisation, de séparation des sphères divine et humaine. Une réforme que le calife, partenaire d’un courant intellectuel musulman connu sous le nom de mu’tazila, littéralement « ceux qui se tiennent à l’écart », tenta de mener de main de fer. Cette alliance avec un courant réfractaire optant pour l’ouverture de la pensée religieuse, mettait au-devant de la scène la doctrine du « Coran créé » en opposition au « Coran incréé » défendu par les orthodoxes. 
La doctrine du « Coran incréé » suppose que le texte coranique est l’un des attributs de Dieu, sacré et immuable qui ne peut souffrir autres lectures et interprétations que celle « unique et infaillible » avancée par les ulémas traditionalistes. En contrecarrant la doctrine du « Coran incréé », le calife Al-Ma’mûn vise une séparation entre un Dieu créateur et inaccessible selon nombre de versets coraniques (« rien n’est semblable à Lui »), et un Texte créé, tangible, visible, ouvert et vivant, offert à l’intelligence du lecteur et à son interprétation plurielle et féconde. Convaincu, qu’il était, des thèses des mu’tazila, Al-Ma’mûn va proclamer officiellement la croyance dans le « Coran créé » (al-qawl bi-khalq al-Qur’ân). Et c’est alors qu’une inquisition féroce va s’ériger contre quiconque parmi les ulémas et les imams rejette la doctrine du « Coran créé ». Interrogatoires, emprisonnements et assassinats caractérisent cette période nommée al-mihna, « l’Epreuve ».
Or, les califes suivants vont rétablir la vision orthodoxe en laminant à leur tour, dans une brutalité encore plus scandaleuse, toute référence au courant des mu’tazila condamnés à l’exil et au silence. Ce conflit délétère, entre obédiences religieuses, est mirifique de leçons. Il plaide sans détour pour la neutralité stricte de la foi et pour sa préservation de toute agitation idéologique, nuisible à sa dimension spirituelle et universelle. Nulle autre solution pour éviter la spirale meurtrière. Aujourd’hui, la persécution semble renouer avec sa figure traditionnelle. La liste des intellectuels dans l’espace arabo-musulman et même au-delà, exposés aux fatwas de l’intégrisme, ne cesse d’augmenter. Terrorisés, ostracisés, soupçonnés d’apostasie, exilés, assassinés. Parmi eux : Nawal As-Sa’dawi, écrivaine ; Youssef Chahine, cinéaste ; Marcel Khalifé, chanteur et musicien ; Tahar Djaout, journaliste et poète ; Naguib Mahfouz, Prix Nobel de littérature… Et pour ne citer que lui, les travaux du savant égyptien Nasr Abu Zayd, excommunié et exilé récemment au Pays-Bas, témoignent pourtant d’une solide et sincère volonté de sortir le monde arabo-musulman de sa profonde crise qui le bannit de l’Histoire… Un plaidoyer partagé pour une nouvelle approche et « une nouvelle conscience islamique ». 


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