Par Ramses Kefi, Journaliste,Rue 89, 4/1/2012
Zakaria Moumni (DR) |
Zakaria Moumni, 31 ans, est incarcéré au Maroc depuis septembre 2010. Officiellement, l'ancien champion du monde de light-contact (discipline dérivée du kickboxing) est accusé d'escroquerie par la justice marocaine.
Officieusement, son insistance pour décrocher un poste de conseiller sportif, qu'un décret royal accorde pourtant de fait à tous les médaillés d'or, a déplu aux autorités. Taline, son épouse française, explique :
« C'est une histoire de vengeance. Son entêtement à faire valoir ses droits a déplu au secrétaire particulier du roi, Mounir Majidi. Alors, il l'a puni. »
« Aucune indépendance de la justice marocaine »
Le 27 septembre 2010, Zakaria Moumni, qui vit en France depuis 2006, est arrêté à l'aéroport de Rabat. Il est emmené à Temara, à quelques kilomètres, où il est torturé pendant quatre jours dans un centre d'interrogatoire. Épuisé par les sévices - électrocutions, passages à tabac, privation de sommeil - il signe des aveux.
Il est jugé dans la foulée, sans avocat, pour avoir, selon le tribunal, extorqué de l'argent (environ 2800 euros en tout) à deux Marocains, contre la promesse de les faire venir en France.
A la suite du procès, il écope de trois ans de prison, qu'un nouveau jugement le 22 décembre dernier a ramenés à vingt mois. Patrick Baudouin, avocat et président d'honneur de la FIDH (Fédération internationale des droits de l'homme), évoque des « procès-alibis » :
»Les victimes, qui n'étaient pas là au premier procès, ont dit tout et n'importe quoi. Le verdict ne repose sur rien. La justice marocaine n'est pas indépendante et agit sur ordre des autorités. »
« Dangereux de tenir tête à Mounir Majidi »
Depuis 1999 et son sacre en light-contact, Zakaria Moumni réclame un poste au sein du ministère de la Jeunesse et des Sports. D'abord via sa fédération, qui fait traîner son dossier et n'a pas donné suite.
Puis via les médias, où il dénonce régulièrement depuis 2006 la corruption au sein du sport marocain, orchestrée selon lui par des personnalités proches de Mohamed VI, dont son secrétaire particulier, Mounir Majidi.
Zakaria Moumni parle de son parcours :
L'histoire prend de l'ampleur. Mounir Majidi accepte de le recevoir. Ce qui devait être une conciliation se termine en opposition. Taline Moumni raconte :
« Mounir Majidi a reçu la consigne du roi d'appliquer le décret. Dans son bureau, il le confirme à mon mari. Mais il demande quand même à Zakaria s'il continuerait de parler aux médias si le poste lui était refusé. Il répond oui.
Ca n'a pas du tout plu à Mr Majidi. C'est un homme puissant, à qui il est dangereux de tenir tête. Tout est parti de là. »
« Ils ont fait de lui un prisonnier politique »
Le boxeur ne voit rien venir mais persiste. En 2009, il essaie de rencontrer Mohamed VI, en vacances en France. Il tombe encore sur Mounir Majidi et ses gardes du corps. L'incident finit de « griller » Zakaria Moumni, que Taline dit marqué par les propos dédaigneux du secrétaire à son encontre :
« Le premier médaillé marocain de l'Histoire a vécu pauvre, il est mort pauvre. »
Zakaria Moumni est aujourd'hui incarcéré à la prison de Salé (nord du Maroc). C'est en juin 2011 que son épouse lui rend visite pour la première fois. Elle y découvre ses cicatrices consécutives à la torture et les conditions déplorables de sa détention, que des rapports d'ONG comme ceux de la FIDH et Human Rights Watch viennent corroborer. Taline raconte :« Une cinquantaine de détenus s'entassaient dans une petite cellule. Sans eau courante, sans électricité ni hygiène. Tout ça au milieu des cafards. Ils ont fait de lui un prisonnier politique, alors que ce n'est qu'un sportif. »
« Très dommageable pour l'image du Maroc »
Son épouse se félicite de la mobilisation autour de Zakaria, « à laquelle le gouvernement marocain ne s'attendait pas », et de ses nombreux soutiens, dont celui du Parlement européen. Pourtant, elle reste terrorisée :
« Quand un article de presse sort ou que j'organise des manifestations, je ne sais pas si ça le sert ou si ça le nuit. Il est entre leurs mains, ils peuvent lui faire ce qu'ils veulent. »
Taline Moumni sur le plateau de TV5 Monde
Zakaria Moumni sortira en mai prochain, sauf si, d'ici là, il est gracié par le roi, dont Taline se demande s'il est vraiment au courant de l'histoire de son mari.
Patrick Baudouin, lui, est convaincu du contraire : Mohamed VI sait. Il lui a d'ailleurs adressé une lettre ouverte, qui pour lui, n'a pas pu passer inaperçue au Maroc :
« Cette histoire est très dommageable pour l'image d'un royaume qui dit s'engager pour le respect des libertés. Des belles paroles, mais aucun acte.»
Zacharia Moumni, portrait d'un boxeur marocain par bakchichinfo
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