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samedi 7 janvier 2012

Ali Aarrass : quand la Belgique abandonne certains de ses citoyens…



Par Abdellah BOUDAMI, Co-auteur, avec Nicolas Ingargiola, Politique, Revue de débats n°73 : jan. fév. 2012

Jeudi 24 novembre 2011, Ali Aarrass se tient seul devant ses juges. C’est alors la neuvième audience de son procès, au Tribunal de Rabat. Et c’est à ce moment, alors que ses avocats et ses proches se sont retiré le temps d’une pause, que le verdict est prononcé : il est condamné à quinze ans de prison. Ne comprenant pas l’arabe, ce n’est que lorsque ses avocats le rencontrent qu’il prend la mesure de l’injustice de la peine. En effet, Ali Aarrass est innocent…

Rappelons les faits qui jalonnent cette saga politico-judiciaire et qui ont mené Ali Aarrass de la prison espagnole à la torture marocaine, en passant par l’indifférence belge.

Arrestations et non-lieu

Ali Aarrass est né en 1962 à Melilla, une des deux enclaves espagnoles au Maroc (avec Ceùta), et est arrivé en Belgique en 1977, où il obtient la nationalité belge [1]. Ce n’est qu’en 2005 qu’il retourna vivre auprès de son père, à Melilla. Durant ces longues années passées en Belgique, Ali effectua son service militaire et travailla dans plusieurs secteurs avant d’ouvrir son propre commerce, une papeterie à Bruxelles. Très apprécié, honnête et généreux, c’était un homme respecté dans le quartier. C’est donc comme un coup de tonnerre que sonna l’annonce de son arrestation en Espagne, en novembre 2006. Relâché sous caution, et faisant l’objet d’une enquête pour trafic d’armes, il fut arrêté à nouveau, en avril 2008, sur base d’éléments provenant de la justice marocaine.

« Absolument rien n’a été fait au niveau du ministère des Affaires étrangères pour sauver le citoyen belge. »

Cette dernière lança plusieurs mandats d’arrêts internationaux, et les justifia en invoquant des preuves émanant d’interrogatoires dans le cadre de l’affaire Belliraj, un Belgo-Marocain comme Ali Aarass, qui est accusé d’avoir commandité des attentats.

Le procès Belliraj ayant été cette farce que l’on sait (on a pu voir dans les câbles Wikileaks que, aussi bien du côté américain que belge, il n’y avait pas de doutes quant au caractère inique du procès Belliraj, sans compter les accusations de torture), la justice belge refusa d’extrader les hommes arrêtés en Belgique. L’Espagne diligenta une enquête sous la direction du célèbre juge Baltazar Garzon, connu pour sa rigueur et son inflexibilité. Il ne trouva absolument aucun fait à charge de Ali Aarrass et délivra un non-lieu en mars 2009. 
Pourtant, et c’est ce qui causait la perplexité de ses proches et de ses avocats, Ali Aarrass était maintenu en détention, en isolement, et la justice espagnole délégua au Conseil espagnol des ministres la décision de l’extrader ou pas vers le Maroc. Le Conseil postposa cette décision jusqu’en novembre 2010.

Extradition et torture

Malgré les grèves de la faim et les protestations (la campagne « Free Ali » se mit doucement en place et tenta de sensibiliser citoyens, médias et politiques à propos de l’affaire), le Conseil des ministres en Espagne décida, le 19 novembre 2010, d’accepter d’extrader Ali Aarrass vers le Maroc. Tout de suite, ses avocats portèrent l’affaire au niveau de l’ONU, laquelle décida, via son Haut-Commissariat aux Droits de l’Homme, de demander la suspension de l’avis d’extradition. Passant outre, l’Espagne extrada Ali Aarrass le 14 décembre 2010, sans même que sa famille ou ses avocats ne soient prévenus. En effet, c’est par la presse qu’ils furent mis au courant. Ali Aarrass disparut de longues semaines, sans que personne ne sache où il se trouvait…

L’attitude du gouvernement belge est sidérante. Absolument rien n’a été fait au niveau du ministère des Affaires étrangères pour sauver le citoyen belge. Dans un premier temps, lorsqu’Ali Aarrass était en Espagne, la Belgique justifiait son inaction dans le dossier par le fait que l’Espagne est un État démocratique et qu’il fallait donc lui faire entière confiance. Dans un second temps, après l’extradition au Maroc, l’État belge invoqua la loi selon laquelle un citoyen ayant la double nationalité, lorsqu’il met les pieds dans le pays de son autre nationalité, ne reçoit aucune aide consulaire ou action particulière du gouvernement belge. Les réponses (ou non-réponses, le plus souvent) de Steven Vanackere sont restées cohérentes tout au long des interpellations (à l’instar de celle de Zoé Genot du groupe Ecolo- Groen !) : il refusa d’agir.

« Et c’est cette question de la double nationalité que soulève avec encore plus d’acuité l’affaire Aarrass ».

Dans la mesure où il était certain que Ali Aarrass allait subir des tortures au Maroc, et que par conséquent des droits humains fondamentaux allaient être bafoués, on peut se poser la question de la pertinence, dans le chef de l’État belge, à mettre en balance d’une part une loi sur l’aide consulaire qui date du XIXe siècle, et d’autre part des droits humains élémentaires.

Tabassages en règle, viols à l’aide de bouteille, chocs électriques, privations de sommeil, injections de produits chimiques, rien ne sera épargné à Ali Aarrass. Il sera forcé et contraint de signer des aveux (en arabe !) dans lesquels il est censé reconnaître, après quelques jours d’interrogatoires, des faits qu’il avait pourtant niés pendant plus de trois ans. 
En avril 2011, commença alors
un procès-farce 
parsemé de vices de procédure et de
manquements flagrants aux droits de la défense : les pièces du dossier qui sont à sa décharge seront escamotées, les plaintes pour torture n’aboutiront pas, la conversation téléphonique dans laquelle Belliraj innocente Ali Aarrass n’apparaîtra jamais, la confrontation d’Ali Aarrass avec un autre accusé censé avoir prononcé son nom lors des interrogatoires, confrontation durant laquelle cet accusé nie le connaître, sera écartée sans plus de détails… Et les plaidoiries pourtant brillantes des avocats d’Ali Aarrass resteront lettre morte. Ainsi, après être passé par la sinistre DST marocaine, Ali Aarrass vécut aussi la triste réalité des procès politiques au Maroc : des juges d’instruction à la botte du pouvoir et des audiences de procès toujours reportées, afin de fatiguer la campagne « Free Ali » et de saper les ressources – financières et morales – des amis solidaires d’Ali Aarrass. Tout ceci, sous l’oeil complice des autorités belges et européennes…

L’indifférence des autorités

Parmi les quelques soutiens qu’a reçus Ali Aarrass au long de son calvaire figure l’appel du citoyen belgo-turc Bahar Kimyongür. Ce dernier sait fort bien de quoi il parle, puisqu’il a souffert également du piège de la double nationalité. En effet, pour permettre l’extradition vers la Turquie de Bahar Kimyongür, les autorités belges avaient orchestré en 2006 une machination visant à le faire arrêter aux Pays-Bas, où il n’aurait plus pu bénéficier de la protection que lui conférait en Belgique sa nationalité belge.

Et c’est cette question de la double nationalité que soulève avec encore plus d’acuité l’affaire Aarrass. En effet, chez nombre de Belgo-Marocains, on a le sentiment prégnant d’être traité comme des citoyens de seconde zone, ne bénéficiant pas des mêmes droits que les Belges « de souche ». Dans un contexte marqué par une islamophobie rampante, par des thèses racistes de plus en plus assumées et relayées, par une guerre « antiterroriste » qui justifie les lois d’exception, la figure du bouc émissaire arabo-musulman qui ne peut pas jouir pleinement de sa citoyenneté interpelle nombre de Belges, notamment ceux qui sont issus de l’immigration. L’indifférence des autorités belges depuis le début des événements ne peut que conforter cette impression.

[1] La nationalité marocaine étant inaliénable, tout Marocain qui acquiert la nationalité belge devient automatiquement belgo-marocain, indépendamment de sa propre volonté.

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