Kick-boxing vs. le roi du Maroc |
Par Patrick Baudouin, FIDH, 11/1/2012
L’histoire de Zakaria Moumni, ça part de quoi précisément ?
Zakaria Moumni est un champion du monde dans sa catégorie sportive et à ce titre-là, il devait lui être accordé un poste de conseiller sportif au sein du ministère marocain de la jeunesse et des sports. C’est un travail qui devait lui être accordé en conséquence de l’honneur qu’il avait fait au Maroc d’être champion du monde.
Pour des raisons obscures mais qui tiennent sans doute au fait que Zakaria Moumni n’a pas hésité à dénoncer certains phénomènes de corruption y compris dans la Fédération marocaine de boxe, on ne lui a pas accordé ce poste de conseiller sportif.
Comment un refus de poste a-t-il pu dégénérer à ce point ?
Zakaria Moumni s’en est plaint, il a essayé de l’obtenir par les voies les plus amiables possibles et puis en définitive il s’est adressé à la presse à qui il a fait savoir qu’il trouvait inadmissible de lui refuser ce poste auquel il avait droit.
Cela a déplu au plus haut niveau surtout que ça s’était doublé de critiques en matière de corruption. Il est retourné pour quelques jours au Maroc alors qu’il vit en France en septembre 2010 et à son arrivée à il a été immédiatement interpellé, interrogé dans un centre d’interrogatoire et torturé pendant 4 jours.
On a voulu lui faire reconnaitre qu’il se serait rendu coupable d’un délit d’escroquerie. Il aurait escroqué 1.200 euros à chacun de deux ressortissants marocains qui voulaient bénéficier d’un contrat de travail en France. On le présentait comme ayant servi d’intermédiaire pour obtenir un contrat de travail en échange de cette somme. Ce qu’il conteste.
Au terme d’un procès expéditif – il a été jugé sans avocat – il est condamné à trois ans d’emprisonnement.La cour de cassation marocaine a estimé que le procès était entaché de tellement d’irrégularités qu’il fallait casser la décision qui avait été rendue de condamnation à deux ans et demi d’emprisonnement.
En définitive il y a eu un renvoi devant la cour d’appel de Rabat. Un procès a eu lieu le 15 décembre.
Qui sont ces deux Marocains plaignants ?
Ce sont deux hommes qu’on a fait venir là en leur disant ce qu’il fallait dire. Ils étaient là en qualité de « plaignants –témoins » : ils ne se sont pas constitués partie civile, ils n’ont pas demandé de dommages et intérêts, ils n’ont pas eu d’avocat. Or, lorsqu’on est victime d’escroquerie, on demande à être remboursé pour le litige; cela n’a pas été le cas ici. Ca suffit à discréditer un procès !
C’est cette injustice que vous dénoncez ?
Tous les observateurs qui étaient au procès notamment l’avocat de Zakaria Moumni, maître Jamaï et les associations des droits de l’Homme ont dénoncé une mascarade.
Le 22 décembre 2011, Zakaria Moumni a été condamné à 20 mois de prison. L’objectif aujourd’hui est de souligner le caractère inéquitable du verdict et d’intervenir en faveur de Zakaria Moumni auprès du Roi du Maroc
Moumni n’a pas hésité à dénoncer certains phénomènes de corruption dans la Fédération marocaine de boxe
Mohammed VI a pour habitude de gracier quelques prisonniers le jour anniversaire de la Commémoration du manifeste pour l’Indépendance du Maroc, le 11 janvier
Il a été condamné à 20 mois de prison. Il lui reste encore 5 mois à faire puisqu’il en a déjà purgé 15. Est- ce qu’il y a un espoir réel que le roi Mohammed VI gracie Zakaria Moumni ce mercredi, lors de la commémoration du Manifeste pour l’indépendance du Maroc ?
Maître Jamaï m’a dit qu’ “il n’y a aucun signe pour l’instant, ni positif ni négatif” en ce qui concerne Zakaria Moumni et qu’on est vraiment dans l’incertitude la plus totale sur le fait de savoir si la grâce englobera le cas de Zakaria Moumni ou non.
On demande avec fermeté que sa grâce lui soit accordée et non pas comme un privilège accordé par le roi mais comme un droit: le droit de le voir libéré immédiatement suite à une condamnation qui ne repose sur aucune charge sérieuse.La deuxième demande est qu’il soit réhabilité c’est-à-dire qu’il soit reconnu par des procédures que Zakaria n’avait pas à être condamné.
Avez- vous des nouvelles régulières de Zakaria Moumni? Comment se porte-il moralement ?
Moralement, il est surtout déçu parce qu’il espérait être libéré pour la fin de l’année et passer les fêtes en famille. Son avocat était optimiste avant l’arrêt de la cour de Rabat du 22 décembre et pensait qu’au minimum la condamnation couvrirait le temps que Zakaria avait déjà passé en prison et qu’il serait libéré. Cela n’a pas été le cas et ça a été dur pour lui à accepter mais Zakaria Moumni reste combattif et il a la chance d’être très fortement soutenu notamment par son épouse qui mène un combat nouveau pour elle mais avec beaucoup de détermination et de persuasion. Il est aussi aidé par de très nombreuses organisations internationales de défense des droits de l’Homme. Il a un comité de soutien. Guy Bedos est aussi venu soutenir l’épouse de Zakaria Moumni.
Et vous, en tant qu’avocat, comment regardez-vous cette situation ?
Ce qui me parait regrettable c’est le décalage avec le discours officiel tenu par le roi en 2011 : un discours qui revendique la volonté d’un pays qui va vers la démocratie et respecte les droits de l’Homme, qui a une magistrature indépendante. Or, là on vient de voir une magistrature aux ordres, l’absence de l’indépendance de la justice, un procès inéquitable qui ne respecte pas les critères internationaux du procès et donc une violation des obligations internationales du Maroc. C’est un très mauvais signal et cela amène à s’interroger sur le fait de savoir si on a un discours en trompe l’œil ou s’il y a vraiment une volonté politique qui respecte les valeurs démocratiques. Si c’est le second temps qui est le bon, il convient de libérer tout de suite Zakaria Moumni.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire