Par Salah Elayoubi, demainonline, 8/1/2012
Mouad Belghouat devant ses juges
Opinion. Les concepteurs du tribunal d’Aïn Sebaa ont raté leur coup. Faisant l’impasse sur l’acoustique qui sied aux bâtiments de grande fréquentation, ils ont, en prime, aggravé la situation, en optant pour des matériaux froids et durs comme le marbre, les zelliges et la peinture, rendant quasi nulle toute absorption des sons parasites.
Ceux, nombreux, qui empruntaient les pas perdus de ce tribunal, ce jeudi 5 janvier, devaient élever la voix, pour se faire entendre, au milieu du tintamarre ambiant et des éclats de toute sorte, répercutés sans fin.
On se serait crus téléportés dans un hall de gare, un jour de grande affluence. Manquaient le carillon, la voix suave de la speakerine, les sifflets des contrôleurs, les chariots à valises et les vendeurs de sandwiches et on tournait une séquence départ en voyage.
Car de voyage, c’est bien de cela qu’il s’agissait, à cette septième audience du procès Mouad Belghouat.
Un voyage dans une autre dimension.
Louis Caron disait un jour : « Les auteurs de l’injustice s’arrangent toujours pour avoir la force de leur côté. »
J’ajouterais ceci : « Lorsqu’une procédure judiciaire défie la logique la plus élémentaire, c’est que la justice en est absente et qu’une forfaiture est en cours d’accomplissement ! ».
Tout, dans cette affaire, exsude la machination.
Pas la cabale subtile, intelligente et bien ventilée, mais l’intrigue de mauvaise facture, l’embuscade lourde, grossière, maladroite et malodorante.
Une police qui refuse la plainte de l’un des protagonistes d’une rixe imaginaire, un certificat médical dont tout porte à croire qu’il est de complaisance, un coma dont aucun hôpital ne peut se souvenir, le comateux qui continue de battre campagne et infliger aux uns et aux autres ses assauts d’agressivité, de menaces et d’invectives, un nez cassé miraculeusement remis d’équerre, des auditions à rallonge et à coulisse, programmées, à dessein, à des heures dignes des grands procès d’assises, des contradictions et des aberrations dans les déclarations du plaignant, une partie civile qui empiète sur les prérogatives imparties à l’accusation, sous l’œil goguenard du Président du tribunal et pour couronner le tout, une liberté provisoire refusée après près de quatre mois d’emprisonnement, sept comparutions et la présentation de toutes les garanties requises par la loi.
Cerise sur le gâteau, aucun organe de presse, aucune chaîne de télévision, pour couvrir l’un des procès les plus emblématiques de ces dix dernières années et qui oppose un démocrate à un de ces petits suppôts minables de la dictature et de l’absolutisme.
Le tribunal résonnera longtemps, encore, des joutes oratoires entre les avocats de la défense soutenant la thèse du complot contre un rappeur devenu, depuis son arrestation le symbole, malgré lui, de la lutte pour la dignité du peuple marocain et ceux de la partie civile, acharnés jusqu’à la haine.
Lourde erreur que de s’être attaqué à celui qui n’était encore, hier, qu’un chahuteur, adoubé pour la poésie de ses textes et ses rimes assassines, qui n’auront épargné ni les petits ni les grands.
Le procès qui se tient, là et aujourd’hui, est celui du vingt février, ce mouvement citoyen, spontané, né de la frustration et de la colère de millions d’individus, réduits à l’état de citoyens de deuxième catégorie et privés de leurs droits élémentaires, par une poignée de profiteurs, de corrompus, d’escrocs et de « confiscateurs ».
Mais il est, également, le procès de tous ces sans-voix, ces exclus, ces pauvres, ces misérables, épris de justice et d’équité.
Lourde erreur, disais-je, que penser qu’il suffisait d’embastiller en 2011, comme naguère, un militant pour le neutraliser, le museler et jeter l’effroi chez ses co-protestataires.
Piètre calcul que celui qui consiste à prolonger cette affaire, pour lasser les démocrates et les dissuader de poursuivre leur lutte légitime et le support qu’ils apportent à l’un des leurs.
La justice se sera, une fois de plus, pesamment fourvoyée, dans un procès qui n’a nullement lieu d’être, comme le dit si bien Saadia Elouallous, avant d’ajouter :
- « Le juge n’a pas de décision, il attend un coup de fil qui n’arrive pas ! »
Les minutes du procès foisonnent de détails croustillants où la justice qui s’administre, pourtant, le plus sérieusement du monde, au nom du chef de l’Etat, se ridiculise à accorder du crédit et de la voix, à un plaignant agité, incohérent, maintes fois contredit et, à présent, en proie à une amnésie suspecte.
Chacune des audiences marathons, parsemées de multitudes d’interruptions de séances, déclenche l’hilarité générale et fait le bonheur du public qui se frappe les cuisses de plaisir.
Et pourtant, Mouad reste en prison !
Et pourtant la rue continue de gronder de colère et marteler :
- « Koulna, koulna haqdine, ghir diouna kamline ! » Tous enragés, tous en prison !
Le parquet se serait grandi à classer l’affaire sans suite, dès réception de la plainte.
Au lieu de quoi Mouad est devenu le héros que l’on sait, la rue résonnant, sans discontinuer, de son nom, de ses textes, de ses rythmes et son image parsemant la toile, jusqu’au fin fond du globe.
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Relire sur solidmar 6/1/2012: compte rendu détaillé du procès
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