Par Louise Fessard, 26/1/2012
Premiers contrôles dès dix ans
Et surtout elles n’épargnent en rien les enfants, soumis au même régime que leurs aînés. « Contre le mur, vider les poches, la sacoche, le coup sur les pieds pour ouvrir les jambes », décrit un jeune garçon, contrôlé à 12 ans dans une gare de banlieue parisienne. C’est l’autre point marquant de ce rapport qui cite plusieurs adolescents qui ont commencé à être contrôlés très jeunes, parfois dès 10 ans.
Ils racontent leur « première fois », comme Hassan, aujourd’hui 15 ans, contrôlé à 11 ans par des policiers alors qu’il revenait de la piscine avec son petit frère, à Tourcoing, en région lilloise.
« II y avait une bande de jeunes qui se faisait contrôler, explique-t-il. Je les ai salués et ils m’ont dit de me mettre contre le mur avec mon petit frère de huit ans. On s’est mis contre le mur, ils nous ont fouillés. On avait nos sacs de piscine, ils nous ont dit de poser nos sacs et ils ont fouillé dedans. Ils nous ont fouillés de haut en bas et les parties intimes. Ça m’a fait bizarre, je tremblais un peu. »
« Il faut imaginer des petits gars de dix ans plaqués contre un mur, juste parce qu’ils faisaient du bruit, s’exclame Judith Sunderland. Ce n’est vraiment pas une jolie scène. Et cela peut avoir des conséquences psychologiques importantes pour les enfants, sans compter l’image que cela leur donne de la police française. »
Le rapport cite également la remarque, glaçante, d’une jeune Parisien noir de 13 ans, qui relativise du haut de ses six expériences de contrôles d’identité : « Ça fait peur au début quand on me contrôle. Maintenant je commence à m’habituer. » Les plus âgés se sont si bien habitués qu’ils ont adopté des stratégies comme ce Parisien noir de 31 ans, cité par le rapport : « En quelque sorte, je dois penser avec qui je marche dans la rue, je dois me poser la question. » « Si tu ne veux pas te faire contrôler, tu ne vas pas en groupe, tu t’habilles d’une certaine manière, tu ne vas pas dans une belle bagnole », explique également un animateur de banlieue parisienne.
Qu’en pensent-ils les policiers ?
Les trois fonctionnaires de la préfecture de police de Paris et de celle du Nord-Pas-de-Calais à Lille qui ont été interrogés « défendent le système du contrôle d’identité comme un outil pour la police et les mesures de palpation comme absolument nécessaires pour assurer l’intégrité des focntionnaires », résume Judith Sunderland.
En temps normal, il suffit aux policiers d’avoir « une ou plusieurs raisons plausibles » de soupçonner, du fait de son comportement, qu’une personne a commis, tenté, ou se prépare à commettre une infraction, pour pouvoir la contrôler. Motif encore plus flou, les contrôles d’identité peuvent également viser à prévenir une atteinte à l’ordre public, quel que soit le comportement de la personne.
Autre possibilité laissant une marge de manœuvre aux policiers, la loi autorise les contrôles aléatoires sur tous les sites de transport (aéroports, gares, etc.). Et les procureurs de la République peuvent désigner des zones où, dans un laps de temps, les policiers peuvent contrôler n’importe qui, quel que soit son comportement.
(...)
Contrôles au faciès répétés dès l’âge de 10-12 ans, en l’absence de signe d’infractions, fréquemment assortis de palpations portant atteinte à l’intimité, d’un tutoiement systématique des policiers, et parfois de propos insultants, voire racistes : tel est, selon Human Rights Watch (HRW), le lot des jeunes Français issus des minorités.
L’ONG publie ce jeudi un rapport intitulé « La base de l’humiliation : les contrôles d’identité abusifs en France », s’appuyant sur quelque 70 entretiens avec des Français appartenant à des groupes minoritaires (et pour moitié des enfants), menés à Paris, Lyon et Lille entre mai à septembre 2011. Le constat de ce profilage ethnique et du large pouvoir discrétionnaire des policiers en matière de contrôles n’a rien de nouveau. En 2009, une étude du CNRS avait montré que, sur cinq sites parisiens étudiés, les Arabes et les Noirs avaient respectivement 7,8 et 6 sept fois plus de chance d'être contrôlés que les Blancs.
Récemment, l’anthropologue Didier Fassin décrivait l’usage par les agents d’une brigade anticriminalité de ces contrôles d’identité à répétition comme un véritable instrument du maintien de l’ordre social dans les cités
Alors pourquoi un nouveau rapport ? « Précisément parce que nous n’avons vu aucun changement dans les pratiques des policiers français après la publication de ces travaux, répond Judith Sunderland, chercheuse à Human Rights Watch et auteur du rapport. Cela reste un problème très grave pour la France qui touche particulièrement les personnes issues des minorités et les jeunes gens. Les autorités devraient porter plus d’attention à ce sujet qui a très clairement joué un rôle dans les émeutes de 2005 et 2007 et, au quotidien, dans les conflits de moindre intensité entre jeunes et police.»
Le rapport souligne que les contrôles d’identité sont souvent bien plus intrusifs qu’une simple vérification des papiers. D’après Human Rights Watch et comme le confirment les quelques responsables policiers qui ont accepté de répondre à l’ONG, le recours à la palpation est « clairement systématique ».
Là encore le pouvoir discrétionnaire des policiers est immense puisqu’il n’existe aucune base légale à la palpation de sécurité, contrairement aux fouilles corporelles encadrées par la loi. Une jurisprudence du tribunal de Grenoble de 1997 la définit comme une « mesure de sûreté de lui-même et du public abandonnée par la loi à la sagesse de l’officier de police judiciaire »... « Toutes les personnes avec qui j’ai discuté ont souligné que ces palpations étaient particulièrement vexatoires », insiste Judith Sunderland.
Les policiers prennent rarement la peine d’expliquer le motif du contrôle, même lorsqu’ils sont questionnés. Selon les citoyens interrogés par HRW, « les réponses étaient presque toujours superficielles – contrôle de routine – et parfois agressives ». Pas motivés, les contrôles ne sont pas non plus systématiquement consignés par les policiers.
Ce qui a son avantage : « La Commission nationale de déontologie de la sécurité (CNDS) n’a pas été en mesure de donner suite de façon appropriée aux plaintes relatives au traitement réservé pendant des contrôles d’identité précisément parce que la hiérarchie de la police a été incapable d’identifier les policiers concernés », souligne le rapport.
Human Rights Watch propose donc de revoir la loi française pour « limiter avec précision les pouvoirs en matière de contrôle d’identité », et préconise l’introduction d’un formulaire à remettre à la personne contrôlée, une idée reprise dans le programme du PS et qui a déjà fait ses preuves au Royaume-Uni et en Espagne.
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