Par Nestor Romero, Mediapart, 23/1/2012
Le livre de Pierre Joxe « Pas de quartier ? » vient de paraître, fort à propos, chez Fayard. En effet, comme on ne le sait sans doute pas assez, les EPM (établissements pénitentiaires pour mineurs) sont des lieux de détention réservés aux jeunes de 13 à 18 ans, aux enfants comme le dit justement l'auteur.
Des prisons pour enfants, donc, créés par la Loi d'orientation et de programmation pour la justice du 9 septembre 2002 dite Loi Perben 1. Les premiers établissements ont été ouverts en 2007-2008, les « Centres éducatifs fermés »créés par la même loi et mis en service précédemment ne suffisant manifestement pas à mater les récalcitrants.
Il y a actuellement environ 360 personnes détenues en EPM sur quelque 800 jeunes incarcérés. Les quartiers pour mineurs que devaient remplacer les EPM n'ont, en effet, pas disparu. Évidemment.
Schizophrénie
L'idée qui présida à la création de ces prisons pour enfants était de « faire une école avec des murs » autrement dit d'allier dans les hauts murs le pénitentiaire et l'éducatif, idée qui se concrétisa sur le terrain par la création d'un « binôme » constitué d'un gardien et d'un éducateur. Ce qui, non seulement d'un point de vue pédagogique, mais socialement et psychologiquement parlant, est une aberration.
L'éducation, en effet, implique l'adhésion de l'apprenant, ce que l'institution éducative « ouverte » a déjà tellement de peine à réaliser. Le pénitentiaire en revanche nécessite la coercition qui contraint à faire pénitence. Il s'agit donc là d'un couple schizophrénique auquel est confié l'enfant détenu. Et pas n'importe quel enfant. Un enfant rompu.
Car nous savons bien qui sont ces enfants, nous savons bien qu'il ne viennent pas des beaux quartiers et nous savons bien qu'ils sont les laissés-pour-compte d'une institution éducative qui refuse obstinément de se donner les moyens de prendre en charge dès avant la maternelle les enfants les plus démunis, les plus éperdus.
Tout commence là en effet, dans cette scolarisation qui devrait demeurer maternelle et dans laquelle, comme le souhaitait tant Pauline Kergomard (fondatrice des écoles maternelles), le jeu devait être la première occupation de l'enfant, le premier travail disait-elle, par lequel celui-ci entrait dans la lecture, l'écriture, la culture. Et ceci sans nécessité de ces évaluations qui dès ce premier âge opèrent des ségrégations qui n'osent dire leur nom.
C'est à ce moment inaugural de la vie qu'il conviendrait de consacrer les moyens les plus importants, ceux que l'on trouve pour construire prisons, CEF et EPM (environ 700 euros par jour pour un jeune en EPM), pour donner à ces tout-petits « issus de milieu défavorisé » le bain linguistique (tout commence par la maîtrise de la langue), artistique et culturel dont ils ne bénéficient pas dans leur famille.
De l'école à la prison
A défaut, le cheminement est bien connu: difficultés pour maîtriser une langue qui ne se parle pas à la maison, difficultés d'apprentissage de la lecture-écriture qui persistent jusqu'en sixième, jusqu'en troisième et bien au-delà pour ceux qui vont au-delà, passages, que dis-je, chutes régulières dont chacune meurtrit, de ''mauvaises classes en classes de ''soutien'', classes relais, ateliers relais et puis pour certains, les ''bêtises'' aidant, tous les ''centres'', fermés , renforcés, jusqu'à la prison, ces EPM, maintenant.
Je sais bien tous les ''ascenseurs sociaux'' que l'on peut opposer à cette description. Une seule question, cependant: combien d'enfants du 7°, par exemple, dans les EPM ? C'est tout dire.
Mais il est tellement plus facile d'inculquer et d'évaluer, et de mentir comme ne cesse de le faire ce DRH qui se prend pour un ministre de l'Éducation, qui prétend faire une révolution en inventant une aide personnalisée qui, sous diverses formes, se pratique depuis cinquante ans pour le moins, qui dément vouloir évaluer en maternelle alors que des documents publiés par son ministère prouvent le contraire et qui dissimule les statistiques peu favorables à son bilan (Le Monde, 13 décembre 2011) .
Conséquences : suicides (EMP de Meyzieux, février 2008- EMP d'Orvault, février 2010), mutineries (Meyzieux, juin 2007- Lavaur, juillet 2007 et mai 2011), agressions d'éducateurs et de surveillants, destruction de cellules, tentatives d'évasion... La CGT-PJJ en arrive à comparer ces prisons pour jeunes à des cocottes-minutes et jusqu'au Sénat (le précédent) qui dans son rapport ne peut que constater la catastrophe.
Alors quand d'autres jeunes, militants ceux-ci, protestent à leur manière, qui n'est sans doute ni la plus élégante ni la plus efficace, mais sans causer véritablement de dégâts, que fait-on ? On incarcère bien sûr, puisque c'est tout ce que l'on sait faire, ce que l'on veut faire.
Peu de dégâts
C'est ainsi que le 15 novembre dernier six personnes ont été arrêtées à Toulouse. Quatre d'entre elles sont toujours en détention préventive accusées de s'être introduites dans les locaux de la direction interrégionale Sud de la Protection judiciaire de la jeunesse (PJJ), d'avoir répandu un liquide nauséabond sur les ordinateurs, et dénoncé par tags et tracts les EPM .
Les accusés revendiquent leur qualité de militant(e)s politiques mais nient leur participation à cette action dont la forme, je le répète, est évidemment discutable, mais dont Michel Valet, procureur de Toulouse a pu dire :
« Les agents de la PJJ n'ont pas fait l'objet de violences physiques même si cet acte, qui n'a finalement fait que peu de dégâts, les a profondément choqués. » (La Dépêche du Midi, 6 juillet 2011).
Il demeure, malgré le peu de gravité des faits, que quatre personnes sont incarcérées et il demeure le problème des EPM, ces véritables prisons pour enfants, qui n'ont cessé d'être dénoncées depuis leur création par de nombreuses organisations politiques et syndicales, de la FSU à la LDH en passant par le Syndicat de la Magistrature et le PC, peu suspectes, elles, de sympathies « anarcho-autonomes-ultra-gauche-etc. ».
Il demeure, quand l'on assiste depuis des années à des scandales politico-financiers d'une tout autre gravité mais qui ne conduisent nullement les prévenus, ni même les condamnés, en prison, il demeure que l'on peut se poser la question du rapport entre égalité et justice dans ce pays. Question naïve, sans doute...
Dernière minute : l'un des quatre militants détenus vient d'être libéré. Il en reste trois... en prison.
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