CECI N'EST PAS UNE FICTION...
Ce dimanche, 22 janvier 2012, vers 11h du matin je suis allé prendre un café et ramener du pain .
Le café est situé près de la fac de lettre (ville de Mohammedia). La boulangerie est juste à côté. Ce n’est pas un café « populaire » , et ce n’est pas non plus un café de luxe.
A Mohammedia le prix d’une tasse de café-crème (c’est ce que je prends souvent) varie de 5 dh( 6dh est le plus répandu) à 14 dh. Dans le café où je suis allé : c’est 8 dh . Donc ce n’est pas donné, et en plus l’établissement est relativement loin du centre de la ville.
Je me suis attablé pas loin de deux personnes : un moustachu d’environ la cinquantaine, un barbu (55ans à 60 ans). Tous les deux costauds et « bien-nourris » comme diraient les africains subsahariens.
Le téléphone du moustachu sonna. Il prend le téléphone avec un air d’homme d’affaire.
Et voilà des phrases que j’ai pu retenir. « Oui, je vous comprends. Vous n’êtes pas les seuls à avoir un mort aujourd’hui. Vous êtes sur la liste. Je ne vous ai pas oublié. Oui, oui. Mais il faut attendre votre tour. Je ne peux pas me partager… ». Le bonhomme sirote tranquillement son café et continue la « discussion ». Un moment donné son visage devient radieux. D’un air malin, d’un air de quelqu’un qui a remporté un « marché », il regarde son ami le barbu. Il termina sa discussion téléphonique par « oui khoya (frère) j’arrive tout de suite ».
A ce moment deux barbus, aussi costauds que les premiers, « bien-nourris », descendent d’une belle voiture. Les embrassades. Tout le monde s’appelait El Haj. Le 1er barbu sort deux billets de banque de sa poche et remet à chaque nouvel arrivé un billet. Je crois que c’était 100 dh chacun. Tout le monde est debout. Et l’un des arrivants parle d’un autre mort : « si elle veut que son père garde sa forme ( ميتكرفسش ) elle doit nous laisser le laver avant de le transporter. Elle ne doit pas être radine » Tout le monde acquiesce. Tout le monde rigole. Les trois barbus prennent la voiture qui vient d’amener les deux énergumènes, le moustachu rejoint une voiture luxueuse stationnée en face du café où il y a un individu (sa barbe dépasse les 10 cm ). Une quarantaine d’année.
Conclusions personnelles :
1 - Il s’agit certainement d’individus qui se sont donnés rendez-vous dans un café loin des yeux indiscrets pour traiter affaires et cela aux dépens des familles en deuil
2 - Le moustachu ne peut être que : soit policier, soit médecin, soit membre de la commune.
Pourquoi ?
- Le policier doit venir à la maison voir le mort, et pour qu’il vienne vous êtes obligé de lui « payer » ses services. Et pour que son « dû » soit plus important il doit laisser trainer…
- Le médecin légiste doit venir voir le mort. Il exige ses « honoraires » Le montant des « honoraires » est une affaire de négociation où le rapport de force est, et de très loin , en faveur du policier, du médecin… La loi impose aux endeuillés de passer par ces individus, individus sans scrupule aucun.
Plus de 90 % des citadins marocains n’ont pas sassez d’espace pour organiser des « réceptions » de félicitation ou de condoléances. Les communes sont ainsi en possession de tentes de 3 types :
+ les tente caïdale pour les fêtes et autres réceptions officielles (la fête du trône en premier lieu)
+ les tentes des fêtes familiales (mariages, circoncision…)
+ les tente de la mort
Les deux dernières catégories sont source d’extorsion d’argent et surtout moyen de pression « électorale »
3 - Les 4 barbus forment certainement une bande qui se fait de l’argent en exploitant la religion et aux dépens des familles endeuillées et sans « main-longues » comme on dit chez nous.
4 - Le moustachu n’a pas menti quant au nombre de décédés. Ces dernières semaines, le Maroc connait beaucoup, BEAUCOUP de morts. Dans les quartiers populaires de Mohammedia vous voyez quotidiennement des tentes dressées. Pour le moment personne ne s’intéresse à ce phénomène.
5 - Ce n’est pas une petite histoire. Je n’ai pas la prétention d’écrire de la fiction. Je ne suis pas, « littérairement » armé pour cela.
Ali Fkir, le 22 janvier à midi 30 mn, bouleversé de ce qu’il a vu et entendu.
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