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dimanche 23 octobre 2011

Maroc : Du bon respect de la constitution

Ahmed Benseddik
Par Ahmed Benseddik, demainonline, 23/10/2011
L’agence officielle Maghreb Arabe Presse MAP a diffusé le 05 octobre une dépêche annonçant la nomination par le roi Mohammed VI de Mr Mustapha SAHEL en qualité de conseiller royal, selon un communiqué du Ministère de la maison royale, du protocole et de la chancellerie.

Deux mois auparavant, un communiqué similaire été rendu public et portait sur la nomination de Mr Abdellatif MENNOUNI en qualité de conseiller royal également. Ce dernier n’est autre que le président de la commission qui a rédigé la nouvelle constitution. La nomination de Mr MENNOUNI a été publiée au bulletin officiel Numéro 5984 en date du 06 octobre 2011, version en langue arabe. Ci-dessous un scan de la page en question :


En voici une traduction approximative en français:
« Nomination d’un Conseiller de Sa Majesté

En vertu du Dahir acharif Numéro 1.11.163 en date du 29 Chaoual 1432 (28 septembre 2011), Mr Abdellatif MENNOUNI est nommé Conseiller de Sa Majesté à compter du 6 ramadan 1432 (4 Aout 2011). »

Ces deux nominations soulèvent certaines interrogations :

La première : Quel est, dans l’architecture institutionnelle de la nouvelle constitution, le statut de ce ministère de la maison royale, sachant que c’est un ministère sans ministre, ou du moins sans ministre connue comme les autres, et sachant que l’article 87 de la nouvelle constitution stipule : « Le gouvernement se compose du Chef du Gouvernement et des ministres, et peut comprendre aussi des Secrétaires d’Etat. Une loi organique définit, notamment, les règles relatives à l’organisation et la conduite des travaux du gouvernement, et au statut de ses membres » alors que l’article 93 énonce « Les ministres sont responsables, chacun dans le secteur dont il a la charge et dans le cadre de la solidarité gouvernementale, de la mise en œuvre de la politique du gouvernement. Les ministres accomplissent les missions qui leur sont confiées par le chef du gouvernement.

Ils en rendent compte en Conseil de Gouvernement. Ils peuvent déléguer une partie de leurs attributions aux Secrétaires d’Etat. »

Quelle est donc le statut constitutionnel du Ministère de la Maison Royale, du Protocole et de la Chancellerie ? Est-il constitutionnel ? Supra-constitutionnel ? Infra-constitutionnel ? Non constitutionnel ? Autre ? Est-ce que le prochain gouvernement comprendra un ministre pour ce ministère, qui appliquera la politique gouvernementale dans le secteur de la Maison Royale ?
Abdellatif Mennouni
La deuxième : La nomination de conseillers royaux Mr Mustapha Sahel et avant lui Mr Abdellatif MENNOUNI, a-t-elle respecté les dispositions de la nouvelle constitution, en particulier la procédure d’émission de Dahir par le roi? N’oublions pas que le poste de conseiller n’est pas mince et ne peut être assimilé au domaine des affaires privées du roi – comme le médecin et particulier ou le chauffeur personnel – sinon il ne serait pas nommé par Dahir royal. Il perçoit une rémunération puisée sur des budgets publics, il a un rang protocolaire très élevé, assiste aux cérémonies, assister aux Conseil des ministres, préside des réunions, donne lecture de lettres royales lors de rencontres ou conférences. Parfois il supervise directement des projets d’ordre social, économique ou autre, et peut avoir le dernier mot à dire dans certain sujets auquel cas il pèse plus que le gouvernement, la majorité, l’opposition et le parlement réunis.

Mustapha Sahel
Allons voir ce que prévoit la constitution à propos des pouvoirs du roi et en particulier ses pouvoirs de nomination. Il y a plusieurs articles consacrés aux prérogatives et les cas où il émet un dahir :

L’article 41 est consacré au statut de Imarat Al Mouminine ( Prince des croyants ) stipule ce qui suit : « Le Roi, Amir Al Mouminine, veille au respect de l’Islam. Il est le Garant du libre exercice des cultes. Il préside le Conseil supérieur des Oulémas, chargé de l’étude des questions qu’Il lui soumet. Le Conseil est la seule instance habilitée à prononcer les consultations religieuses (Fatwas) officiellement agréées, sur les questions dont il est saisi et ce, sur la base des principes, préceptes et desseins tolérants de l’Islam. Les attributions, la composition et les modalités de fonctionnement du Conseil sont fixées par dahir. Le Roi exerce par dahirs les prérogatives religieuses inhérentes à l’institution d’Imarat Al Mouminine qui Lui sont conférées de manière exclusive par le présent article. »

Est-ce que le conseiller royal est concerné par cet article ? C’est peu probable.

L’article 42 stipule : « Le Roi, Chef de l’Etat, son Représentant suprême, Symbole de l’unité de la Nation, Garant de la pérennité et de la continuité de l’Etat et Arbitre suprême entre ses institutions, veille au respect de la Constitution, au bon fonctionnement des institutions constitutionnelles, à la protection du choix démocratique et des droits et libertés des citoyennes et des citoyens, et des collectivités, et au respect des engagements internationaux du Royaume. Il est le Garant de l’indépendance du Royaume et de son intégrité territoriale dans ses frontières authentiques.

Le Roi remplit ces missions au moyen de pouvoirs qui lui sont expressément dévolus par la présente Constitution et qu’il exerce par dahir. Les dahirs, à l’exception de ceux prévus aux articles 41, 44 (2ème alinéa), 47 (1er et 6ème alinéas), 51, 57, 59, 130 (1er et 4ème alinéa) et 174 sont contresignés par le Chef du Gouvernement. »

Cet article est clair : il limite les pouvoirs du roi expressément, ce dernier terme ne saurait être choisi au hasard. En plus, cet article oblige le roi sur le plan de la forme à agir par dahir à l’exclusion de toute autre procédé. En plus, en vertu de cet article, le roi veille au respect de la constitution et par conséquent, le roi ne doit pas exercer ses prérogatives en dehors du texte de la constitution, sinon il n’aura pas veillé à son respect.

L’article 44 est consacré au conseil de régence et comprend un paragraphe au sujet de la composition de cet organe : « Le Conseil de Régence est présidé par le Président de la Cour Constitutionnelle. Il se compose, en outre, du Chef du Gouvernement, du Président de la Chambre des Représentants, du Président de la Chambre des Conseillers, du Président-délégué du Conseil Supérieur du Pouvoir Judiciaire, du Secrétaire général du Conseil supérieur des Oulémas et de dix personnalités désignées par le Roi intuitu personae. »
L’article 47 commence ainsi : « Le Roi nomme le Chef du Gouvernement au sein du parti politique arrivé en tête des élections des membres de la Chambre des Représentants, et au vu de leurs résultats. Sur proposition du Chef du Gouvernement, Il nomme les membres du gouvernement.»
L’article 49 est consacré aux points dont délibère le Conseil des Ministres, il en énumère dix dont la dernier est celui-ci : « - de la nomination, sur proposition du Chef du Gouvernement et à l’initiative du ministre concerné, aux emplois civils de wali de Bank Al Maghrib, d’ambassadeur, de wali et de gouverneur, et des responsables des administrations chargées de la sécurité intérieure du Royaume, ainsi que des responsables des établissements et entreprises publics stratégiques. Une loi organique précise la liste de ces établissements et entreprises stratégiques.»

La lecture simple révèle que le poste de conseiller royal est absent de ces emplois civils. Il est en fait absent de toute la constitution.

L’article 51 cite : « Le Roi peut dissoudre, par dahir, les deux Chambres du Parlement ou l’une d’elles dans les conditions prévues aux articles 96, 97 et 98. »
L’article 53 cite : « Le Roi est le Chef Suprême des Forces Armées Royales. Il nomme aux emplois militaires et peut déléguer ce droit. »
L’article 57 cite : « Le Roi approuve par dahir la nomination des magistrats par le Conseil Supérieur du Pouvoir Judiciaire. »

Il se trouve que la fonction de Conseiller royal ne correspond ni à un emploi militaire ni à un magistrat, il n’est donc pas concerné par ces deux derniers articles.

L’article 59 mentionne : « Lorsque l’intégrité du territoire national est menacée ou que se produisent des événements qui entravent le fonctionnement régulier des institutions constitutionnelles, le Roi peut, après avoir consulté le Chef du Gouvernement, le président de la Chambre des Représentant, le président de la Chambre des Conseillers, ainsi que le Président de la Cour Constitutionnelle, et adressé un message à la nation, proclamer par dahir l’état d’exception. »
L’article 130 consacré à la Cour Constitutionnelle indique que : « Le Président de la Cour Constitutionnelle est nommé par le Roi, parmi les membres composant la Cour.»
Enfin, l’article 174 indique : « Les projets et propositions de révision de la Constitution sont soumis par dahir au référendum. La révision de la Constitution est définitive après avoir été adoptée par voie de référendum. Le Roi peut, après avoir consulté le Président de la Cour constitutionnelle, soumettre par dahir au Parlement un projet de révision de certaines dispositions de la Constitution. Le Parlement, convoqué par le Roi en Chambres réunies, l’approuve à la majorité des deux tiers des membres.»

Après ce rapide inventaire, il s’avère que la nomination d’un conseiller royal n’est pas dans la liste donnée par la Constitution de manière explicite. Les questions suivantes se posent :

Puisque les pouvoirs du roi – champs religieux, militaire, judiciaire et civil - sont expressément limités par la Constitution et que ses prérogatives doivent être exercées à travers des dahirs en respectant les pouvoirs qui lui sont conférés par la Constitution, est-ce que la nomination d’un conseiller royal est conforme avec la Constitution ou non ?Si elle est conforme, elle rentre dans quelle rubrique expressément prévue ? Si elle est conforme, le chef du gouvernement a-t-il contresigné le dahir de nomination ? (parce que la liste des dahirs signés par le roi seul est limitée en vertu de l’article 42 comme nous l’avons vu, ce qui veut dire que le chef de gouvernement dispose d’un droit de réserve et peut même refuser de signer). Pourquoi le bulletin officiel n’a pas dahir entier comme elle le fait avec les autres dahirs et autres textes et s’est contenté de mentionner la « nouvelle » comme n’importe quel journal ordinaire, ce qui empêche de s’assurer qu’il y a bien une contresignature.

Quel est l’avis des spécialistes du droit constitutionnel ? qu’en pense Mr MENNOUNI lui-même ? Quel est l’avis du secrétaire général du gouvernement qui publie le bulletin officiel ? Et ce qui de l’avis du chef du gouvernement ? Et que disent ceux qui ont appelé à voter oui lors du référendum en insistant sur le fait que la limitation des pouvoirs du roi par la Constitution était un progrès énorme sur le chemin de la démocratie, tout en annonçant qu’il y aurait une rupture par rapport aux usages du passé et une rupture avec l’interprétation élastique et illimitée des pouvoirs ? Que disent ceux qui ont juré que désormais plus rien ne serait au-dessus des institutions et que l’époque de l’Etat des personnes était finie pour de bon ?

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