Chers amis lecteurs de solidmar,

Solidmar est fatigué ! Trop nourri ! En 8 ans d’existence il s’est goinfré de près de 14 000 articles et n’arrive plus à publier correctement les actualités. RDV sur son jumeau solidmar !

Pages

dimanche 30 octobre 2011

Intervention de la famille de Mehdi Ben Barka au rassemblement du 29 octobre 2011 à Paris

Intervention de Bachir BEN BARKA au rassemblement du 29 octobre 2011 à Paris:

Je vous remercie d’être comme chaque année fidèle à ce rendez-vous pour la vérité, la justice et la mémoire.

Mehdi Ben Barka
Je remercie toutes les associations, tous les partis politiques, toutes les personnalités et vous tous militants et simples citoyens qui êtes, année après année, partie prenante de cette manifestation. Au-delà du nécessaire hommage à la mémoire de Mehdi Ben Barka, ce rassemblement nous réunit pour marquer notre volonté commune :
- à poursuivre le combat pour la vérité et la justice ;
- pour exiger avec force que toute la lumière soit faite sur l’enlèvement et l’assassinat de Mehdi Ben Barka, ses assassins identifiés, sa sépulture localisée et toutes les responsabilités, qu’elles soient étatiques ou individuelles, établies ;
- pour dénoncer la complicité des deux états marocain et français à continuer à protéger les auteurs et les complices de ce crime odieux, à empêcher des témoins-clé de s’exprimer devant la justice, usant et abusant de la raison d’Etats pour faire obstacle à l’action de la justice et pour bafouer le droit de ma famille à toute la vérité.
Ce combat pour la vérité fait partie de celui des familles de victimes de la disparition forcée au Maroc dont le sort est aujourd’hui encore inconnu.
Depuis des décennies, ce combat s’est toujours inscrit dans le combat plus large de nos sociétés pour la démocratie, la dignité et la justice.
Cette année, notre rassemblement prend donc une signification particulière à la suite de ce qui a été appelé le printemps arabe, qui est en fait la révolte des peuples arabes face au despotisme de leurs dirigeants, face à l’injustice et au mépris dont ils sont victimes.
Ces soulèvements ont été marqués, sont encore marqués par le dépassement de la peur et la conviction profonde qu’une mobilisation populaire résolue peut venir à bout des régimes les plus répressifs. Le bilan humain est très lourd, preuve supplémentaire de l’étendue du cynisme et du mépris de ces dirigeants, n’hésitant pas à massacrer leur propre population et à réprimer avec violence les manifestations pacifiques.
Je voudrais saluer ici la mémoire de tous ceux qui ont montré par leur sacrifice que le changement était possible, tous ceux qui n’ont pas hésité à s’immoler, poussés au désespoir, tous ceux qui ont succombé au matraquage policier.
Aujourd’hui, au Maroc, le combat des familles des victimes des années de plomb pour la vérité et contre l’impunité accompagne celui des familles des victimes de la répression du système sécuritaire pour que justice soit rendue.
Les soulèvements populaires dans le monde arabe ont eu des parcours différents, en fonction des spécificités de chaque pays et de son histoire.
Après avoir balayé la dictature de Ben Ali, le peuple tunisien vient d’élire son Assemblée constituante. Quelle que soit l’appréciation que l’on peut porter sur les résultats de ce vote, quelles que soient les éventuelles craintes qu’il peut susciter, une chose est certaine : le peuple tunisien a pris son destin en mains, et il a démontré sa capacité à surmonter toutes les difficultés pour assoir une réelle démocratie dans son pays.
Au Maroc, le mouvement des jeunes du 20 février, dans sa diversité sociale, politiques et culturelle a joué un rôle fédérateur dans la revendication d’une véritable démocratie et dans l’exigence de la mise en place d’un processus de souveraineté populaire à travers des institutions démocratiques s’appuyant sur une constitution qui mette fin au système absolutiste actuel, reprenant le mot d’ordre de la revendication de l’élection d’une Assemblée constituante qui date du lendemain de l’Indépendance.
La réponse apportée par la dernière réforme constitutionnelle préparée en vase clos est loin de répondre aux exigences institutionnelles, politiques économiques et sociales de la situation. D’autant plus que ce qui est proposé comme une avancée démocratique s’accompagne d’une répression féroce de tous ceux qui continuent à revendiquer plus de citoyenneté, plus de justice, plus de dignité, plus de droit.
Les prochaines élections législatives ne pourront en aucune façon occulter la gravité de la situation économique et sociale.
Pour sa part, l’IMBB-MV poursuit sa contribution au débat démocratique pour une meilleure connaissance de notre histoire contemporaine en mettant à la disposition du public marocain les écrits politiques fondamentaux de MBB. Le dernier en date est la version en arabe de « l’option révolutionnaire au Maroc ».

Chers amis,
En hommage à Mehdi Ben Barka, le plus emblématique des disparus, le 29 octobre a été décrété « journée du disparu » au Maroc par le mouvement des droits humains. Des rassemblements similaires au notre y sont tenus aujourd’hui. D’autres manifestations sont organisées les prochains jours.
Notre rassemblement permet d’exprimer notre solidarité pleine et entière avec le combat incessant du mouvement des droits humains, avec les victimes des années de plomb au Maroc et leurs familles, plus particulièrement avec les familles de disparus, pour connaître la vérité sur le sort de leurs proches, qu’ils soient morts ou encore vivants.
Les manquements aux promesses faites par l’IER ont accompagné la fin des activités du CCDH. C’est pour cela que nous espérons que les nouvelles prérogatives du CNDH mis en place en mars dernier vont lui permettre de répondre enfin à l’attente des familles des victimes et de l’ensemble de la société pour clore par la vérité et la justice tous les dossiers en suspens.

Chers amis,
L’an dernier je vous avais fait part d’une petite lueur d’espoir de progresser dans notre combat pour la recherche de la vérité.
Nous avions appris que le ministre français de la défense venait de décider de lever le secret-défense sur une grande partie des documents saisis par le président de la Commission Consultative du Secret de Défense Nationale (CCSDN) au siège des services secrets français (la D.G.S.E.) après que le juge d’instruction Patrick Ramaël ait décidé d’y perquisitionner fin juillet 2010.
La CCSDN avait donné un avis favorable de levée du secret-défense sur des dizaines de documents.
Au moment où je vous en avais fait état il y a un an, aucun élément ne permettait de savoir si les documents dont allait disposer le juge Ramaël permettront une avancée significative dans l’éclaircissement des circonstances de la disparition de mon père. Nous le souhaitions bien entendu.
Quelques semaines plus tard, nous étions dans le bureau du juge Ramaël (Me Buttin et moi-même) pour prendre connaissance officiellement du contenu de ces documents.
A notre grande indignation, nous avions appris que le Ministre de la défense, dans un grand élan de courage politique, n’avait même pas osé entériner la proposition du CCSDN, ce qui était la règle convenue dans ces affaires. Il n’avait en fait levé le secret-défense que sur la partie la plus insignifiante des documents, refusant de le faire pour la plus grande part.
Voilà où nous en sommes dans la République française en 2011.
Excusez cette trivialité, mais il n’y a pas d’autres mots : 46 ans après les faits, l’état se couche devant la raison d’Etat.
Les mêmes blocages au nom de la raison d’Etat empêchent la progression de la recherche de la vérité au Maroc et continuent de protéger ceux qui seraient impliqués dans l’enlèvement et l’assassinat de Mehdi Ben Barka. Les Commissions rogatoires internationales du juge Ramaël ne sont pas exécutées depuis 2003. Malgré toutes les réponses apportées aux demandes formulées par la justice marocaine pour retarder l’exécution des CRI, rien n’a été fait pour entendre les témoins importants, membres du système sécuritaire ni de faire les fouilles nécessaires au PF3 pour y trouver d’éventuelles dépouilles.
Tout laisse à penser que le régime attend que la vieillesse vienne à bout de ces témoins pour faire constater son impuissance à répondre à nos légitimes interrogations.
Là aussi, voilà une belle preuve de courage politique
Voilà toutes les raisons qui font que nos inquiétudes persistent quant à la réalité de la volonté politique des deux États marocain et français à aider à la manifestation de la vérité dans une affaire d’une haute signification symbolique des relations entre la France et le Maroc.
Malgré tous ces obstacles, le combat pour la vérité, la justice et la mémoire continue. Nous le menons avec ma famille, notre avocat Me Maurice Buttin et avec vous, associations, syndicats, partis et aussi citoyens dont le soutien est aussi précieux pour nous qu’il est dérangeant pour ceux qui voudraient bien enterrer définitivement ce dossier.
Les prochains scrutins de 2012 semblent être porteurs d’espoirs.
Comme lors de précédentes échéances, nous sommes convaincus de la volonté de la gauche à s’engager à mettre fin au scandale de la raison d’Etat qui entrave l’action de la justice pour qu’enfin la vérité puisse éclater.
Contrairement à de précédentes échéances électorales, nous espérons que la raison d’Etat ne fera pas reculer une fois de plus la vérité et la justice.
Il y a quelques jours, a été commémoré le 50ème anniversaire du massacre des algériens du 17 octobre 1961. Pendant longtemps la raison d’Etat a essayé, mais en vain, d’occulter la réalité des faits et de minimiser sinon de nier les vraies responsabilités. Aussi bien pour faire avancer le nécessaire travail de mémoire que pour rendre justice aux victimes, il est aujourd’hui indispensable de qualifier ces massacres de crime d’états.
Il y a quelques mois, Didar Fawzy nous a quittés. Aussi bien dans le cadre des activités de l’association « Mémoire, vérité et justice sur les assassinats politiques en France » que dans la préparation du colloque « de la tricontinentale à l’altermondialisme », elle a toujours personnifié la combativité et la rigueur militante, toujours vigilante pour aller à l’essentiel. La militante progressiste et anti-impérialiste infatigable du groupe « Solidarité » et surtout l’amie va beaucoup nous manquer.
Une autre perte à déplorer fut celle de M’hammed Aouad. Proche collaborateur de Mehdi Ben Barka dans les années 50 pour la mise en place de la presse et des archives du mouvement national, il fut l’ami indéfectible de tous les instants. Avec lui, nous perdons un proche et l’histoire du mouvement national perd un peu de sa mémoire.
Pour finir, comme chaque année, je vous donne rendez-vous au 29 octobre prochain pour un autre rassemblement consacré, je l’espère, uniquement à la mémoire.
D’ici là, maintenons notre mobilisation toujours plus forte pour répondre à toutes les attaques portées au nom de la raison des Etats à la vérité, à la justice et à la mémoire.
Paris, le 29 octobre 2011
 --------------------------------------------------------------------------------------------

«Ce mort aura la vie dure, ce mort aura le dernier mot»
 Daniel Guérin , in «Ben Barka ses assassins: seize ans d’enquête»
 Par Mamfakinch, 30/10/2011


Voilà donc 46 ans que Mehdi Ben Barka a disparu à Paris le 29 octobre 1965, enlevé par deux policiers français et remis à un ramassis de truands français et de responsables marocains, pour subir un sort funeste mais encore non déterminé. Il aurait eu 91 ans aujourd’hui si son chemin n’avait croisé celui de Hassan II, Oufkir et Dlimi (et leurs complices étrangers, français, étatsuniens et israéliens). Mehdi Ben Barka a laissé un héritage politique mais aussi judiciaire, confirmant les mots immortels de Daniel Guérin cités en exergue.
Sur le plan politique, Mehdi Ben Barka fut tout d’abord un résistant face à l’occupation et à la colonisation franco-espagnoles, avant d’accéder à de hauts postes politiques et parlementaires. Fondateur de l’UNFP (devenu en 1972 l’USFP), il était le leader incontesté de l’opposition progressiste à ce makhzen autoritaire et acoquiné aux puissances étrangères. Élu triomphalement dans sa circonscription de Rabat en 1963, son aura politique, devenue internationale, amena le makhzen à vouloir l’éliminer – par un accident de voiture planifié mais raté en 1962 et une condamnation à mort par contumace en 1963 pour avoir pris le parti de l’Algérie lors de la «guerre des sables» de 1963. En exil depuis lors, il était devenu une figure de proue du tiers-mondisme triomphant de ce début des années 60, rejoignant et représentant la Tricontinentale, gênant par là, outre un pouvoir marocain ayant rompu avec le neutralisme tiers-mondiste de Mohammed V, les puissances occidentales.
Homme d’ambitions radicales et de réformes pragmatiques, de principes affirmés et de compromis réalistes, d’opposition et de pouvoir, Mehdi Ben Barka était à la fois un homme comme un autre, avec ses faiblesses – sa naïveté aura facilité son enlèvement – et un homme hors du commun, dont seule la disparition avait semblé devoir assurer la continuité du régime. Il ne saurait être question d’en faire une icône, mais il faut reconnaître qu’avec une poignée d’autres Marocains du XXe siècle – Abdelkrim el Khattabi, Mohamed Zerktouni et Mohamed Bougrine entre autres – il symbolise le refus de l’oppression et de l’injustice, refus qu’il a payé de sa vie, alors que tant d’autres se sont compromis.
De cette voix-là, les Marocains et Marocaines du 20 février sont orphelins et héritiers. Orphelins, car si d’innombrables citoyen-ne-s ont relevé le flambeau du refus de l’oppression, de l’injustice et de l’asservissement, c’est en l’absence de relais partisan de poids, capable de porter les revendications populaires au niveau institutionnel. Héritiers, car même s’ils n’en sont pas toujours conscients, c’est dans la lignée de l’émancipation des citoyens marocains de l’asservissement interne et externe, économique et politique, social et culturel.
Si sa disparition a manqué au Maroc, elle a également planté sur la scène politique le rappel constant des crimes de l’Etat marocain, crimes que celui ne peut ni ne veut élucider. Disparu sans laisser de trace ce 29 octobre 1965 à Paris – même si les dernières certitudes quant à son sort s’arrêtent à Fontenay-le-Vicomte, domicile d’un truand français contracté par l’Etat marocain où il fut amené par les deux policiers français l’ayant enlevé devant la Brasserie Lipp – son sort est depuis formellement inconnu. Donné pour mort, les détails de celle-ci ne sont pas définitivement déterminés – car ni la justice française ni la justice marocaine n’ont voulu ou pu se donner les moyens de la recherche de la vérité.
C’est cependant en France où la justice est restée le moins en retrait – la disparition étant une infraction continue, la prescription ne trouve pas à s’appliquer. La disparition de Mehdi Ben Barka est donc toujours soumise à l’instruction, un juge particulièrement actif ayant émis en 2009 des mandats d’arrêt visant quatre personnalités sécuritaires marocaines recherchées en tant que témoins, mandats depuis diffusés par Interpol. Une demande de commission rogatoire a été adressée en ces sens aux autorités judiciaires marocaines – il va sans dire que celles-ci ont déployé un paroxysme d’efforts pour paralyser, dans les faits, cette enquête judiciaire.
Car c’est peu de dire que le Maroc, où plutôt ceux qui le dirigent, n’entendent aucunement que vérité soit faite et justice rendue dans l’affaire Ben Barka. S’il s’est par la suite avéré exagérément naïf de croire que l’alternance de 1998, avec l’arrivée à la tête du gouvernement d’un premier ministre issu de l’USFP, allait permettre de faire la vérité sur cette affaire, c’est à la presse marocaine et française que l’on doit des révélation qui l’ont, une nouvelle fois propulsée dans l’actualité politique, plus de quarante ans après les faits. Le refus opposé par les autorités marocaines – et au Maroc, la justice n’est qu’un démembrement du pouvoir exécutif – confirme une continuité de l’Etat marocain dans le crime, l’injustice et l’impunité.
C’est pourquoi Mamfakinch.com, partie prenante du mouvement du 20 février demande ouvertement:
  • au peuple marocain de ne pas oublier l’exemple du martyr Mehdi Ben Barka, et de continuer de réclamer la vérité et la justice, pour lui comme pour toutes les autres victimes, lointaines ou récentes, de la violence d’Etat;
  • au gouvernement marocain: de lever tous les obstacles de fait et de droit à la manifestation de la vérité dans l’affaire Mehdi Ben Barka, notamment en prenant toutes les mesures nécessaires pour que les quatre témoins recherchés par la justice française soit entendus sans entrave aucune;
  • au gouvernement français: de faire définitivement lever un «secret-défense» bien usurpé sur les derniers éléments factuels en sa possession de ce qui est une affaire criminelle – ce gouvernement doit comprendre que de bonnes relations avec le peuple marocain seront plus durables que celles avec une élite dirigeante dont l’actualité étrangère donne récemment des exemples de fragilité.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire