Par Le Monde, 12/8/ 2011
Mi-décembre, dans la foulée du suicide de Mohammed Bouazizi en Tunisie, le monde découvrait la hogra, ce mot arabe qui désigne le mépris et l'arbitraire avec lesquels certaines tranches de la population du Maghreb se sentent traitées par les autorités, mais aussi la détresse, le mal-être et l'impression de n'avoir plus d'issue. Dans ce blog, nous consacrions fin janvier une note à la vague de suicides par le feu qui avait touché l'Algérie cet hiver.
Il y a quelques jours encore, le Maroc ne connaissait pas le phénomène des "immolés de la hogra". C'est le journal espagnol El Pais qui met en lumière, ce vendredi, l'histoire de Hamid Kanouni, déjà abordée par quelques sites consacrés à l'actualité marocaine.
Hamid Kanouni. |
Le 7 août, le jeune homme de 27 ans s'est aspergé d'essence et s'est fait brûler devant le commissariat de Berkane, dans le nord-est du Maroc. Transféré dans un hôpital de Casablanca, il est mort le lendemain. "C’est la hogra. Ils m’ont méprisé. Mon gagne-pain est perdu", auraient été ses derniers mots, selon un ami qui l'accompagnait dans l'ambulance.
Les versions divergent sur les raisons qui ont poussé Hamid Kanouni à s'immoler par le feu. Le jeune homme était un marchand ambulant de pain, son commerce se résumant à la charrette qu'il poussait dans les rues de Berkane. Il était en conflit avec une boulangère de la ville, qui l'avait employé un temps et n'appréciait pas de le voir stationner à proximité de sa boutique. "Les clients de l’établissement convoitaient davantage le pain fabriqué par Hamid", assure Info Maroc.net.
Après une énième dispute, la boulangère aurait demandé à la police d'intervenir. Selon le président de la branche locale de l'Association marocaine des droits de l'homme, cité par El Pais, "la police l'a battu, insulté et a saisi la voiture" avec le pain, qu'elle a détruit.
Une version confirmée par plusieurs témoignages mais que dément la police. Citées par l'agence de presse MAP, les autorités assurent que le vendeur ambulant s'était "réconcilié" avec la boulangère, que "sa marchandise a été détruite par un inconnu" pendant qu'il était au commissariat et qu'il s'est immolé "à proximité du commissariat". Il aurait attribué son geste, avant son transfert à l'hôpital, "à ses relations tendues avec la propriétaire du four qui l'employait dans son local avant de le renvoyer".
A Rabat, l'histoire semble déranger. Jusqu'au démenti de la police, aucune information n'avait été publiée sur le sujet par l'agence MAP. Surtout, assure El Pais, la police aurait essayé de convaincre la famille que Hamid Kanouni soit enterré à Casablanca plutôt qu'à Fès, sa ville natale, où habite sa famille. Finalement, son cercueil a été transféré à Fès. L'ambulance qui le transportait est tombée en panne, et l'autre véhicule envoyé n'est arrivé qu'à minuit. Dans le cimetière, raconte El Pais, il y avait beaucoup de monde, mais il n'y a pas eu de mouvement de protestation.
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NDLR SOLIDMAR : Une centaine de commentaires, à la suite de cette information, certains très préoccupants, témoignent de l'émotion suscitée par cette affaire.
Commentaire de Med | le 12 août 2011 à 17:36
L’information donnée par El País est fiable, elle émane de Ignacio Cembrero, le meilleur spécialiste du Maroc de la presse occidentale qui connait très bien le Maroc pour y avoir très longtemps vécu et travaillé mais qui avait du le quitter tant le régime lui faisait des « ennuis ». Ses connaissances des rouages du pouvoir à Rabat n’ont pas d’équivalent dans la presse française d’ordinaire si dévouée au régime.
L’agence de presse officielle du Maroc MAP n’est qu’une caisse de résonance d’une des pires dictatures qui soit au monde, ce que tout observateur un peu sérieux du Maroc ne peut que reconnaître. MAP est la championne de la manipulation de l’information et elle est coutumière des communiqués modifiés selon les désirs du pouvoir.
L’affaire de Berkane est assez révélatrice de l’ambiance d’un pays où le pouvoir de nuisance des forces de l’ordre est sans limite autre que les volontés du sommet de cette dictature. Il faut en outre savoir que le pouvoir de Rabat entretient une cellule d’intervention dans la blogosphère et le courrier des lecteurs des journaux, en particulier français, elle est composée de personnes qui se relaient en permanence pour contrer toute information qui risque de gêner le régime, ces intervenants ne sont que téléguidés par le ministère de l’intérieur, donc par le Palais de Rabat. Ce ne sont pas des « trolls » comme le pensent certains, mais d’authentiques agents rétribués par l’Etat pour créer des contre-feux aux informations qui déplaisent.
Il faut encore savoir que le Maroc entretient une cellule chargée de suivre tous les travaux de recherche universitaires qui en Europe, mettent leur nez au Maroc, qu’il existe encore une autre cellule chargée de « fliquer » les personnes marocaines qui travaillent en Europe et sont politiquement ou syndicalement actives, cette cellule travaille de conserve avec les consulats marocains qui leur fournissent la liste des ressortissants de leur circonscription. Cette cellule vérifie encore par exemple que les enfants de ces travailleurs émigrés ou simplement de ceux qui ont la double nationalité sont bien sous le contrôle d’associations culturelles ou religieuses « inspirées » par le pouvoir de Rabat. Les Marocains en Europe (France, Espagne, Belgique, Pays-Bas, Italie essentiellement) sont l’objet d’un authentique « flicage » de tous leurs faits et gestes.
Tous ces « réseaux » de surveillance montrent à quel point la dictature marocaine craint comme la peste la circulation des idées, elle risquerait de véhiculer des idées de contestation du régime. C’est donc par la peur que les Marocains à l’étranger sont tenus par un système policier infiniment pire que l’ancien système du bloc soviétique défunt. Le système marocain ne peut être comparé qu’au système hitlérien chargé de poursuivre l’opposition qui avait du fuir hors d’Allemagne.
Sachant cela, on comprend vite comment fonctionne le système à l’intérieur même du Maroc. Quelque chose de bien pire que le système Ben Ali en Tunisie. Tout cela se fait bien entendu avec la complicité active ou tacite des pays européens, en particulier en France et en Espagne. Seuls, les Pays-Bas dénoncent régulièrement cet état des choses, eux connaissent en particulier la politique marocaine de surveillance des Berbères marocains qui s’organisent pour tenter de ne pas trop subir les pressions de la dictature de leur pays d’origine.
C’est dans un tel cadre qu’il faut considérer l’affaire de Berkane qui alarme bien sûr le pouvoir du Maroc « officiel »… Il existe heureusement un autre Maroc, malheureusement peu connu donc peu soutenu en Europe.
Souhaitons qu’une prise de conscience puisse avoir lieu chez nous dans des délais raisonnables… faute de quoi, certains pourraient avoir bientôt mauvaise conscience d’avoir laissé faire et surtout de n’avoir rien dit pour dénoncer l’infecte dictature alaouite (et son bras armé qui se nomme « le Makhzen » – le pouvoir régalien de la monarchie). Prenez donc garde à des informations tendant à faire croire que ce régime se « démocratise ». Il n’en est rien.
NDLR SOLIDMAR : Cette immolation par désespoir n’est cependant pas un phénomène nouveau ni unique au Maroc. En 2001 des diplômés chômeurs aveugles et handicapés moteurs ont décidé de s’immoler collectivement, après une très longue grève de la faim. Pour qu’ils abandonnent ce projet, le pouvoir, averti par des pétitions, leur a promis des emplois. Ces promesses n’ont pas été tenues, et depuis ces actes de désespoir se sont multipliés, mais la presse ne s’en est fait l’écho que rarement. La dernière immolation date de février : une jeune mère de famille, Fadoua Laroui qui n’a pas supporté d’être chassée de son gourbi par la police et mise à la rue avec ses enfants, a mis fin à ces jours en s'immolant par le feu.
L'article d'El País
El suicidio que conmueve a Marruecos
Rabat intenta impedir un estallido social después de que Hamid Kanuni se quemara a lo bonzo tras ser maltratado por la policía en Berkane
IGNACIO CEMBRERO | Madrid 11/08/2011
http://www.elpais.com/articulo/internacional/suicidio/conmueve/Marruecos/elpepuint/20110811elpepuint_14/Tes"He padecido la hogra. (...) He perdido mi pequeño sustento". Estas fueron algunas de las últimas palabras que pronunció Hamid Kanuni, de 27 años, según su amigo Faisal, autorizado a subir a bordo de la ambulancia que le transportó de Berkane (noreste de Marruecos) hasta el hospital universitario de Casablanca, donde falleció el martes.
Su historia es casi idéntica a la de Mohamed Buazizi, el joven tunecino que se inmoló el pasado diciembre
Su historia es casi idéntica a la de Mohamed Buazizi, el joven tunecino que se inmoló el 17 de diciembre ante el Gobierno Civil en Sidi Buzid y falleció días después a consecuencia de las heridas. Su gesto fue el detonante de la revolución tunecina que cuatro semanas después expulsó al dictador, el presidente Zine el Abidine Ben Ali, del poder. En Marruecos no ha sucedido nada parecido.
"Kanuni vendía pan cerca de una panadería", cuenta Abderrahim Saddiqi, presidente de la sección local de la Asociación Marroquí de Derechos Humanos. "Al dueño de la panadería no le gustó y llamó a la policía tras enfrentarse al vendedor", prosigue. "La policía le golpeó, le insultó y se incautó del carro" con el pan, que destruyó.
Hamid reaccionó, según su amigo Faisal, "comprando cinco litros de gasolina y rociándose el cuerpo. (...) Se inmoló ante la comisaría". Entre policías y transeúntes apagaron las llamas y le condujeron al hospital Adrak de Berkane, pero ante la gravedad de su estado los médicos decidieron trasladarle en ambulancia al hospital universitario de Casablanca.
Las autoridades no ahorraron esfuerzos para evitar un estallido social. Enviaron unidades de Fuerzas Auxiliares (antidisturbios) a Berkane al tiempo que el fiscal de la ciudad prometió abrir una investigación. La agencia de prensa oficial, MAP, ignoró primero el suicidio, y solo rompió su silencio para difundir una versión policial que recoge una declaración del joven vendedor hecha en la ambulancia, pese a que, según Faisal, el joven estuvo casi todo el tiempo en coma. En ella atribuye su inmolación a la pelea con el panadero y exime a la policía.
Paralelamente, intentaron convencer a la familia del vendedor de que fuese enterrado en Casablanca y no en Fez, donde residen sus padres. "Los responsables quieren impedir así cualquier tipo de protesta", señaló Mustafá Kanuni, hermano del difunto, a la web informativa Lakome.
Los familiares no aceptaron, pero sí accedieron, en cambio, a que fuese inhumado nada más llegar el féretro a Fez. La ambulancia en la que viajaba el ataúd se averió el miércoles en el camino. Hubo que esperar a que estuviese disponible otro vehículo y, finalmente, el cuerpo de Kanuni llegó a su destino a última hora de la noche. Fue entonces, poco antes de medianoche, cuando se llevó a cabo el sepelio. Acudió mucha gente al cementerio, pero no hubo protestas.
Desde que Mohamed Buazizi se quemó a lo bonzo, decenas de magrebíes, incluida alguna madre de familia con hijos pequeños, se han inmolado. El pasado fin de semana cerca de Tipaza, a 70 kilómetros de Argel, se alcanzó el cénit del horror cuando un padre roció con gasolina su cuerpo y el de sus dos hijos, de cuatro y dos años, y les prendió fuego, al no haber conseguido una vivienda oficial. Todos están hospitalizados con graves quemaduras.
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