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lundi 6 juin 2011

Au Maroc, en 2011, mieux vaut militer pour Israël que pour la démocratie ou la Palestine

par ibnkafka, 27/5/2011
L’autocratie est un tout: elle étend ses tentacules dans l’économie, l’associatif, le religieux, le sécuritaire, la justice, la culture – il est donc normal qu’elle touche de manière encore plus affirmée le domaine de la politique étrangère.
L’autocratie est, contrairement à ce que l’on croit souvent, une faiblesse dans le domaine de la politique étrangère. Le monde arabe en offre l’exemple, avec ses régimes autocratiques le plus souvent – ces dernières années du moins – supplétifs des initiatives diplomatiques et militaires occidentales au Moyen-Orient. Il n’est pas anodin que le pays de la région ayant affirmé avec le plus de force son rôle et ses intérêts ces dernières années est la Turquie, en phase de démilitarisation et de démocratisation accélérée depuis l’arrivée au pouvoir de l’AKP en 2002 – c’est sur un vote de l’assemblée nationale turque que la Turquie refusa non seulement sa participation à la guerre d’agression étatsunienne contre l’Irak en 2003, mais aussi tout passage de troupes étatsuniennes et supplétives (OTAN et affiliés) sur son territoire. Les autocraties arabes dites modérées – parce que favorables aux Etats-Unis – en furent réduites à leur sempiternel chantage de la peur des « réactions de la rue » – la fameuse « rue arabe », terme orientaliste et méprisant (on n’a jamais entendu parler de la « rue israëlienne », de la « rue française » ou de la rue « étatsunienne » – dans les pays de haute civilisation, rue se dit opinion publique).
Le Maroc ne déroge pas à la règle. Alors que l’opinion publique marocaine est l’une des plus engagées en faveur de la cause palestinienne et des plus opposées aux interventions militaires occidentales dans le monde arabe – comme en témoignent d’ailleurs les manifestations géantes de 1991 (contre la première guerre d’Irak), 2002 (contre la répression sanglante de la deuxième intifada) et 2003 (contre l’invasion de l’Irak) qui regroupèrent des millions de manifestants – la politique gouvernementale marocaine a été d’une pusillanimité et d’un suivisme constants vis-à-vis de ses parrains étrangers – principalement les Etats-Unis, Israël, l’Arabie séoudite et les Emirats arabes unis. Envoi d’un contingent marocain au Shaba (République démocratique du Congo) en 1978, envois de contingents permanents des FAR pour protéger les régimes des Emirats arabes unis (6.000 soldats des FAR) et de la Guinée équatoriale (350 soldats des FAR formant la garde présidentielle) et participation symbolique d’un contingent des FAR à la guerre contre l’Irak en 1991; le Maroc a fidèlement continué à fournir des supplétifs – tels les goumiers se battant sous uniforme français sous le protectorat – à des entreprises étrangères à la défense du pays ou au maintien de la paix (à l’exception de la guerre contre l’Irak en 1991, couverte par le Conseil de sécurité de l’ONU). Jamais l’approbation populaire ou parlementaire n’a été recherchée.
Dans le domaine diplomatique, on ne relève qu’un seul cas où l’approbation populaire a été cherchée par le pouvoir: le traité d’union éphémère signé avec la Libye à Oujda le 13 août 1984 fut soumis à un de ces plébiscites de pure forme auquel le Maroc est habitué depuis 1962 – 99,97% des suffrages exprimés se portèrent officiellement en faveur de ce traité. Sinon, que ce soit pour les textes commerciaux – accords de libre-échange avec l’Union européenne ou les Etats-Unis – ou les décisions symboliques importantes – l’ouverture de bureaux de liaisons marocain à Tel Aviv et israëlien à Rabat – l’implication populaire est nulle, et celle du parlement (ou de ce qui en tient lieu au Maroc) sans conséquence – le parlement marocain a ainsi approuvé l’accord de libre-échange avec les Etats-Unis dans sa seule version anglaise, langue dont la maîtrise par les honorables parlementaires marocains était un secret bien gardé jusque-là.
Jamais la thèse selon laquelle la politique étrangère serait distincte de la politique intérieure n’a été plus fallacieuse que dans le cas du Maroc de ces dernières années – les accords de libre-échange avec l’UE et les Etats-Unis produisent ainsi des effets économiques néfastes notamment pour la balance commerciale, sans que ces conséquences aient été largement discutées avec ceux qui auront à les subir, comme le souligne Najib Akesbi. Cette négation de la souveraineté populaire produit ses effets dans les domaines les plus divers – et les retournements de veste du pouvoir sont rapides: sous la présidence Bush, les autorités marocaines donnèrent leur accord à l’organisation d’un concert public évangélique à Marrakech en 2006 pour expulser manu militari des dizaines d’évangélistes en 2010 sous une présidence Obama beaucoup moins prosélyte que celle de son prédecesseur. Plus récemment, on a eu la spectaculaire rupture des relations diplomatiques avec le Vénézuela (prétexte officiel: contact officiel pris par le Vénézuela avec le Polisario – motif réel: se signaler au lobby pro-israëlien, Chavez venant alors juste de rompre avec Israël) ou avec l’Iran (motif officiel: ingérence iranienne dans les affaires intérieures marocaines – motif réel: complaire à Bahraïn, en pleine dispute diplomatique avec l’Iran, mais sans que cela aille jamais jusque la rupture, le Maroc se montrant plus catholique que le Pape).
C’est dans ses relations avec Israël que l’apesanteur totale du makhzen par rapport à son opinion publique est la plus flagrante. La cause palestinienne est chère au coeur du peuple marocain et de ses organisations militantes – nationalistes, progressistes, islamistes ou non-partisanes. Les différentes enquêtes d’opinion menées depuis le 11 septembre 2001 montrent l’opinion marocaine comme étant une des plus fermes sur la question palestinienne – et sur le refus de toute ingérence occidentale au Moyen-Orient - dans le monde arabe.
Il est peu de dire que la position officielle marocaine est aux antipodes de cet engagement, sans sombrer dans l’abjection dont fît montre Hosni Moubarak au temps de sa splendeur. La criminelle de guerre israélienne Tzipi Livni, ministre des affaires étrangères lors de la guerre d’agression contre Gaza en 2008/2009, fut ainsi reçue tambour battant lors des MEDays à tanger organisés à Tanger en 2009 par l’Institut Amadeus de Brahim Fassi Fihri, fils de son père le ministre des affaires étrangères. Une véritable opération séduction est ainsi menée pour séduire l’exigeant partenaire israëlien, menée à coup de décorations royales et de cocktails diplomatiques.
Mais c’est au Maroc même qu’Israël parvient à marquer des points: entre le licenciement à Rabat d’un ingénieur marocain (Mohamed Benziane) ayant refusé de participer à un stage assuré – au Maroc (!) – par une société israélienne ou la persécution judiciaire de l’AMDH par l’étonnant restaurateur israëlien d’Essaouira et militant sioniste Noam Nir, il devient désormais risqué de militer pour la cause palestinienne au Maroc même.
Il est par contre beaucoup moins risqué de militer pour Israël et son idéologie d’Etat, le sionisme – et militer pour la Palestine fait parfois de vous un criminel, aux yeux de l’Etat marocain et des faiseurs d’opinion qui lui sont proches. C’est ainsi que l’on a appris que l’Union des étudiants juifs de France (UEJF) organisera (?) sa convention nationale à Marrakech en juin (1), après l’avoir tenue à Jérusalem en 2002 (voir la vidéo de présentation ici). Pour un peu de détente, voici comment cette destination est vendue sur Facebook:
Convention nationale Uejf Maroc
Tu veux bronzer ?
Tu veux être recu (sic) comme un prince ou une princesse ?
Tu veux kiffer avec plus de 100 jeunes venus de toute la France ?
Tu veux parcourir la terre de tes ancêtres a dos de dromadaire ou de Jeep ?
Alors pour ces quatres (sic) raisons je t’invite a la La Convention Nationale de l’UEJF au Maroc
En soi, ça n’a rien de choquant: pas plus que le congrès des étudiants luthériens de Suède ou celui des étudiants bouddhistes du Népal s’il avait lieu dans la ville-phare des conférences internationales qu’est devenue Marrakech. Mais contrairement à ce que son nom indique, l’UEJF n’est pas seulement une association étudiante s’attelant à défendre les intérêts spécifiques des étudiants juifs – cette organisation est une pièce maîtresse dans le réseau des organisations pro-israëliennes françaises, groupées autour du CRIF, dont l’UEJF est membre par ailleurs. Elle est également membre du World Jewish Congress (« Around the world, Israel’s right to exist as a Jewish state is constantly questioned. The WJC and its affiliates actively defend the legitimacy of Israel on all levels and support the state against unfair and biased attacks » – « De par le monde, le droit d’Israël à exister en tant qu’Etat juif est constamment remis en cause. Le Congrès juif mondial et ses affiliés défendent activement la légitimité d’Israël à tous les niveaux et soutiennent cet Etat contre les critiques injustes et biaisées« ) et de la Fédération des Organisations Sionistes de France. On ne peut pas accuser l’UEJF de cacher son jeu: sur son site, elle s’affirme ainsi un « soutien réfléchi et efficace de l’Etat d’Israël« .
Il est superflu de rappeler ce que signifie concrètement « soutenir Israël » – c’est soutenir la colonisation de la Palestine et sa litanie de crimes, de discrimination et de violations des droits de l’homme; c’est soutenir le « deux poids, deux mesures » au Moyen Orient; c’est enfin soutenir le baillonnement de toute critique d’Israël par l’odieux chantage à l’antisémitisme (2), chantage importé au Maroc depuis quelques temps.
Ce sont bien évidemment là des positions aux antipodes de celles d’une opinion publique marocaine acquise tant au soutien de la lutte du peuple palestinien dans ses différentes composantes – il appartient principalement aux Palestiniens de mener ce combat – qu’au refus de toute normalisation avec Israël – et avec ses supplétifs – tant que l’occupation, la colonisation et l’apartheid n’auront pas cessé en Palestine – et c’est là une lutte que le peuple marocain, comme tant d’autres peuples de par le monde, peut mener.
Mais ce peuple marocain, ignoré comme il l’est dans d’autres domaines réservés relevant de l’autocratie, l’est tout autant dans celui de la politique étrangère, et tout particulièrement dans la lutte du peuple palestinien pour sa libération. On conçoit mal en effet que l’UEJF ait eu l’idée d’organiser cette conférence fort peu discrète sans un minimum de contacts avec les autorités marocaines (s’agissant d’une réunion politique d’une association étrangère, s’est-elle mise en conformité avec le dahir de 1958 sur les réunions publiques?) – leur site indique d’ailleurs « sécurité assurée » – on peut présumer qu’elle est assurée notamment par les forces dites de l’ordre marocaines. On conçoit bien que le pouvoir marocain, tout à sa danse du ventre obsessionnelle vis-à-vis d’Israël, ait trouvé judicieux de montrer, encore une fois, combien il tient à l’amitié de militants sionistes.
Comme toujours, en l’absence de pouvoir politique répondant de ses actes devant l’électorat et rendant des comptes de sa politique – y compris étrangère – devant les institutions représentatives et devant l’opinion, c’est aux militants marocains qu’il est revenu de sauver l’honneur et de montrer qu’il existe un autre Maroc que celui de la soumission et de la compromission – le collectif associatif BDS Maroc (de même qu’en France les militants de l’Union juive française pour la paix et de l’Association des travailleurs maghrébins de France par le biais d’un appel à la société civile marocaine) a ainsi réagi pour protester contre la tenue de cette conférence, et cette mobilisation, avec la menace d’un sit-in de protestation, a suffi pour pousser l’UEJF à annoncer une annulation – non confirmée au demeurant - de cette convention. Il semblerait cependant, selon Samira Kinani et Sion Assidon, qu’elle aura lieu à l’Ecole supérieure de gestion (ESG) de Marrakech, qui ne s’en vante pas sur son site.
On peut se demander si les autorités marocaines auraient accepté la tenue d’une conférence d’EuroPalestine, de l’ISM, de Free Gaza ou du mouvement BDS, si jamais ces organisations auraient souhaité organiser une conférence à Marrakech. Visiblement, ce n’est pas seulement la Palestine qui a besoin d’être libérée…
(1) Après avoir annoncé la tenue de ce conseil national à Marrakech du 26 au 30 mai 2011, l’UEJF a publié sur son site un court message annonçant le report de ce conseil national au Maroc. Cette annonce est cependant démentie par l’AMDH et le militant pro-palestinien Sion Assidon, et j’aurais tendance à les croire, car il ne fait guère de sens, économiquement parlant, d’annuler une telle conférence la veille de son commencement – comme l’avance Sion Assidon, il s’agit plutôt d’une ruse pour tromper les militants marocains (la coordination BDS Maroc regroupant notamment l’Association de soutien à la lutte du peuple palestinien, des syndicats – UMT notamment - des ONG – Attac Maroc, AMDH, Adala - en passant par l’Ordre des avocats) qui se sont mobilisés contre la tenue de cette conférence sur le sol marocain.
(2) Le chantage consiste en l’assimilation de toute critique d’Israël et de son idéologie d’Etat, le sionisme, à de l’antisémitisme. Par contre, la lutte contre l’antisémitisme, phénomène réel au Maroc et ailleurs, n’est pas visée ici.

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