Les manifestants de la Puerta del Sol à Madrid, les jeunes Grecs qui manifestent chaque soir à Athènes ne sont pas des millions. A Paris, les «Indignés» de la place de la Bastille ne sont même que quelques centaines chaque soir (et ils furent quelques milliers dimanche 29 mai).
Madrid
Ce mouvement inédit, lancé de façon spontanée, avec Facebook et Twitter comme principaux relais, pose plus de questions qu'il n'en résout: quels mots d'ordre? Quelle organisation? Quels buts? Si les manifestants espagnols appellent déjà à une grande journée de protestation «mondiale» le 15 octobre pour tenter d'entretenir la flamme, rien ne dit qu'à cette date-là, les «Indignés» européens n'auront pas replié les banderoles.
N'empêche: même s'il finit en queue de poisson, ce mouvement lancé mi-mai en Espagne, dont quelques jeunes Portugais avaient posé la première pierre en mars, est d'abord un cri générationnel que nos élites politiques et économiques auraient tort d'ignorer. A commencer par les partis de gauche et les syndicats, dans lesquels bien des manifestants n'ont plus confiance.
Evidemment, cette vague de contestation transnationale est d'abord une réaction à la crise, et aux violents plans d'austérité imposés dans certains pays.
Madrid |
Selon l'OCDE, «entre 30-40 % des sortants de l'école sont (...) plus particulièrement à risque»: peu diplômés, pas qualifiés, leurs chances d'entrer un jour durablement sur le marché du travail sont très minces. Au Portugal, en Espagne, en Grèce, mais aussi en Italie et en France, le temps partiel, les contrats temporaires, ou encore les missions en free-lance (20% de l'emploi privé au Portugal), sont devenus le quotidien de bien des jeunes, «mileuristas» espagnols surdiplômés et condamnés à des petits boulots, jeunes Grecs payés 700 euros par mois...
Les plans d'austérité violents imposés en Grèce, au Portugal, en Irlande par l'Union européenne et le FMI nourrissent logiquement la rancœur – les jeunes Irlandais, eux, préfèrent s'exiler loin de leur île où plus rien ne les retient
«La France fait l'impasse sur une partie de sa jeunesse»
Mais cette contestation transnationale (d'ores et déjà bien plus mobilisatrice que bien des euro-manifestations organisées par la Confédération européenne des syndicats) n'est pas seulement une réponse à la crise.
Elle n'est pas non plus, comme on l'entend parfois, une sorte de bronca matérialiste reflétant en réalité une quête de conformisme petit-bourgeois. (D'ailleurs ceux qui font ce reproche ne voulaient-ils pas, ux aussi, à leur âge, vivre au moins aussi bien que leurs parents?)
La mobilisation des Indignés, aussi brouillonne soit-elle, est d'abord l'expression d'une colère générationnelle.
Colère contre le capitalisme, quand il conduit des États à privilégier le sauvetage des banques et non l'avenir de ses concitoyens (les plus jeunes en particulier) et désarme les politiques, transformés en pantins sans marge de manœuvre et condamnés à mener une seule et même politique.
Athènes |
Colère contre des systèmes politiques craintifs et tournés sur eux-mêmes, hermétiques à la société civile et à son foisonnement. Fureur de voir que le personnel politique est si déconnecté de la société qu'il est censé représenter parce que trop vieux, trop unanimement blanc, trop issu des milieux favorisés, trop masculin.
Colère, enfin, contre des syndicats jugés trop conciliants avec le pouvoir, et obnibulés par la défense des intérêts de leur clientèle – elle aussi plutôt âgée, plutôt blanche, plutôt du secteur public.
Ces derniers jours, il était de bon ton de dénigrer le mouvement des Indignés de la Bastille sur le mode du «ça n'ira pas bien loin». L'ampleur de la mobilisation de dimanche à Paris (mais aussi dans les villes de province) nous dira si ces prédictions sont fondées. Mais même si tout s'arrêtait la semaine prochaine, la crise silencieuse d'une partie de la jeunesse française ne serait pas résolue pour autant.
Certes, le chômage des jeunes en France a relativement moins augmenté qu'ailleurs pendant la crise. Mais la France continue de faire «l'impasse sur une partie de sa jeunesse», déplore dans Les Echos Olivier Galland, sociologue au CREST-CNRS.
Pas celle des bien diplômés, qui continuent de s'en sortir, malgré de longs mois très difficiles au plus fort de la crise. Mais celle des bacheliers ou des petits diplômes, hantés par le déclassement qu'ils sont nombreux à expérimenter. Celle des périphéries urbaines, dont une partie s'est violemment rappelée au souvenir du pays en 2005, et pour laquelle rien ne change. Enfin, cette jeunesse qui ne s'exprime pas du tout, les relégués des zones périurbaines ou rurales, révoltés mais tellement silencieux que personne ne s'intéresse à eux (sauf, malheureusement, le FN, qui capitalise sur la frustration accumulée).
Paris |
Et pour ceux qui ont raté le train, pas moyen de se rattraper aux branches: avec l'Espagne et le Luxembourg, la France est le seul pays de l'OCDE à n'ouvrir les minima sociaux qu'à partir de 25 ans – il y a bien un RSA jeunes, mais il est très restrictif. Notre système de formation continue est si délabré qu'il n'y a pas de deuxième chance. Pas étonnant que certains aient envie de crier. Pour eux, et aussi pour les autres.
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