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lundi 6 juin 2011

Mawazine : un festival de luxe pour faire croire que tout va bien au Maroc

Le point de vue de Mohamed Lotfi
Chaque chose en son temps...!
par Mohamed Lotfi, journaliste et réalisateur radio, Tolerance.ca, 31/5/2011

Rabat (Maroc) - ''SVP, Ne racontez pas n'importe quoi!'' m’a dit la jeune femme à l’accueil des journalistes, pour ce dernier spectacle de Mawazine. Elle était en toute évidence très mal à l’aise quand j’ai évoqué la possibilité de rapporter ce que je viens de voir. ‘’J’ai reçu des ordres’’ a-t-elle ajouté.

Pourtant, d’autres journalistes passaient devant moi! La priorité allait à ceux qui avaient une qualité que je n’ai pas, celle de ne pas être marocain. Je n’osais pas lui dire que je suis aussi canadien et que je me produis à Radio Canada. J’avais pourtant montré mon badge dûment certifié par le service de presse de Mawazine.

Devant mon insistance, deux autres jeunes du service de presse sont venus confirmer cette attitude que je n’ai pas vue nulle part ailleurs à d’autres scènes de Mawazine. Devant un tel mépris, j’ai hurlé ma colère. Les quatre agents de l’ordre se sont montrés plutôt compréhensifs face à mon indignation. L’un d’eux m’a fait un clin d’œil comme pour me dire ‘’j’aurais fais la même chose à ta place’’. D’ailleurs, il n’a pas pu retenir son sourire quand j’ai lancé aux deux jeunes morveux qu’ils pouvaient bien mettre leur Chakira là ou je pense.

En fait, j’ai très vite compris qu’à la scène de Souissi, celle qui reçoit les stars occidentales de Mawazine, on fait les choses autrement. Surtout lorsqu’en avant du public, des places spéciales sont réservées à des invités spéciaux. Appelons-les par leurs noms, les hauts serviteurs du Makhzen. Ils étaient apparemment nombreux ce soir autour de la femme du Roi et ses enfants et les amis de ses enfants. J’ai moi-même croisé Benmoussa, ex ministre de l’intérieur, entouré d’une armée d’agents!

Devant une telle foule amassée à l’entrée des VIP et celle réservée aux prestigieuses personnalités, j’ai ouvert le micro avec la conviction que ma place de journaliste n’était finalement nulle part ailleurs qu’ici et là, devant ce spectacle de chaos comme j’en ai jamais vu dans un festival.

Il a suffit que je tende le micro pour que les commentaires pleuvent. Des femmes avec des enfants s’alarmaient. Une maman portant son bébé hurlait pour se frayer un chemin. J'ai dû secourir certaines à sortir du chaos.

Finalement, avec mon badge de journaliste je me suis trouvé dans la section VIP juste le temps de cueillir quelques commentaires dont le premier ‘’J’ai payé 1200 DH pour ça, pour ne rien voir’’. Effectivement, on ne voyait pas grand-chose de Chakira. Un grand espace devant la section VIP a été réservé aux forces de l’ordre, présence du Makhzen oblige.

Avant de quitter le site de la scène Souissi, j’ai fais un tour dans la section pour tous qu’un festivalier a nommé la section ‘’no body’’. Devant une foule aussi interminable, j’ai ri. J’ai pensé aux différents slogans anti-Mawazine que j’entendais dans les manifs et ce depuis des années. En ce samedi 28 mai 2011, le peuple devant la scène de Chakira, n’avait rien de tunisien ou d’égyptien, encore moins de syrien. Comme si le mouvement contestataire marocain du 20 février se passait dans une autre planète.

De toutes les critiques contre le festival Mawazine de Rabat, celle que je trouve la plus crédible, et qui mérite l’attention des tous les Marocains, notamment tous les amateurs de Mawazine, touche à sa raison d'être.

Au delà de son aspect culturel, touristique, économique et artistique, Mawazine est devenu essentiellement un évènement au service d’un régime politique. Une de ses vitrines internationales. Voilà pourquoi la scène des artistes occidentaux (Cat Stevens, Joe Cokker, Chakira, Quincy Jones ..etc) jouissent d’une attention et d’une sécurité particulière.

D’après ceux qui ont mené une campagne contre la tenue de ce festival cette année, Mawazine n’est pas un festival comme les autres. Il est dirigé et programmé par Maroc Cultures (pur produit du palais) dont le président est le secrétaire personnel du Roi. Sa façon de gérer Mawazine est à l’image du clientélisme et de la corruption qui sévissent au pays.

‘’Majidi dégage’’ est un des slogans du mouvement 20 février. Majidi est accusé par la rue de corruption. Il paraît que d’autres conseillers du Roi ont leurs propres festivals, notamment celui d’Azoulay à Essaouira. Pourquoi ce n’est pas le ministère de la Culture qui organise Mawazine ou tout autre organisme culturel de la société civile ? Peut-être parce que la démocratie au Maroc n’est pas encore un régime politique, encore moins une mentalité.

Alors qu’ailleurs dans d’autres pays arabes, les peuples payent de leurs sangs pour donner vie à la démocratie, au Maroc le régime s’active par tous les moyens à projeter une autre image du pays. Malgré un mouvement de protestation quotidienne sans précédent, le makhzen a tenu à maintenir Mawazine cette année sous prétexte que la majorité du peuple le veut. Quoi de mieux que Chakira pour amuser le peuple, le divertir, le distraire durant une heure et demi, au coût de 580 000 Euros. Et le peuple a répondu, massivement, plus de 150 mille, du jamais vu à Mawazine! Dans le contexte du printemps arabe, dans le contexte ou chaque jour au Maroc les manifestations sont réprimées dans la violence (depuis l'attentat de Marrakech, Mawazine et ses Chakira) est devenu opium du peuple.

‘’La politique c’est l’art de se servir des gens’’ disait Paul Valery. Au Maroc, la politique consiste aussi à jouer avec leurs sentiments. Offrir du Chakira au peuple et donner l’impression que tout va bien au Royaume de Mohammed VI. En d’autres temps, une autre monarchie (dont on connaît l’issue) a recommandé des brioches au peuple, en attendant le pain.

Sur le chemin du retour, un autre chaos m’attendait! Les chars. Vers 1 heure du matin, un tsunami de voitures déferlait sur toutes les routes proches du site de Mawazine. Mais le tsunami s'était soudainement stoppé pour laisser passer d’abord le cortège makhzénien. Une heure pour avancer d’un km. Des voix pestaient contre la pauvre Chakira. Des jeunes venus à pied de très loin profitaient de l’embouteillage pour quêter un peu d’argent ou une place dans une voiture pour les ramener chez-eux. Certains étaient accompagnés de leur bouteille d’alcool.

J’ai tendu le micro à l’un d’eux sans poser de questions. Il m’a demandé ‘’Combien tu me le vends?’’. ‘’Et tu feras quoi avec?’’ ‘’Je le revendrai avec un peu de profit’’, ‘’que feras-tu avec le profit?’’ ‘’Je m’achèterais de quoi bouffer’’. Son ami pas loin a réctifié ‘’De quoi boire, tu veux dire!’’.. ‘’Et Chakira dans tout ça..?’’ ‘’Choukran Chakira’’ a-t-il répondu avec son rire de saoul. Et son ami de répliquer ‘’Il n’est pas venu voir Chakira, il est venu la boire..?’’.

Arrivé à l’immeuble ou je loge, trois autres jeunes étaient couchés à l’entrée. Je me disais, il en restera peut-être ça. Des jeunes venus de très loin pour réaliser un rêve. Voir le spectacle de leur vie, avant de se coucher par terre en attendant l’arrivée du jour.

Je me suis assis près d’eux pour un moment. Le plus jeune des trois m’a regardé droit dans les yeux pour conclure notre petite discussion avec cette phrase à laquelle je ne m’attendais pas du tout : ‘’Aujourd’hui c’est Chakira, demain ça sera la révolution. Chaque chose en son temps’’.

Quand je lui ai demandé de reprendre sa phrase devant mon micro, les batteries étaient épuisées et moi aussi.

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