Rassemblement du 29 octobre 2010 à Paris
Par la famille Ben Barka, 29/10/2010Hasard du calendrier, le 29 octobre 2010 tombe un vendredi, veille d’un long week-end de la Toussaint, comme il y a 45 ans.
Je vous en remercie d’autant plus d’être fidèles à ce rendez-vous pour la vérité, la justice et la mémoire.
Farhat Hached, le militant syndicaliste tunisien assassiné le 5 décembre 1952 : l’assassinat politique n’est pas le privilège hélas du seul pouvoir marocain, les autorités coloniales, néocoloniales et leurs services y ont eu largement recours pour affaiblir les mln. Ce phénomène continue de sévir : faut-il rappeler que des dizaines de militants progressistes ont été assassinés à Paris depuis 1965 en toute impunité pour les assassins : Henri Curiel, Dulcie September, Mahmoud El Hamchari, Mohamed Boudia, Ali Mécili, et beaucoup d’autres.Nous ne les oublions pas et saluons leur mémoire pour la liberté et la démocratie.
En hommage à Mehdi Ben Barka, le plus emblématique des disparus, le 29 octobre a été décrété « journée du disparu » au Maroc par le mouvement des droits humains. Des rassemblements similaires au notre y sont tenus aujourd’hui. D’autres manifestations sont organisées les prochains jours.
Notre rassemblement permet d’exprimer notre solidarité pleine et entière avec le combat incessant du mouvement des droits humains, avec les victimes des années de plomb au Maroc et leurs familles, plus particulièrement avec les familles de disparus, pour connaître la vérité sur le sort de leurs proches, qu’ils soient morts ou encore vivants. Les manquements aux promesses faites par l’IER sont malheureusement toujours d’actualité. C’est pour cela qu’aura lieu à Rabat dimanche prochain une marche symbolique pour demander l’application des recommandations de l’IER.
Chers amis,
Si, année après année, nous nous retrouvons ici à Paris, mais aussi à Rabat, c’est pour exprimer avec force :
- notre exigence que toute la lumière soit faite sur l’enlèvement et l’assassinat de Mehdi Ben Barka, ses assassins identifiés, sa sépulture localisée et toutes les responsabilités établies ;
- notre dénonciation de la complicité des deux états marocain et français à continuer à protéger les auteurs et les complices de ce crime odieux, à empêcher des témoins-clé de s’exprimer devant la justice, usant et abusant de la raison d’Etats pour faire obstacle à l’action de la justice et pour bafouer le droit de ma famille à toute la vérité.
- notre résolution à continuer de rendre hommage à Mehdi Ben Barka, à son action militante et à sa contribution à la lutte des peuples pour leur bien-être et leur progrès.
Depuis 45 ans, chaque année apporte son lot d’éléments nouveaux dans notre combat pour la recherche de la vérité.
Les petites avancées se succédant aux reculs, ce combat se poursuit résolument et avec détermination.
Depuis quelques jours le ministre français de la défense vient de décider de lever le secret-défense sur une partie des documents saisis par le président de la C.C.S.D.N. au siège de la D.G.S.E. après que le juge d’instruction Patrick Ramaël ait décidé d’y perquisitionner fin juillet dernier.
Ce pas en avant amène cependant quelques remarques.
Au moment où je vous parle, aucun élément ne permet de savoir si les dizaines de documents dont disposera le juge Ramaël permettront une avancée significative dans l’éclaircissement des circonstances de la disparition de mon père. Nous le souhaitons bien entendu.
Seulement, il y a 5 ans, une autre ministre de la défense avait levé le secret-défense sur les derniers documents encore classifiés de ce qu’on nous avait présenté comme « le » dossier Ben Barka qui était dans les archives des services secrets français. Ces dossiers n’avaient rien apporté de probant. Et voilà qu’aujourd’hui, d’autres documents liés à l’affaire apparaissent. Les questions qu’on est en droit de se poser sont : « Y en a-t-il d’autres ? » - « Que nous cache-t-on encore à la D.G.S.E. ou ailleurs dans d’autres services? »
Autre remarque : la levée du secret-défense ne concerne qu’une partie des documents saisis par la C.C.S.D.N.. Pourquoi ce double filtrage, le premier ayant eu lieu au siège même de la D.G.S.E. ? A partir de quels critères certains des documents saisis ne sont-ils pas déclassifiés ?
Nous continuons donc à nous interroger pourquoi 45 ans après, une telle frilosité sévit-elle encore autour du dossier Ben Barka ?
Nous sommes étonnés qu’une enquête administrative vise le juge Ramaël au moment où son instruction progresse. Est-ce le sort réservé à tout juge faisant correctement son travail dans tout dossier sensible ?
En tout cas, qu’il soit assuré de notre confiance.
Voilà les raisons qui font que nos inquiétudes persistent quant à la réalité de la volonté politique des deux Etats marocain et français à aider à la manifestation de la vérité dans une affaire d’une haute signification symbolique des relations entre la France et le Maroc.
D’autant plus que, du côté du Maroc, aucune archive n’est accessible, aucun témoin n’est entendu par la justice. La dernière CRI du juge Ramaël qui date de plus de 5 ans n’est toujours pas exécutée.
Et pourtant, il y a urgence.
Les hauts responsables sécuritaires que le juge souhaite entendre et qui, de par leurs fonctions au moment de l’enlèvement et de l’assassinat de mon père, connaissent une part de vérité, sinon toute la vérité, [ces responsables] vieillissent. Pour notre part, nous leur souhaitons longue vie pour qu’ils puissent un jour pouvoir témoigner, peu importe que ce soit ici à Paris ou au Maroc. L’usage du mandat d’arrêt international par le juge Ramaël à l’encontre de ces 5 hauts responsables sécuritaires marocains ne fait que traduire l’impasse à laquelle nous a mené l’entêtement des autorités marocaines à protéger ces personnes. Il est temps que les actes des autorités marocaines traduisent les déclarations du roi du Maroc quant à son intérêt à la vérité sur la disparition de Mehdi Ben Barka.
Le combat pour la vérité, la justice et la mémoire continue. Nous le menons avec ma famille, notre avocat Me Maurice Buttin et avec vous, associations, syndicats partis et aussi citoyens dont le soutien est aussi précieux pour nous qu’il est dérangeant pour ceux qui voudraient bien enterrer définitivement ce dossier.
La contribution que vient d’apporter Maurice Buttin à ce travail de mémoire est très importante. Son ouvrage-témoignage qui vient de paraître chez Khartala – « Hassan II, De Gaulle, Ben Barka, ce que je sais d’eux » – est une somme qui rappelle tous les aspects historiques, politiques et humains qui ont abouti au 29 octobre 1965. Les 45 ans de combat pour la vérité qui ont suivi y sont ensuite remarquablement détaillés.
Pour finir, comme chaque année, je vous donne rendez-vous au 29 octobre prochain pour un autre rassemblement consacré, je l’espère, uniquement à la mémoire.
D’ici là, maintenons notre mobilisation toujours plus forte pour répondre à toutes les attaques portées au nom de la raison des Etats à la vérité, à la justice et à la mémoire.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire