Zineb El Rhazoui est une journaliste franco-marocaine pigiste âgée de 27 printemps. Elle a été à l’origine de la fondation (avec Ibtissam Lachgar) du «Mouvement alternatif pour les libertés individuelles» (MALI) au Maroc. Un groupe Facebook de jeunes qui prévoyaient de rompre publiquement et en plein jour le jeûne de Ramadan, un des cinq piliers de l’islam. Provoquant la réaction énergique des autorités marocaines et la colère des conservateurs. Pour en savoir un peu plus sur le MALI, nous avons réalisé l' entrevue qui suit avec cette universitaire de gauche. Entrevue réalisée par Aziz Enhaili pour Tolerance.ca ®.
Aziz Enhaili : Comment l'idée de lancer votre «Mouvement alternatif pour les libertés individuelles» (MALI) au Maroc vous est-elle venue?
- Au Maroc (plus qu'ailleurs), la problématique des libertés individuelles est au cœur des préoccupations des citoyens. Nous avons une société qui s'ouvre de plus en plus sur le monde. La jeunesse marocaine aspire à des valeurs de progrès, de démocratie et d'affirmation de l'individu au sein d'un climat social très conservateur. Cela fait des années que je discute des libertés individuelles avec un groupe d'amis, dont Ibtissam Lachgar (co-fondatrice du Mouvement Alternatif pour les Libertés Individuelles : MALI). L'envie de «faire quelque chose» existait depuis longtemps, mais le manque de moyens nous a souvent empêché d'agir. C'est pour cela qu'Ibtissam et moi-même avons décidé de créer un mouvement alternatif dédié au lancement d’actions symboliques et pacifiques, avec comme objectif de relancer le débat au sein de la société..
Aziz Enhaili : Sachant le conservatisme de la société marocaine, le fait d'organiser le «dé-jeûner» en plein jour durant le mois du jeûne ne comportait-il pas une part de provocation pour la sensibilité des pratiquants musulmans? Avez-vous pensé à cet aspect de votre action avant de l'entreprendre ?
Oui, nous avons évidemment envisagé cet aspect de la question. Le pique-nique devait avoir lieu dans la forêt, donc dans un lieu peu fréquenté. Au cas où nous aurions croisé des promeneurs ou des joggeurs, nous en aurions profité pour leur expliquer notre action, ouvrir avec eux le débat sur l'article 222 du code pénal, et les sensibiliser à la nécessité d'avoir plus de tolérance envers ceux qui font des choix religieux différents. Je rappelle que nos méthodes sont pacifiques, et que notre but est avant tout d'ouvrir le débat.
Maintenant, la question qui se pose est la suivante : les musulmans pratiquants sont-ils nécessairement choqués par le fait que d'autres ne pratiquent pas leur religion ? Personnellement, dans mon entourage proche, beaucoup sont pratiquants, et il n'y a jamais eu de problème sur le fait que je ne jeûne pas. L'essentiel, c'est qu'il y ait un respect mutuel, sans hypocrisie et sans représailles. Les "dé-jeûneurs" sont probablement une minorité au Maroc, mais je pense qu'une grande majorité de citoyens est contre des articles de loi liberticides comme le 222, les gens nous en témoignent tous les jours.
Aziz Enhaili : Pourquoi (maintenant) le MALI ?
Le décalage est devenu trop grand entre les aspirations de la jeunesse et le conservatisme des lois et d'une partie de la société. L'Etat veut véhiculer une image d'ouverture et de tolérance à l'international, alors que la réalité du terrain n'est pas toujours en accord avec les libertés individuelles et les droits de l'homme de manière générale. Les citoyens marocains (plus particulièrement les jeunes) se désintéressent de la politique (dans sa forme traditionnelle). Ils n'ont plus confiance ni dans les partis politiques traditionnels ni dans les institutions. À raison. Il était important pour nous de donner un canal d'expression à toutes ces voix, qui au demeurant ne partagent pas forcément les mêmes opinions politiques, encore moins les mêmes croyances ou penchants personnels. Mais elles ont en commun la revendication de la démocratie, de la laïcité et du respect des libertés individuelles. De notre point de vue, les libertés individuelles ne sont pas un luxe réservé aux sociétés démocratiques. Elles sont au contraire au cœur-même de la notion de citoyenneté.
Aziz Enhaili : Qu'est-ce que le MALI ?
- Notre mouvement n'est pas constitué en association. Nous n'avons ni siège, ni budget, ni organigramme. Nous sommes simplement un groupe de personnes qui défendent les mêmes valeurs et qui sont prêtes à descendre dans la rue pour contribuer au changement de la société. Nous avons créé une identité virtuelle sur le Net : un groupe sur facebook où nous expliquons ce qu'est notre mouvement et les libertés que nous défendons. Dès la première semaine du lancement de cette page virtuelle, plus d'un millier de personnes ont adhéré à l'idée.
Les jeunes du MALI sont issus de toutes les régions du Maroc, et même de l'étranger. De manière inédite dans notre pays, un mouvement rassemble des jeunes arabophones, amazighophones, francophones, hispanophones… issus de toutes les classes sociales, des plus pauvres aux mieux nanties. Le mouvement compte également des étudiants, des chômeurs, des journalistes, des intellectuels, des artistes, des vendeurs ambulants, des médecins…
Le MALI se veut une Movida, un mouvement en lequel les jeunes croient, qui les interpelle et les pousse à se positionner. Sa naissance a été perçue comme une vraie rupture avec l'hypocrisie sociale. Il a du coup suscité un grand espoir de voir les lois évoluer dans un sens libéral.
Aziz Enhaili :Pensez-vous que cela valait la peine de lancer le MALI maintenant ? Pensez-vous que cela a permis d'ouvrir un débat public relativement aux libertés individuelles ?
- Notre première action a jeté un pavé dans la mare. Le mouvement a été créé au cours de la première semaine du mois de ramadan de cette année. Deux semaines plus tard, nous organisions un pique-nique pour les "dé-jeûneurs" dans la forêt de Mohammedia.
Cette action symbolique avait pour but de revendiquer le droit des "dé-jeûneur" à exister et de protester contre l'article 222 du code pénal marocain, qui punit d'un à six mois de prison toute personne «notoirement connue pour son appartenance à la religion musulmane», qui rompt le jeûne publiquement. Il s'agit d'un article liberticide, qui contredit à la fois l'article 6 de la Constitution marocaine (qui garantit la liberté de culte) et l'article 18 du Pacte international des droits civils et politiques (ratifié sans réserves par le Maroc dès 1979).
Lorsque l'on défend les libertés individuelles, on le fait sans concessions. On ne peut rester éternellement dans l'attente d'un climat plus «propice», afin de réclamer certaines libertés (dont la liberté de culte).. C'est en agissant ainsi que l'on fait évoluer la société. Notre action a soulevé un vrai tollé, elle a eu le mérite d'imposer un débat longtemps délaissé par les intellectuels. Elle a été un vrai révélateur du débat social au Maroc. Les voix officielles et conservatrices nous ont sévèrement condamnés, beaucoup ont crié au scandale. Mais le plus important, c'est que nous avons eu le soutien de tous les vrais démocrates. Les militants des droits de l'homme, de nombreux intellectuels et des jeunes de tous les milieux nous ont soutenus.
Aziz Enhaili : Quelles sont les perspectives d'avenir du MALI? Y aura-t-il une suite pour votre initiative?
- Oui ! Nous continuerons à protester contre l'article 222. N’oublions pas que chaque année, on assiste à des dizaines d'arrestations de dé-jeûneurs pendant le mois de ramadan, voire des lynchages sur la voie publique, sans que la police n'engage de poursuites contre les lyncheurs. Nous prévoyons d'autres actions dans le futur pour défendre d'autres libertés, comme la liberté d'expression, la liberté de choix de vie personnelle ou contre la peine de mort.
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