par Taoufik Bouachrine, 30/10/2009
Bakchich ouvre ses colonnes à Taoufik Bouachrine et Khalid Gueddar. Rédacteur en chef et caricaturiste du journal "Akhar Al Yaoum", ils passent ce vendredi devant la justice marocaine. Et risquent la prison, pour un dessin.
Plus d’un mois et trois jours se sont écoulés depuis la disparition forcée du quotidien "Akhbar Al Yaoum" des kiosques. Plus de 33 jours que nous crions notre refus de l’injustice subie par notre entreprise, sans qu’aucune oreille sage ne daigne nous écouter ou nous rétablir dans notre droit…
Nous avons frappé à la porte de la justice administrative, et nous avons dit à ses juges : « Excellences, le local du journal est scellé en violation de la loi, le Premier ministre n’a pas le droit d’interdire une publication, seule la justice est habilitée à prendre une telle décision, en supposant qu’une interdiction pure et dure puisse encore être monnaie courante dans les mœurs de l’édition au 21e siècle… ». Mais la misérable justice n’a pas statué sur l’affaire, elle a renvoyé notre requête, nous signifiant implicitement qu’elle n’était pas habilitée à instruire de tels dossiers.
Nous nous sommes ainsi tournés vers les décideurs, qui ont fait montre d’une gêne certaine à répondre à nos questions. Nous leur avons dit : « Messieurs, si la caricature, objet de tout ce tapage, est si dangereuse et si coupable que vous le prétendez, sachez que nous sommes poursuivis en justice à son sujet. Deux dossiers plombés ont même été ouverts contre Akhbar Al Yaoum à ce propos, l’exposant, pour chacun, à des peines d’emprisonnement et à de lourdes amendes. Pourquoi ne respectez-vous donc pas cette justice dont vous ne cessez de marteler qu’elle doit être réformée ? Pourquoi ne la laissez-vous pas dire son mot, même si c’est une justice aux ordres, partiale et faible ? Peut-il y avoir sentence et sanction en dehors des textes de loi ? » La réponse est malheureusement oui.
Certains « décideurs » nous ont dit que le Makhzen était en colère contre la presse indépendante, que notre journal était un bouc émissaire, sacrifié sur l’autel de sa colère pour faire parvenir un message fort aux journalistes. Le Makhzen voudrait ainsi tuer ab ovo les velléités de ceux qui refusent d’admettre que l’Etat soit réfractaire à toute presse libre, n’ayant comme limite que la loi et l’exercice journalistique tel qu’il existe traditionnellement dans les pays précurseurs en matière de liberté d’expression… Nous leur avons répondu qu’il faudrait alors échanger les lois actuelles contre d’autres importées des anciens régimes communistes qui ne permettent qu’un parti unique, un journal unique, un leader unique, une pensée unique, et une version unique…
L’autoritarisme, une preuve de faiblesse
Messieurs, jeter les journalistes en prison, fermer les journaux et terroriser les plumes n’est ni une solution, ni un gage de pouvoir. Ce n’est qu’un indicateur de faiblesse et de confusion. Ce n’est que la preuve éclatante du mépris des lois, de l’histoire du pays et des slogans de réconciliation, de transition et de modernité… Ne vous cachez pas derrière des arguments mous, tels que la "déontologie", les spécificités du pays et les sensibilités du pouvoir, pour camoufler les tendances autocratiques qui sévissent dans les appareils de l’Etat. L’impotence du gouvernement, l’avachissement des partis politiques, la mort des syndicats et la lâcheté des élites ne devraient pas être perçus par le pouvoir comme un "laissez-passer" vers plus d’autoritarisme. En réalité, la faiblesse des institutions et l’effritement de l’opposition sont avant tout une menace pour le pouvoir, car le vide masque souvent les réalités les plus fatales pour l’avenir de notre pays.
Akhbar Al Yaoum, Messieurs, est un journal indépendant, qui vit sur ses ventes et sur les quelques subventions qu’il n’obtient qu’avec la plus grande peine. Il ne possède ni l’appui d’un parti, ni celui d’une entreprise, ni celui d’une personnalité influente ou pas. "Akhbar Al Yaoum" vit de son professionnalisme et de la crédibilité de ses équipes, qui rêvaient d’un journal intelligent et percutant, capable de réussir sans verser dans le populisme, capable de durer sans compromis avec qui que ce soit, et sans négocier la ligne éditoriale en fonction de ce qui est toléré par le makhzen aujourd’hui. C’est notre unique tort…
Nous avons présenté nos excuses au prince Mouley Ismaïl lorsque nous avons senti qu’il avait perçu le dessin de presse comme une atteinte à sa personne. Ce dessin, les ennemis de la liberté de presse au Maroc se sont empressés de lui donner des significations et relents qui ne nous ont même pas traversé l’esprit. Nous sommes conscients que ce tollé ne peut nullement être provoqué par un « dessin candide », mais qu’il est l’augure d’un « dessein » qui lui, n’a rien d’innocent. Il s’agit de redessiner les limites de la liberté de presse au Maroc, pour lui délimiter un espace encore plus étroit que celui où se sont exprimées les plumes « irrévérencieuses » lors de ces dix dernières années. C’est cela le vrai objectif.
Une question d’honneur
Quant au reste, le régime ne fait pas dans la dentelle. Le plus gênant dans cette nouvelle « campagne d’assainissement » qui sévit contre la presse libre ces jours-ci, n’est pas le comportement de l’Etat, qui a démontré à quel point il pouvait avoir du mépris pour la loi, la justice et les droits des Marocains. Non, le plus déplorable, c’est que tous les journalistes et les éditeurs de presse tombent sous le joug de l’effroi, et que l’« honneur » du métier en pâtisse. Cet honneur, qui devrait pousser toute honnête plume à défendre la liberté d’expression et le respect de la loi, même lorsque son détenteur ne partage pas les mêmes opinions que le confrère atteint dans ses droits, ne jouit d’aucune considération chez certains de nos confrères, qui n’ont pas hésité à nous achever de sang froid. Quant aux partis qui ont émis des communiqués nous condamnant avant même que la justice n’ait dit son mot, nous ne leur en ferons même pas le reproche, car face à son maître, l’esclave ne peut être maître de soi…
Lecteurs, nous sommes aujourd’hui jugés pour offense au drapeau marocain, nous qui défendons les intérêts de notre pays tous les matins face aux voleurs de l’argent public qui sabotent l’image du Maroc sur le plan national et à l’étranger… Il s’agit avant tout d’une offense à l’intelligence des Marocains !
Le point de vue de Khalid Gueddar
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