C'est l'histoire de milliers d'enfants marocains qui rejettent toute attache avec leur milieu social d'origine. Des enfants qui extériorisent leur malaise de façon violente et agressive. Des êtres désorganisés, avec une forte envie de détruire tout ce qui symbolise leur origine sociale. Des esprits mutilés, en conflit permanent avec eux-mêmes, en perte de repères et qui ont hâte de quitter la société qui les a rejetés, pour retrouver celle de la prison. L'histoire de S-A n'est pas un simple fait divers, une affaire judiciaire comme celles qui sont traitées au quotidien dans les commissariats et tribunaux du Royaume. Elle témoigne du danger permanent qui guette 400.000 enfants abandonnés, et 240.000 autres vagabonds à la merci du froid, de l'exclusion, des abus sexuels, des intoxications alimentaires, des maladies et de la délinquance.
A l'âge de 10 ans, c'était le choc dans la vie d'Assila, il avait appris qu'il n'était que le fils adoptif et qu'il avait été abandonné par ses parents… Après, ce fut la fuite en avant, un parcours vertigineux que personne n'avait réussi à freiner, redresser et corriger. Il avait tout d'abord commencé par bouder l'école des l'âge de dix ans, la rue était devenue son refuge où il pouvait extérioriser ses sentiments d’enfant rebelle, contre toute fausse autorité parentale ou sociale. Petit à petit, c'était la drogue, et puis la délinquance. Même les efforts déployés par les assistants sociaux de l'Association Bayti durant plusieurs années, n'ont pas pu révéler le bon côté d'Assila. Le vagabondage était devenu pour lui un mode de vie. Dans la rue il a côtoyé des compagnons avec qui il a partagé ses frustrations, ses sentiments de rancune envers ses parents, et son penchant vers la criminalité. « Assila ne cessait de rentrer et sortir du centre correctionnel d'Essaouira, il était, dès son jeune âge, complice de criminels dans plusieurs affaires de vols, agressions et cambriolage; mais à chaque fois, il profitait de son statut de mineur pour échapper à la prison et prendre la fuite du centre pour y retourner après quelques mois », nous a déclaré une source sécuritaire.
A 13 ans, il fut choisi pour participer au film « Ali Zaoua » réalisé par Nabil Ayouch, une reproduction réaliste et choquante du vécu d'une enfance abandonnée qui a pris le chemin du vagabondage avec ses dangers et paradoxes. Certes, Assila avait peut-être la chance d’une réintégration sociale par le biais de l'art, mais personne ne savait quelles étaient les limites des opportunités, et de l'accompagnement matériel, psychologique et social déployé pour faire aboutir cette expérience qui a échoué à Essaouira, là où elle a relativement réussi à Casa. Les années passent et se ressemblent pour Assila. L'enfant mineur avait mûri, et la délinquance s'était muée en vraie criminalité. A 23 ans, il a rompu avec tout ce qui symbolisa it son vécu d'enfance, pour construire un monde impitoyable, détaché de toutes les valeurs sociales. C'est le prix payé par notre société au quotidien faute de méthodes et moyens efficients pour résoudre du moins atténuer les effets de cette problématique sociale à multiples facettes. Les causes de l'abandon ne se limitent pas seulement au « premier péché », car il y a des orphelins, des enfants issus de familles nécessiteuses et les problèmes du divorce et de la prostitution. C'est un phénomène qui menace la stabilité de la société, mais ce sont surtout ces enfants qui payent le tribut des problèmes économiques et sociaux. De centaines de milliers d'enfants, entre 4 et 18 ans, meublent actuellement les rues des villes, errant en permanence sous de faux noms. De ce fait, il n'est pas évident de les contrôler, ni de suivre de près. Les efforts déployés par l'Etat et la société civile paralysée faute de moyens financiers, doivent toucher l'éducatif et le psychologique surtout, car ce sont les esprits de ces enfants privés de vie familiale qui ont le plus besoin de nourriture pour ne pas dépérir dans une ruelle comme un Ali Zaoua, ou moisir en prison comme un Assila.
(photos du film Ali Zaoua)
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