Chers amis lecteurs de solidmar,

Solidmar est fatigué ! Trop nourri ! En 8 ans d’existence il s’est goinfré de près de 14 000 articles et n’arrive plus à publier correctement les actualités. RDV sur son jumeau solidmar !

Pages

jeudi 18 juin 2009

Faire-part

Abdelfettah Fakihani est mort mercredi 17 juin en soirée à l'Hôpital Cheikh Zayed de Rabat. Âgé de 60 ans, il avait été atteint d'une maladie fulgurante qui l'a emporté en un mois.

Abdelfettah, "Fakous" pour ses amis, l'un des fondateurs du mouvement marxiste-léniniste marocain Ila Al Amam et ancien prisonnier politique des années de plomb, était journaliste à l'AFP.

Enseignant de français à Khourigba, il avait passé 15 ans dans les geôles de Hassan II. Emprisonné une première fois de mars 1972 à août 1973, il est à nouveau emprisonné en 1975. Condamné à la perpétuité au "procès-fleuve" de 138 militants d'Ila Al Amam à Casablanca en 1977, il retrouve la liberté le 7 mai 1989.
Il fait des piges durant quatre ans pour le quotidien arabophone Al Alam. Ne supportant pas le dédain d’une rédaction gérée comme une tribu, il donne sa démission en 1995, alors que sa femme est enceinte de huit mois. De nouveau, l’angoisse du chômage. Il envoye un CV à l’AFP, comme on envoie une bouteille à la mer. Il a de la chance, Ignace Dalle, alors directeur de l’agence, le prend dans son équipe.

Abdelfettah Fakihani était l'auteur de plusieurs ouvrages dont un recueil de poèmes et un livre-témoignage sur ses années de détention, "Le Couloir, Bribes de vérité sur les années de Plomb" (Collection Témoignages Tarik éditions, 2005, 182 pages, 60 DH), dont le titre fait allusion au allusion au couloir central de la prison de Kénitra.
Le défunt était connu pour son sérieux et son honnêteté dans le travail ainsi que par son humour de Marrakchi.
Son enterrement a lieu aujourd'hui 18 juin à partir du logement familial, résidence Assabah, Immeuble Atlantique vers 16h30 puis à la mosquée Sahat Achouhada (Place des Martyrs) vers 17h15, et ensuite au cimetière Achouhada.


Extrait de "Le Couloir"

"Salle de torture. Silence total. Des bruits furtifs à gauche et à droite, devant et derrière. La peur dans l’âme, dans le sexe qui se rétrécit. Dans le ventre tordu. Et dans la tronche qui grouille. Quand est ce qu’elle va commencer, cette séance ? De torture.
Ils voudront des noms, des adresses. Les camarades, voilà ce qu’ils veulent. Ils voudront la direction, ce qui reste des dirigeants. Presque tous arrêtés, les camarades. Il y en a qui circulent encore. C’est bon. Il y en a même qui peuvent même restructurer l’organisation après la vague. C’est bon.
Les noms, les adresses, les coups. La mort. C’est possible la mort. Abdellatif Zéroual, mort ici, peut être dans cette sale, peut être à l’hôpital Ibn Sina.
Ici, aucun moyen de se donner la mort. Les résistants. Il yen a qui se la sont donné. Cyanure. Ils avaient des secrets, les résistants. Les armes à feu, les bombes. Colonisation, résistance, armes.
Minutieux. Tout est minutieux. Mes pieds et mains noués autour d’une barre de fer, le corps nu et les yeux bandés. On m’a déshabillé. Et ça n’a pas encore commencé, la torture, la véritable. Pas les gros coups de poing que j’ai reçu en pleine figure et dans le ventre quand j’ai refusé de répondre à leurs questions, à peine débarqué au centre. Les coups m’avaient fait tomber. La douleur au sol. C’est rien devant la douleur au vol. Perroquet : plantes des pieds en l’air, exposées. A Quoi ?
Silence total. J’attends. Grand souhait que mon corps ne tienne pas face à ce qui va venir. Qu’il succombe et me libère ! De peur de trop souffrir, ou de succomber en faisant des aveux.
La torture c’est quoi ? Très compliqué. Milliers de situations. Résister sur toute la ligne. Ou résister tant qu’on peut. Insultes. Ça les révolte, les mamans, toutes les mamans. Redevenu bébé sous la torture. Ma voix, lui parvient elle ?
Un colosse me tape sur les deux oreilles. J’imagine ce qu’il fait. C’est clair. Il écarte ses bras. Me tape sur les deux oreilles simultanément. Avec deux mains fortes et charnues. Insultes de plus en plus sexuelles. "pédé", "fils de pute". Je m’offusque même en pleine séance. De torture. "Descendez le !". Un mouton. On n’est pas en fête. On me descend à terre.
On descend la barre de fer, alourdie par mon corps. Appliqués les tortionnaires. Je suis par terre, et je ne vois rien. Le bandeau sur les yeux. Bien serré. Des heures et des heurs de coups. est ce le jour ou la nuit ? Comment savoir ?
"Remontez le !". Sur le visage, sur les plantes des pieds. Sur les cuisses. Sur les oreilles. Les coups. Avec quoi ? Nerf de bœuf , ceinture, baguette de fer ?
"Descendez le !". Un petit répit. Et le but, c’est quoi ? Que je crève pas ? Veulent ils me maintenir en vie A Tout prix ? Je souhaite être sauvé. Je désire m’évanouir ? Mais ça ne se simule pas un évanouissement, avec les tortionnaires. Je n’y arrivais pas. A m’évanouir.
Électricité : sur les cheveux, sur les bras, sur les cuisses. Aïe. Sensation étrange. Douleur désagréable. C’est quoi ? cet engin , un fil, une baguette électrique ? Je n’entends pas le moteur. Le mal est là. Encore un électrochoc. Je crie. Le crie aigu, plus aigu que mon timbre de voix. "Cri de pute" , m’assène un tortionnaire.
(...) L’étouffement. Un chiffon sur le nez, bien serré. Je suffoque déjà. Et puis on verse dessus. De l’eau à senteur de chiffon. Ils arrêtent de verser lorsque mes méninges me chuchotent un adieu à la vie. encore le chiffon. Encore l’étouffement. Convulsions atroces.
(...) Je commence à faiblir. Le corps déchiqueté. Je ne supporte plus la douleur. Soudain aboiements assourdissants d’un gros chien, que je n’ai pas vu. "Ce chien va te baiser", me dit un tortionnaire. Je me sens de plus en plus incapable de supporter. Seul contre une armada de tortionnaires. Seul devant la vie et la mort qui ne vient pas.
(...) A un certain moment, j’ai parlé. Monté encore une fois dans une fourgonnette de police. Meurtri, défait, la mort dans l’âme, j’ai désigné l’emplacement de deux maisons à mes tortionnaires. Directement responsable de l’arrestation de trois camarades qui s’y trouvaient. Ils n’ont pas pu quitter les lieux. Blessure qui ne sera pas cicatrisée. Le plus humiliant, le plus atroce, sur le coup, c’est qu’après les avoir arrêtés, la police a fait asseoir l’un d’eaux à côté de moi, sur la même banquette du fourgon.
Je n’ai jamais vécu pareille humiliation. Pire, je suis l’auteur d’une petite brochure sur la résistance à la torture. J’y soutenais qu’avec la police, il n’y a pas de subterfuges. Ne rien dire et résister jusqu’à la mort."


Une dépêche d'Abdelfettah Fakihani

Les célèbres conteurs de la place Jemaa El Fna en voie d’extinction

AFP, 5 juin 2008 - Les fameux conteurs de la célèbre place Jemaâ El Fna de Marrakech, espace culturel classé en 2001 par l’Unesco parmi les chefs-d’oeuvres du patrimoine oral et immatériel de l’humanité, sont en voie de disparition. "Le destin des conteurs, c’est l’extinction", déclare sans ambages Abdelhay Nafiî, responsable de "l’Association des professionnels de la halqa pour le spectacle et le patrimoine". La halqa désigne le cercle des spectateurs autour du conteur.
"Les maîtres conteurs sont morts, et ce qu’on raconte aujourd’hui, c’est les légendes de la fin des temps", dit ironiquement un nostalgique vendeur de brochettes, d’une soixantaine d’années.
Le fumet des grillades attire en début de soirée les touristes marocains et étrangers transformant cet espace multicolore créé au XVIe siècle en un gigantesque restaurant à ciel ouvert.
Les cartomanciennes, les charmeurs de serpents, groupes de musique afro-musulmane "Gnaoua", les prestidigitateurs, guérisseurs, dresseurs de singes et marchands de toutes sortes de boissons, potions et parfums s’y pressent.
Mais point de conteurs. "Nous en voyons un quelquefois, un seul, qui tient sa halqa devant Café France mais aujourd’hui il n’est pas venu", indique au journaliste de l’AFP un marchand de jus d’oranges, scrutant la place du haut de son siège.
"En 1970, il y avait 18 conteurs, aujourd’hui, il n’en reste plus que sept", se lamente Mohamed Bariz (49 ans), l’un des derniers survivants. Barbe grisonnante, grosses lunettes optiques, ce formidable narrateur des Mille et une nuits et des grandes épopées arabes avoue ne se rendre que très rarement à Jemaâ El Fna, où il s’installe en général pour "expérimenter des adaptations orales de textes littéraires contemporains".
"La télévision, notamment les dessins animés, remplacent les contes que les parents racontaient lors des veillées à leurs enfants, et qui les faisaient rêver", dit-il. "Les jeunes ne veulent pas prendre la relève : ce métier est ardu à apprendre et rapporte peu. C’est beaucoup plus dur que le chant ou la percussion car il faut capter l’attention des auditeurs avec les mots", explique-t-il.
Une polémique a opposé certains conteurs à la mairie de Marrakech, par voie de presse, sur de supposées "primes" de l’Unesco destinées à être versées aux conteurs. "Nous gagnions bien notre vie avant que l’Unesco s’intéresse à cette place, car après chaque épisode d’un conte, le public se montrait généreux. Maintenant, ils nous rétorquent : <>", indique le conteur.
Or, aucune rémunération n’a été attribuée, assure à l’AFP Philippe Queau, directeur du bureau de l’Unesco à Rabat. "Nous n’avons accordé aux conteurs aucune subvention d’ordre pécuniaire. Ce que nous avions financé, ce sont des opérations pédagogiques dans les écoles de la région de Marrakech, auxquelles certains conteurs ont participé à titre individuel", précise-t-il.
"L’Unesco est très intéressée par la préservation du patrimoine immatériel de la place Jemaâ El Fna", affirme M. Queau. "Mais les mesures de protection, c’est à l’Etat marocain de les prendre, et à sa demande, nous pourrions intervenir à un niveau technique", poursuit-il.
Pour le conteur Mohamed Bariz, si l’on veut sauver cet art séculaire, il faut créer une école pour former de jeunes conteurs et leur octroyer un "salaire mensuel symbolique" et une couverture médicale.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire