Traduit par Esteban G. et révisé par Fausto Giudice , Tlaxcala
Santa Cruz de Tenerife. - Ali Salem Tamek est un symbole pour le peuple sahraoui. Fondateur du Collectif des Défenseurs Sahraouis des Droits de l’Homme (CODESA), il a été emprisonné et torturé en de nombreuses occasions. Actuellement et depuis deux ans, les autorités de Rabat l’empêchent de faire des études de journalisme en lui refusant un droit fondamental de plus : celui à l'éducation. Déclaré « ennemi public numéro un » au Maroc par le fait de son soutien à l'autodétermination du Sahara, il n’a pas été seul a avoir vécu dans sa propre chair la plus cruelle des violences. Sa femme également a été violée par cinq policiers marocains alors qu’elle venait lui rendre visite à la prison et devant les yeux de sa fille âgée de moins de 4 ans. « Cette situation impose à tous les Sahraouis de penser la même chose : chercher chaque jour une nouvelle forme de lutte », a-t-il déclaré au Service de Communication Sahraoui des Iles Canaries (SCSC).
Le nouveau représentant du secrétaire général de l'ONU, Christopher Ross, a déjà effectué une tournée dans la région et Ban Ki-Moon a tenu compte de ses appréciations dans son dernier rapport au Conseil de Sécurité, avez-vous perçu quelque changement ?
« Ross est arrivé après que son prédécesseur, Vont Walsum, il viole le principe de neutralité qu’il aurait dû maintenir mais il s’était aligné sur une des parties en abandonnant l'objectivité qu’il était présumé représenter. Il s'agit d'une personnalité au profil beaucoup plus important, autant par son expérience de la région que par le fait d'avoir été informé en permanence sur la question sahraoui car il a été ambassadeur US en Algérie. De plus, indirectement, son avis est un avis de poids aux USA. Notre principal espoir est l'amélioration de la situation des droits humains au Sahara occupé par le Maroc. Cependant, il semble encore trop tôt pour que des changements se produisent et, malgré cela, le dernier rapport du secrétaire général au Conseil de Sécurité n'aborde pas cette question de manière claire, nous sommes déçus ».
Le Collectif des Défenseurs Sahraouis des Droits de l’Homme (CODESA), dont vous faites partie, s'est récemment réuni à Rabat avec des représentants de l'ambassade des USA pour traiter de la situation du Sahara, croyez-vous que l'arrivée d'une nouvelle administration à Washington peut changer la situation de blocage du conflit ?
« Nous maintenons des contacts permanents avec l'ambassade US. Le thème à traiter tourne toujours autour de la situation des droits humains au Sahara et à la répression dont les militants sahraouis sont victimes et qui s’abat sur la population civile en général. Nous travaillons également sur la situation de nos prisonniers politiques dans les prisons marocaines. Quant à la nouvelle administration usaméricaine, il convient de signaler que les premiers rapports du Département d'État démontrent qu’elle n’a pas planché directement sur le problème sahraoui. Ils maintiennent toujours une certaine bienveillance avec le Maroc. Bien que nous ayons gardé de nombreux contacts avec des hommes politiques usaméricains, on ne voit pas encore de résultats concrets ni positifs ».
Depuis le mois de mai 2005, dans les prisons marocaines, les prisonniers politiques sahraouis font des grèves de la faim très dures pour réclamer des conditions d’incarcération plus acceptables. Actuellement où en est la situation ?
« Ils sont toujours torturés, enfermés dans des cachots réduits et isolés comme les trois étudiants qui ont fait récemment une grève de la faim pendant 56 jours, à la limite du péril de leur vie, dans une prison de Marrakech. Leur délit est d’avoir participé à une manifestation pacifique. Tandis que, le conducteur d'autobus qui a tué deux étudiants sahraouis à Agadir en décembre a été condamné seulement à 4 mois de prison et maintenant il est sorti. Bien que les organismes internationaux qui ont pour tâche de surveiller le respect des droits fondamentaux soient au courant de la réalité, nous ne voyons toujours pas d'améliorations et, le plus dangereux, c’est que les puissances qui pourraient avoir une influence dans le concert international traitent la question des droits de l’homme dans le sens de leurs intérêts politiques, et non comme un principe universel dont nous tous devrions jouir. Je profite de cette occasion pour demander à la communauté internationale qu’elle fasse pression sur le Maroc et sauve ainsi la vie du prisonnier sahraoui Yahya Mohamed El Hafed (1), qui se trouve dans un état de santé critique, il a été transféré dans un cachot d’isolement de la prison d'Ait Melloul à Agadir ».
Mais face au blocus habituel de l’information, le témoignage des violations permanentes des droits humains par le Maroc au Sahara est déjà connu…
« Oui, mais, par exemple, depuis deux ans, même le rapport sur le Sahara du Haut commissaire aux droits de l’homme de l'ONU n’est toujours pas publié. Amnesty International, Human Rights Watch, la délégation ad hoc du Parlement Européen et les organisations comme Frontline ont visité les territoires occupés par le Maroc et ils ont vu, de leurs propres yeux, la répression sur notre peuple. Y compris l'Association marocaine de défense des droits humains (AMDH) a mis en évidence la situation et, malgré tout, il semble qu’il n’y ait pas d’écho à l'ONU ni dans les principaux pays, puisque l’ordre de protéger la population n’a pas encore été donné aux casques bleus de la MINURSO. Tout ceci engendre frustration et tristesse pour les milliers de Sahraouis et les amis du Sahara ».
Toutefois, le rapport préliminaire du Parlement Européen est censé avoir porté un coup dur à l'administration marocaine…
« Même le rapport du Parlement Européen, qui confirme les violations des droits humains, oublie des circonstances telles que les viols des femmes et des prisonniers ou la spoliation des ressources naturelles. Ils ont été les témoins du blocage marocain autour de leur hôtel, des arrestations et de la répression généralisée des forces de sécurité. N'oublions pas que le Maroc a tardé deux ans pour autoriser cette visite et il a eu le temps de préparer le scénario idéal, il a organisé un contrôle de fer du groupe des eurodéputés et c’est lui qui a déterminé le temps de son séjour afin d’éviter qu'ils puissent voir les constantes manifestations contre l'occupation ».
Cette frustration faute d'avancée pourrait-elle amener un retour à la guerre ? Et, dans ce cas-là, la guerre pourrait-elle s’étendre cette fois-ci aux villes sahraouies occupées par le Maroc ?
« Les lois internationales garantissent le droit de se défendre et de résister pour la défense des droits légitimes des peuples. Notre cause est une cause juste, claire et transparente. Depuis la signature du cessez-le-feu en 1991, cela fait 18 ans que nous sommes dans une impasse qui n'est ni la guerre ni la paix. Divisés par un mur miné, un des plus dangereux du monde, soumis à la répression brutale et supportant la spoliation de nos richesses, le Maroc continue à ignorer la légalité et les résolutions de l'ONU. Cette situation impose à tous les Sahraouis de penser la même chose : chercher chaque jour une nouvelle forme de lutte. Ce n'est pas une question émotionnelle, mais stratégique, qui marquera le destin de notre peuple, une option imposée et non choisie. Mais c’est notre représentant, le Front Polisario, qui prendra la décision ».
Les enfants et adolescents mineurs sahraouis sont une cible particulièrement touchée par la répression marocaine au Sahara, Quel est le but de cette nouvelle stratégie du Maroc ?
« Il s'agit d'une question de grande importance qui n'a rien de fortuit. Le régime marocain ne fait rien de façon spontanée. La répression contre les enfants mineurs sahraouis est systématique et a des connotations stratégiques. Ces enfants, ces jeunes qui sont aujourd’hui emprisonnés, torturés et violés sont nés dans un environnement d’occupation et de soulèvement permanent et se sont eux qui adaptent et actualisent cette culture de la résistance. Le Maroc essaye d'annihiler leurs actions parce qu'il connaît leur importance pour le peuple sahraoui. C'est pourquoi nous avons constitué récemment le Forum pour la Protection de l'Enfance en tant qu’outil pour faire connaître cette campagne d'extermination de nos enfants mineurs. Des enfants de 5 ans ont été torturés pour avoir brandi le drapeau sahraoui ».
Bien que le Maroc ne réduise pas le degré de violence de sa répression, il se forme chaque fois davantage de groupes de défense des droits humains au Sahara, quelque chose a-t-il changé pour que ce phénomène se produise ?
« Non, la répression marocaine est dirigée contre tous les droits civils et politiques des Sahraouis, parmi lesquels ceux de se réunir et de s’organiser. Toutes les organisations qui se sont constituées sont interdites légalement c’est pourquoi leur apparition et leur activité représentent une énorme réussite qui est le résultat de la lutte des Sahraouis pour leur liberté. Ce n’est ni un cadeau ni un crédit de l’État marocain. Et cela n’implique ni ouverture ni nouvelle démocratie de la part du Maroc ».
Et, qu’en est-il de l'appui du gouvernement espagnol aux thèses marocaines pour le Sahara ?
« Personnellement, le gouvernement espagnol ne me semble pas trop démocratique parce que dans cette affaire sa position ne reflète pas la volonté politique des peuples d'Espagne. Ces peuples sont l'élan central, le cœur de la solidarité avec le Sahara vers le monde. En attendant, le gouvernement de Zapatero brandit le drapeau des droits de l’homme mais il n’endosse pas la responsabilité de son rôle historique au Sahara et il détourne son regard lorsqu’on lui parle de l'extermination des Sahraouis. C'est une question de business ».
Notes
1- Yahya Mohamed El Hafed
Le défenseur des droits humains Yahya Mohamed el Hafed Aaza torturé et placé à l’isolement
Front Line est profondément préoccupée suite à l’annonce de la torture et de la mise à l’isolement du défenseur des droits humains M. Yahya Mohamed el Hafed Aaza, actuellement détenu dans la prison d’Aït Melloul. Yahya Mohamed El Hafed Aaza est membre de la branche de Tan-Tan de l’Association Marocaine des Droits de l’Homme (AMDH), ainsi que de l’assemblée constitutive du Collectif des Défenseurs Sahraouis des Droits de l’Homme (CODESA).
Le 4 mars 2008, Front Line avait lancé un appel urgent concernant l’arrestation arbitraire de Yahya Mohamed El Hafed Aaza.
Le 3 avril 2009, Yahya Mohamed El Hafed Aaza et neuf autres prisonniers sahraouis auraient été victimes de torture dans la prison Enzkan. Ils ont ensuite été transférés dans la prison d’Aït Melloul, où Yahya Mohamed El Hafed Aaza a été placé à l’isolement, sans couverture ni vêtements et sans suffisamment d’eau et de sucre, dont il a besoin car il mène une grève de la faim. Yahya Mohamed El Hafed Aaza souffre de rhumatismes, d’asthme, d’anémie et d’autres maladies pour lesquelles il a passé trois mois à l’hôpital quand il été emprisonné à Enzkan. Le 4 avril 2009, sa femme et son père n’ont pas été autorisés à lui rendre visite et il leur a été demandé d’avoir une autorisation du Directorat des Prisons à Rabat (qui se situe à 700km d’Aït Melloul).
Yahya Mohamed El Hafed Aaza a été arrêté le 29 février 2008 alors qu’il travaillait dans son magasin à Tan-Tan, dans le sud du Maroc. Il semble que son arrestation soit liée à des manifestations pacifiques en faveur de l’indépendance, qui avaient eu lieu deux jours plus tôt à Tan-Tan. En septembre 2008, il a été condamné à 15 ans de prison lors d’un procès inéquitable. Yahya Mohamed El Hafed Aaza avait déjà été victime d’intimidations. En 2004 et 2006, il avait été arrêté par les services marocains de renseignement militaire. En 2005, il aurait été enlevé par ces mêmes services pendant deux semaines, durant lesquelles il a été torturé.
Front Line pense que la torture et la détention continue de Yahya Mohamed El Hafed Aaza a un lien direct avec son travail en faveur des droits humains. Front Line est très inquiète pour l’intégrité physique et psychologique de Yahya Mohamed El Hafed Aaza.
Source : Front Line (Protection des Défenseurs des Droits Humains), 23 avril 2009
Quelques repères historiques sur le mouvement des défenseurs des droits humains au Sahara Occidental
Depuis toujours, la répression contre la population sahraouie a été liée à la question de sa libre détermination. Pays colonisé par l'Espagne jusqu'en 1975, toute tentative de création d'un mouvement nationaliste a été durement réprimé par les autorités coloniales. Depuis l'invasion marocaine en novembre 1975, le régime alaouite a utilisé toutes ses ressources répressives contre la population civile sahraouie: bombardements au napalm, arrestations massives, assassinats.
Durant les premières années de l'occupation marocaine, la question des violations systématiques des droits humains a été entièrement occultée par le conflit militaire, alors que des centaines de civils étaient arrêtés, torturés, puis "disparus" pour le simple fait d'être sahraoui.
1989: création de l'Association des Familles de Prisonniers et Disparus Sahraouis (AFAPREDESA). Quelques membres de familles, en exil, s'inspirant des expériences latino- américaines, fondent leur association qui deviendra au fil des ans la référence au niveau international. Participation aux commissions et sous-commissions des droits de l'homme de l'ONU, contacts avec des ONG internationales…
1991: en juin, le Maroc annonce la "libération" de plus de 300 disparus sahraouis dont il niait l'existence. Peu à peu, ils feront connaître le calvaire des centaines de disparus enlevés par les autorités marocaines.
1993: création à Rome du Bureau pour le respect des droits de l'homme au Sahara Occidental, aujourd'hui BIRDHSO.
1994: des rescapés des bagnes secrets libérés en 1991, créent le "Comité de coordination des victimes sahraouies de la disparition forcée" qui entame différentes démarches pour la reconnaissance de leurs droits.
Août 2000: création à El Ayoun (capitale du Sahara Occidental occupé) de la Section Sahara du Forum Vérité-Justice qui regroupera la majorité des défenseurs sahraouis des droits de l'homme.
Septembre 2001: création à El Ayoun du "Comité pour la libération de Mohamed Daddach et tous les prisonniers politiques sahraouis". Son travail conjoint avec le BIRDHSO et d'autres organisations internationales, aboutira à la libération des 26 prisonniers politiques sahraouis en novembre 2001. Depuis lors, Sidi Mohamed Daddach devient le symbole de la lutte pour la défense des droits humains au Sahara Occidental. Il obtiendra le prix RAFTO des droits de l'homme (Norvège) en 2002
2002: Création du "Comité pour la libération de Ali Tamek Salem (membre du Forum Vérité-Justice arrêté et condamné par les autorités marocaines) et prisonniers politiques sahraouis.
Juin 2003: Dissolution par les autorités marocaines du Forum Vérité-Justice - Section Sahara.
Janvier 2004: libération de Tamek et 11 autres détenus politiques sahraouis
Source : http://www.birdhso.org/appel0904.html, 14 avril 2009
Lire également
Rapport sur les intimidations perpétrées par les autorités marocaines contre les défenseurs Sahraouis des droits de l'homme. 14 avril 2004
Rapport annuel sur les violations des droits humains au Sahara Occidental 2006
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