Les
législatives marocaines confirment le poids des islamistes, censés
remettre en cause, un jour, le système monarchique, et du parti
pro-palais qui joue le changement selon l’agenda du Palais. Mais le
grand vainqueur de cette élection est indéniablement l’abstention
C’est samedi, vers midi, heure locale au Maroc (GMT), que les résultats presque définitifs
des élections législatives du vendredi 7 octobre sont tombés.
L’islamiste Parti de la justice et du développement (PJD) du chef du
gouvernement Abdelilah Benkirane a remporté 125 sièges des 395 que
compte la Chambre des représentants, la Chambre basse du Parlement
marocain.
Il est suivi par le Parti authenticité et modernité (PAM), le mouvement fondé par l’ami et conseiller du roi Fouad Ali el- Himma, qui a obtenu 102 sièges. Le troisième compère est l’Istiqlal, le plus vieux parti politique marocain, qui avec 46 sièges en perd 14 par rapport à la précédente législature mais arrive à sauver les meubles.
Pour le reste, les formations politiques ont pratiquement tous perdu des sièges par rapport aux élections législatives de 2011. Avec 37 sièges, le Rassemblement national des indépendants (RNI, centre-droit) du ministre des Affaires étrangères Salaheddine Mezouar laisse 25 sièges sur le carreau. Avec 27 sièges, le Mouvement populaire (MP) en perd 5, et avec 19 sièges l’Union constitutionnelle (UC) est délestée de 4 sièges.
L'Union socialiste des forces populaires, un parti qui menace de disparaître
La chute la plus dramatique est celle de l’Union socialiste des forces populaires (USFP), autrefois héraut de la gauche et fer de lance de l’opposition contre le régime de Hassan II, devenu aujourd’hui un parti résiduel qui menace de disparaître. De 39 sièges en 2011, il passe à 20. Même l’apport du Parti travailliste (4 députés dans la législature 2011-2016) qui a fusionné dans l’USFP, n’a apparemment servi à rien.
Trois paris perdus sont ceux de trois formations politiques inégales qui ont tout misé dans ces élections et n’ont pas réussi à faire bouger certaines lignes de flottaison.
Avec 18 sièges dans le précédent Parlement, le Parti du progrès et du socialisme (PPS), héritier, quand ça l’arrange, du Parti communiste du Maroc, fondé en 1943 par Léon Sultan, un juif algérien, n’en récolte que 14 aujourd’hui. Le PPS avait fait le pari d’une alliance électorale avec les islamistes du PJD. Fort de cette alliance, contre-nature pour certains, son secrétaire général, le ministre de l’Habitat Mohamed Nabil Benabdallah, s’était cru assez fort il y a un mois pour s’attaquer au tahakkoum, mot indéchiffrable qui signifie autoritarisme, du conseiller royal Fouad Ali El Himma. Mal lui en a pris.
Un rare communiqué du cabinet royal le traita violemment d’« irresponsable » et insinua que le parti ferait mieux de s’en débarrasser. Durant la campagne électorale, plusieurs de ses candidats furent l’objet de menaces de contrôles fiscaux, la plus flagrante est celle qui frappa son mandataire dans la vieille ville de Salé, qui dut se retirer à la dernière minute.
Un autre parti qui a joué la carte de l’islamisme est le Mouvement démocratique et social (MDS) de Mahmoud Archane, un ex-commissaire de police accusé par ses détracteurs d’avoir fait partie de l’appareil répressif durant les années de plomb. En ouvrant sa porte à des salafistes qui ont viré casaque et à quelques chiites marocains qui veulent sortir des catacombes d’un État fermement sunnite, le MDS pensait récupérer une partie de l’électorat islamiste qui ne s’identifiait pas au PJD. Il passe de 2 députés à 3. Un chiffre insuffisant pour prétendre avoir réussi à séduire une partie de l’islamisme radical marocain.
Enfin, la Fédération de la gauche démocratique (FGD), qui réunit plusieurs formations politiques de gauche et d’extrême gauche et dont la tête de liste Nabila Mounib avait attiré l’attention des médias internationaux avec sa proposition de « troisième voie » consistant à se positionner contre les islamistes du PJD et les pro-régime du PAM. Résultat : 2 sièges. Être adoubé par la presse internationale n’implique pas des « sièges » parlementaires, même en faisant une campagne électorale active à l’occidentale.
Enfin, le Parti de l’unité et de la démocratie (PUD), une scission de l’Istiqlal et le Parti de la gauche verte (PGV) ont obtenu respectivement un siège, le même qu’ils avaient dans le précédent parlement.
Les chefs du PJD perçus comme d’« honnêtes gens »
Le spectre politique marocain est donc aujourd’hui dominé par deux formations politiques, le PJD qui cherche à devenir hégémonique mais n’y arrive pas, pour le moment. Peut-être en raison des interventions musclées du ministre de l’intérieur Mohamed Hassad. Ce « non-élu » placé là par le Palais a interdit les sondages électoraux à la veille d’élections alors qu’aucune loi ne les prohibe, a osé empêcher des ministres de tenir des meetings électoraux, et a annulé des candidatures islamistes de plusieurs militants du PJD.
M. Hassad est d’ailleurs fortement soupçonné d’avoir « tripatouillé » les résultats, selon plusieurs ténors du PJD, et d’avoir organisé une « marche anti-PJD » le dimanche 18 septembre avec la participation d’agents d’autorité.
Une marche financée par des entreprises privées, qui l’a finalement desservi puisqu’elle a provoqué un élan de solidarité avec la victime, le parti islamiste, alors que ce dernier a soutenu toutes les décisions liberticides du Palais de ces dernières années.
Même avec un bilan que l’on peut généreusement taxer de modeste, le PJD reste attractif pour ses partisans en raison sûrement du fait que ses chefs sont perçus comme d’« honnêtes gens », loin des véritables délinquants des affaires qui peuplent encore la politique marocaine.
Même les scandales sexuels qui ont éclaboussé le PJD, parti islamiste qui a fait de la morale islamique l’un de ses chevaux de bataille, distillés par des médias proches des services secrets, ne semblent pas avoir égratigné son image.
Le parti d’Abdelilah Benkirane est considéré aujourd’hui comme la seule formation politique qui risque un jour de bousculer une monarchie tricentenaire qui n’a pas encore compris que les temps changent et que le Maroc ne peut plus être la vache à traire de quelques nantis.
Tout se décide dans la cuisine du Palais royal
Le PAM de son côté reste le joker du Palais pour changer ce qu’il faut sans que l’essentiel, la primauté de la monarchie sur tout le reste, ne soit bouleversé. S’il a réussi à ramener vers lui une partie de l’extrême gauche, fatiguée par des décennies d’opposition, le PAM n’a pas pu phagocyter le reste des formations politiques de droite appelées autrefois « partis de l’administration » parce que créés dans les bureaux du ministère de l’Intérieur. Une résistance anachronique, peut-être calculée, dans un État où tout se décide dans la cuisine du Palais royal.
Mais le grand vainqueur de cette élection est indéniablement l’abstention. Le ministère de l’Intérieur estime selon ses calculs qu’un peu plus de 43 % du corps électoral marocain s’est rendu aux urnes. C’est aller un peu vite en besogne.
En termes généraux, il y a 28 254 231 Marocains en âge de voter. Plus de la moitié, 15 700 000, sont inscrits sur les listes électorales, mais seulement 6 751 000 Marocains, toujours selon le ministère de l’Intérieur, ont voté. Ce qui veut dire que 23 503 231 marocains n’ont pas voulu voter. Ce qui logiquement ramène à 23,89 % le véritable taux de participation.
Avec ce chiffre, les anti-PJD peuvent dormir tranquilles. Mais pas le régime car il lui est impossible de savoir vers où penche cette grande majorité silencieuse.
- Ali Lmrabet est un journaliste marocain, ancien grand reporter au quotidien espagnol El Mundo, pour lequel il travaille toujours comme correspondant au Maghreb. Interdit d’exercer sa profession de journaliste par le pouvoir marocain, il collabore actuellement avec des médias espagnols et francophones et prépare une thèse de doctorat sur l'histoire du Maroc.
Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.
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Il est suivi par le Parti authenticité et modernité (PAM), le mouvement fondé par l’ami et conseiller du roi Fouad Ali el- Himma, qui a obtenu 102 sièges. Le troisième compère est l’Istiqlal, le plus vieux parti politique marocain, qui avec 46 sièges en perd 14 par rapport à la précédente législature mais arrive à sauver les meubles.
Pour le reste, les formations politiques ont pratiquement tous perdu des sièges par rapport aux élections législatives de 2011. Avec 37 sièges, le Rassemblement national des indépendants (RNI, centre-droit) du ministre des Affaires étrangères Salaheddine Mezouar laisse 25 sièges sur le carreau. Avec 27 sièges, le Mouvement populaire (MP) en perd 5, et avec 19 sièges l’Union constitutionnelle (UC) est délestée de 4 sièges.
L'Union socialiste des forces populaires, un parti qui menace de disparaître
La chute la plus dramatique est celle de l’Union socialiste des forces populaires (USFP), autrefois héraut de la gauche et fer de lance de l’opposition contre le régime de Hassan II, devenu aujourd’hui un parti résiduel qui menace de disparaître. De 39 sièges en 2011, il passe à 20. Même l’apport du Parti travailliste (4 députés dans la législature 2011-2016) qui a fusionné dans l’USFP, n’a apparemment servi à rien.
Trois paris perdus sont ceux de trois formations politiques inégales qui ont tout misé dans ces élections et n’ont pas réussi à faire bouger certaines lignes de flottaison.
Avec 18 sièges dans le précédent Parlement, le Parti du progrès et du socialisme (PPS), héritier, quand ça l’arrange, du Parti communiste du Maroc, fondé en 1943 par Léon Sultan, un juif algérien, n’en récolte que 14 aujourd’hui. Le PPS avait fait le pari d’une alliance électorale avec les islamistes du PJD. Fort de cette alliance, contre-nature pour certains, son secrétaire général, le ministre de l’Habitat Mohamed Nabil Benabdallah, s’était cru assez fort il y a un mois pour s’attaquer au tahakkoum, mot indéchiffrable qui signifie autoritarisme, du conseiller royal Fouad Ali El Himma. Mal lui en a pris.
Un rare communiqué du cabinet royal le traita violemment d’« irresponsable » et insinua que le parti ferait mieux de s’en débarrasser. Durant la campagne électorale, plusieurs de ses candidats furent l’objet de menaces de contrôles fiscaux, la plus flagrante est celle qui frappa son mandataire dans la vieille ville de Salé, qui dut se retirer à la dernière minute.
Un autre parti qui a joué la carte de l’islamisme est le Mouvement démocratique et social (MDS) de Mahmoud Archane, un ex-commissaire de police accusé par ses détracteurs d’avoir fait partie de l’appareil répressif durant les années de plomb. En ouvrant sa porte à des salafistes qui ont viré casaque et à quelques chiites marocains qui veulent sortir des catacombes d’un État fermement sunnite, le MDS pensait récupérer une partie de l’électorat islamiste qui ne s’identifiait pas au PJD. Il passe de 2 députés à 3. Un chiffre insuffisant pour prétendre avoir réussi à séduire une partie de l’islamisme radical marocain.
Enfin, la Fédération de la gauche démocratique (FGD), qui réunit plusieurs formations politiques de gauche et d’extrême gauche et dont la tête de liste Nabila Mounib avait attiré l’attention des médias internationaux avec sa proposition de « troisième voie » consistant à se positionner contre les islamistes du PJD et les pro-régime du PAM. Résultat : 2 sièges. Être adoubé par la presse internationale n’implique pas des « sièges » parlementaires, même en faisant une campagne électorale active à l’occidentale.
Enfin, le Parti de l’unité et de la démocratie (PUD), une scission de l’Istiqlal et le Parti de la gauche verte (PGV) ont obtenu respectivement un siège, le même qu’ils avaient dans le précédent parlement.
Les chefs du PJD perçus comme d’« honnêtes gens »
Le spectre politique marocain est donc aujourd’hui dominé par deux formations politiques, le PJD qui cherche à devenir hégémonique mais n’y arrive pas, pour le moment. Peut-être en raison des interventions musclées du ministre de l’intérieur Mohamed Hassad. Ce « non-élu » placé là par le Palais a interdit les sondages électoraux à la veille d’élections alors qu’aucune loi ne les prohibe, a osé empêcher des ministres de tenir des meetings électoraux, et a annulé des candidatures islamistes de plusieurs militants du PJD.
M. Hassad est d’ailleurs fortement soupçonné d’avoir « tripatouillé » les résultats, selon plusieurs ténors du PJD, et d’avoir organisé une « marche anti-PJD » le dimanche 18 septembre avec la participation d’agents d’autorité.
Une marche financée par des entreprises privées, qui l’a finalement desservi puisqu’elle a provoqué un élan de solidarité avec la victime, le parti islamiste, alors que ce dernier a soutenu toutes les décisions liberticides du Palais de ces dernières années.
Même avec un bilan que l’on peut généreusement taxer de modeste, le PJD reste attractif pour ses partisans en raison sûrement du fait que ses chefs sont perçus comme d’« honnêtes gens », loin des véritables délinquants des affaires qui peuplent encore la politique marocaine.
Même les scandales sexuels qui ont éclaboussé le PJD, parti islamiste qui a fait de la morale islamique l’un de ses chevaux de bataille, distillés par des médias proches des services secrets, ne semblent pas avoir égratigné son image.
Le parti d’Abdelilah Benkirane est considéré aujourd’hui comme la seule formation politique qui risque un jour de bousculer une monarchie tricentenaire qui n’a pas encore compris que les temps changent et que le Maroc ne peut plus être la vache à traire de quelques nantis.
Tout se décide dans la cuisine du Palais royal
Le PAM de son côté reste le joker du Palais pour changer ce qu’il faut sans que l’essentiel, la primauté de la monarchie sur tout le reste, ne soit bouleversé. S’il a réussi à ramener vers lui une partie de l’extrême gauche, fatiguée par des décennies d’opposition, le PAM n’a pas pu phagocyter le reste des formations politiques de droite appelées autrefois « partis de l’administration » parce que créés dans les bureaux du ministère de l’Intérieur. Une résistance anachronique, peut-être calculée, dans un État où tout se décide dans la cuisine du Palais royal.
Mais le grand vainqueur de cette élection est indéniablement l’abstention. Le ministère de l’Intérieur estime selon ses calculs qu’un peu plus de 43 % du corps électoral marocain s’est rendu aux urnes. C’est aller un peu vite en besogne.
En termes généraux, il y a 28 254 231 Marocains en âge de voter. Plus de la moitié, 15 700 000, sont inscrits sur les listes électorales, mais seulement 6 751 000 Marocains, toujours selon le ministère de l’Intérieur, ont voté. Ce qui veut dire que 23 503 231 marocains n’ont pas voulu voter. Ce qui logiquement ramène à 23,89 % le véritable taux de participation.
Avec ce chiffre, les anti-PJD peuvent dormir tranquilles. Mais pas le régime car il lui est impossible de savoir vers où penche cette grande majorité silencieuse.
- Ali Lmrabet est un journaliste marocain, ancien grand reporter au quotidien espagnol El Mundo, pour lequel il travaille toujours comme correspondant au Maghreb. Interdit d’exercer sa profession de journaliste par le pouvoir marocain, il collabore actuellement avec des médias espagnols et francophones et prépare une thèse de doctorat sur l'histoire du Maroc.
Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.
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