Entretien
avec Jean-Paul GUEVARA, petit neveu du CHE
Le 18 décembre 2005, Evo Morales
remporte les élections présidentielles boliviennes dès le premier tour avec plus
de 53% des voix. Pour la première fois depuis le XIXe siècle, un amérindien accède au
pouvoir en Amérique du Sud. Cet ancien syndicaliste et footballeur professionnel
nationalise la production d’hydrocarbures, augmente le salaire minimum et
s’oppose à l’installation de bases militaires américaines. La particularité de
ce mouvement révolutionnaire et socialiste est de s’intéresser aux questions
identitaires et culturelles. Pour en savoir plus, Le Poing a rencontré Jean-Paul
Guevara, petit-neveu du Che et ambassadeur de Bolivie en France.
Qu’est-ce que cela change d’être
ambassadeur d’un pays se proclamant révolutionnaire ?
Les ambassadeurs doivent remplir
des missions précises : faire connaitre leur pays, prêter attention à nos
ressortissants vivant en France et renforcer les liens entre les peuples. Mon
rôle est aussi de faire connaitre la Révolution démocratique et culturelle que
nous sommes en train de vivre comme une proposition pour le reste du
monde.
Le
préambule de la Constitution bolivienne remet en cause « l’État néolibéral,
républicain et colonial ». Pourquoi associer la République au capitalisme et à
la colonisation ?
Plus qu’une remise en cause, il
s’agit avant tout de surmonter et de dépasser l’État. Et nous affirmons
effectivement qu’il faut aussi s’émanciper du modèle républicain. Nous ne sommes
pas républicains. La République est le fruit de l’État-nation, c’est une idée
qui a été créée et idéalisée ici, en France. Nous sommes contre ce modèle
importé parce qu’il ne correspond pas à la réalité de la société bolivienne.
L’État-nation cherche l’homogénéisation de la population, à faire en sorte que
les gens pensent la même chose, qu’ils soient identiques. Mais nous savons que
ce vœu n’est pas sincère. Le gouvernement bolivien souhaite au contraire
préserver et reconnaitre la réalité, la nature, la dignité et la diversité des
différents peuples. C’est la voie que nous tentons d’expérimenter avec notre
État plurinational.
À quel
type de diversité faites-vous référence ? Celle des ethnies ?
Bien évidemment ! Nous parlons
de diversité culturelle, c’est un sujet absolument fondamental. Regardez ici, en
France, il y a les Basques, les Bretons, les Occitans. Il y avait plusieurs
cultures, plusieurs langues à l’époque. Mais la République les a détruites, par
la force ! Nous pensons que la diversité est une richesse, pas un problème.
C’est pourquoi nous nous efforçons de reconnaitre officiellement toutes les
cultures. Il y a plus de 35 langues officielles dans notre pays, et c’est très
bien comme ça !
Les gens
ont bien souvent du mal à se définir eux-mêmes, alors comment votre gouvernement
fait pour savoir qui appartient à telle ou telle culture ?
Je crois que
l’auto-identification est fondamentale, c’est-à-dire savoir qui l’on est. Mais
la question est encore plus profonde. Nous parlons ici de la modernité, telle
qu’elle a été imaginée par les penseurs européens et nord-américains. Cette
modernité ne sait pas intégrer la nuance et la diversité, elle considère que
tout ce qui est différent est une menace. Mais qui nous soumet à cette
homogénéisation ? C’est le marché ! Le capitalisme nous impose d’avoir les mêmes
goûts, de penser la même chose, de vivre dans les mêmes villes, d’avoir les
mêmes rêves pour nous vendre les mêmes produits. Les capitalistes veulent tous
nous mettre dans le même sac et supprimer les différences territoriales,
économiques ou bien culturelles.
En réalité, chaque personne a
une multitude d’identités dans sa vie. Il faut les connaitre, et les faire
reconnaitre. Je suis un fils devant mon père, un père devant mon fils et un
ambassadeur devant vous. J’ai l’identité de mon pays, de ma région, de mon
village, de ma famille. En quoi est-ce un problème ? Pourquoi devrais-je me
conformer à une seule identité et nier toutes les autres ? Je pense que nous
avons la capacité d’intégrer toutes ces identités dans une vision plus politique
et plus systémique de la vie. Désormais, avec toutes les avancées développées en
Occident comme la physique, la chimie ou la biologie, nous savons que la vie est
systémique. Elle a besoin de diversité pour se développer, et non d’un seul et
unique élément. C’est ce principe naturel que nous voulons respecter.
Est-ce
qu’il existe des lois différentes selon son appartenance à telle ou telle ethnie
?
Non, il n’y a qu’une seule
loi.
Alors
quelle est la traduction concrète et institutionnelle de ce principe de
diversité ?
La Constitution reconnait
différents modèles économiques. Il y a l’économie étatique, qui est une force au
service de notre gouvernement et de notre politique ; l’économie de marché, du
secteur privé, pour faire fonctionner les entreprises, notamment étrangères. Il
y a aussi l’économie coopérative et enfin, l’économie communautaire, paysanne et
indigène, qui permet des échanges plus directs et plus complémentaires. Nous
avons également un système pluriel au niveau institutionnel avec une autonomie
départementale, régionale, municipale et indigène. Les indigènes ont leur propre
conception de la notion de territoire et d’autorité et il faut respecter cela.
Ces quatre autonomies ont le même pouvoir devant la Constitution, aucune ne
surpasse l’autre. Elles sont également toutes en capacité de s’autogouverner,
c’est-à-dire qu’elles ont toutes le pouvoir de discuter la loi.
Votre
Président, Evo Morales, appartient au mouvement du socialisme révolutionnaire.
Ce courant issu du marxisme s’intéresse traditionnellement aux problèmes
politiques, économiques et sociaux, et non aux aspects identitaires ou
ethniques. Comment votre gouvernement théorise-t-il le lien entre la question
sociale et la question identitaire ?
Cela fait déjà plusieurs années
que nous avons entamé cette réflexion à gauche. Nous commençons tout juste à
réaliser que cette proposition marxiste qui parle des paysans du temps de la
production féodale, avec l’idée que ces gens progresseront et lutteront jusqu’à
l’avènement du socialisme puis du communisme, ne fonctionne pas. Cela ne
correspondait pas à la réalité des classes paysannes boliviennes. Alors nous
nous sommes concentrés davantage sur la Nation et les cultures que sur les
classes sociales. Nous avons beaucoup travaillé sur toutes ces questions, mais
ce n’est pas un terrain de débat théorique ou historique. Ce qui importe c’est
la situation concrète, pas le raisonnement. La théorie doit se soumettre à la
réalité, pas l’inverse.
C’est l’Occident qui a imposé la
méthode du schéma mental rationnel et théorique, mais ça ne fonctionne pas pour
toutes les situations. Nous préférons une logique plus expérimentale. Nous ne
fonctionnons pas avec des livres, nous préférons vivre les choses directement et
résoudre les problèmes à partir de cas pratiques. L’idéologie ne fait pas partie
de notre culture.
L’écologie politique nous a appris
qu’il existait réellement un intérêt général humain, puisque si nous ne nous
occupons pas de notre Terre tous ensemble, alors nous mourrons tous ensemble.
Est-ce que cela vous convainc de la pertinence de l’universalisme, ou bien
pensez vous que cette notion est-elle seulement coloniale ?
Il faut revenir aux racines des
choses. Dans « universalisme » il y a « uni », c’est-à-dire l’idée d’un monde
unique, sans nuances. Mais ça ne correspond pas à la situation réelle. En
vérité, le monde est pluriel et divers. L’universalisme a été le moyen pour les
Occidentaux et les Européens d’imposer à toutes les cultures et à toutes les
sociétés leurs manières de vivre. Ils ont détruit des civilisations et nous ont
raconté des histoires qui ne sont pas les nôtres. L’universalisme ne respecte
pas la diversité et la réalité des droits humains. Le paradoxe « des droits de
l’Homme » à l’occidentale, c’est de dire : « Je respecte tes droits uniquement
si tu partages mes valeurs ». Qu’est-ce qui se passe avec les filles musulmanes
ici, en France ? Pourquoi on les empêche de porter le voile à l’école ? C’est
une atteinte à leur identité !
Les
États-Unis veulent apaiser leurs relations avec Cuba mais dans le même temps,
ils sont de plus en plus agressifs envers le Venezuela. Les sud-américains
peuvent-ils faire confiance au gouvernement nord-américain dans les années à
venir ?
Notre problème avec les
États-Unis, c’est que leurs véritables gouvernants sont les grandes entreprises.
Ils sont donc mal placés pour parler de démocratie, mais c’est leurs affaires.
Quant aux nouvelles relations avec Cuba, l’important est de constater que c’est
le gouvernement américain qui a changé sa position, pas le gouvernement
cubain.
En 2013,
le Président bolivien Evo Morales a été séquestré dans un aéroport car les
Américains ont intimé aux Français de lui interdire notre espace aérien.
Pourquoi François Hollande a-t-il agit de la sorte alors qu’il n’y aucun conflit
d’intérêt entre nos deux pays ? Il
faut poser la question au gouvernement français. Cette honte n’est pas la nôtre,
je n’ai aucune justification à apporter.
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