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mercredi 25 novembre 2015

La Bolivie, un exemple !


Entretien avec Jean-Paul GUEVARA, petit neveu du CHE
 
Le 18 décembre 2005, Evo Morales remporte les élections présidentielles boliviennes dès le premier tour avec plus de 53% des voix. Pour la première fois depuis le XIXe siècle, un amérindien accède au pouvoir en Amérique du Sud. Cet ancien syndicaliste et footballeur professionnel nationalise la production d’hydrocarbures, augmente le salaire minimum et s’oppose à l’installation de bases militaires américaines. La particularité de ce mouvement révolutionnaire et socialiste est de s’intéresser aux questions identitaires et culturelles. Pour en savoir plus, Le Poing a rencontré Jean-Paul Guevara, petit-neveu du Che et ambassadeur de Bolivie en France.
Qu’est-ce que cela change d’être ambassadeur d’un pays se proclamant révolutionnaire ?
Les ambassadeurs doivent remplir des missions précises : faire connaitre leur pays, prêter attention à nos ressortissants vivant en France et renforcer les liens entre les peuples. Mon rôle est aussi de faire connaitre la Révolution démocratique et culturelle que nous sommes en train de vivre comme une proposition pour le reste du monde.
Le préambule de la Constitution bolivienne remet en cause « l’État néolibéral, républicain et colonial ». Pourquoi associer la République au capitalisme et à la colonisation ?
Plus qu’une remise en cause, il s’agit avant tout de surmonter et de dépasser l’État. Et nous affirmons effectivement qu’il faut aussi s’émanciper du modèle républicain. Nous ne sommes pas républicains. La République est le fruit de l’État-nation, c’est une idée qui a été créée et idéalisée ici, en France. Nous sommes contre ce modèle importé parce qu’il ne correspond pas à la réalité de la société bolivienne. L’État-nation cherche l’homogénéisation de la population, à faire en sorte que les gens pensent la même chose, qu’ils soient identiques. Mais nous savons que ce vœu n’est pas sincère. Le gouvernement bolivien souhaite au contraire préserver et reconnaitre la réalité, la nature, la dignité et la diversité des différents peuples. C’est la voie que nous tentons d’expérimenter avec notre État plurinational.
À quel type de diversité faites-vous référence ? Celle des ethnies ?
Bien évidemment ! Nous parlons de diversité culturelle, c’est un sujet absolument fondamental. Regardez ici, en France, il y a les Basques, les Bretons, les Occitans. Il y avait plusieurs cultures, plusieurs langues à l’époque. Mais la République les a détruites, par la force ! Nous pensons que la diversité est une richesse, pas un problème. C’est pourquoi nous nous efforçons de reconnaitre officiellement toutes les cultures. Il y a plus de 35 langues officielles dans notre pays, et c’est très bien comme ça !
Les gens ont bien souvent du mal à se définir eux-mêmes, alors comment votre gouvernement fait pour savoir qui appartient à telle ou telle culture ?
Je crois que l’auto-identification est fondamentale, c’est-à-dire savoir qui l’on est. Mais la question est encore plus profonde. Nous parlons ici de la modernité, telle qu’elle a été imaginée par les penseurs européens et nord-américains. Cette modernité ne sait pas intégrer la nuance et la diversité, elle considère que tout ce qui est différent est une menace. Mais qui nous soumet à cette homogénéisation ? C’est le marché ! Le capitalisme nous impose d’avoir les mêmes goûts, de penser la même chose, de vivre dans les mêmes villes, d’avoir les mêmes rêves pour nous vendre les mêmes produits. Les capitalistes veulent tous nous mettre dans le même sac et supprimer les différences territoriales, économiques ou bien culturelles.
En réalité, chaque personne a une multitude d’identités dans sa vie. Il faut les connaitre, et les faire reconnaitre. Je suis un fils devant mon père, un père devant mon fils et un ambassadeur devant vous. J’ai l’identité de mon pays, de ma région, de mon village, de ma famille. En quoi est-ce un problème ? Pourquoi devrais-je me conformer à une seule identité et nier toutes les autres ? Je pense que nous avons la capacité d’intégrer toutes ces identités dans une vision plus politique et plus systémique de la vie. Désormais, avec toutes les avancées développées en Occident comme la physique, la chimie ou la biologie, nous savons que la vie est systémique. Elle a besoin de diversité pour se développer, et non d’un seul et unique élément. C’est ce principe naturel que nous voulons respecter.
Est-ce qu’il existe des lois différentes selon son appartenance à telle ou telle ethnie ?
Non, il n’y a qu’une seule loi.
Alors quelle est la traduction concrète et institutionnelle de ce principe de diversité ?
La Constitution reconnait différents modèles économiques. Il y a l’économie étatique, qui est une force au service de notre gouvernement et de notre politique ; l’économie de marché, du secteur privé, pour faire fonctionner les entreprises, notamment étrangères. Il y a aussi l’économie coopérative et enfin, l’économie communautaire, paysanne et indigène, qui permet des échanges plus directs et plus complémentaires. Nous avons également un système pluriel au niveau institutionnel avec une autonomie départementale, régionale, municipale et indigène. Les indigènes ont leur propre conception de la notion de territoire et d’autorité et il faut respecter cela. Ces quatre autonomies ont le même pouvoir devant la Constitution, aucune ne surpasse l’autre. Elles sont également toutes en capacité de s’autogouverner, c’est-à-dire qu’elles ont toutes le pouvoir de discuter la loi.
Votre Président, Evo Morales, appartient au mouvement du socialisme révolutionnaire. Ce courant issu du marxisme s’intéresse traditionnellement aux problèmes politiques, économiques et sociaux, et non aux aspects identitaires ou ethniques. Comment votre gouvernement théorise-t-il le lien entre la question sociale et la question identitaire ?
Cela fait déjà plusieurs années que nous avons entamé cette réflexion à gauche. Nous commençons tout juste à réaliser que cette proposition marxiste qui parle des paysans du temps de la production féodale, avec l’idée que ces gens progresseront et lutteront jusqu’à l’avènement du socialisme puis du communisme, ne fonctionne pas. Cela ne correspondait pas à la réalité des classes paysannes boliviennes. Alors nous nous sommes concentrés davantage sur la Nation et les cultures que sur les classes sociales. Nous avons beaucoup travaillé sur toutes ces questions, mais ce n’est pas un terrain de débat théorique ou historique. Ce qui importe c’est la situation concrète, pas le raisonnement. La théorie doit se soumettre à la réalité, pas l’inverse.
C’est l’Occident qui a imposé la méthode du schéma mental rationnel et théorique, mais ça ne fonctionne pas pour toutes les situations. Nous préférons une logique plus expérimentale. Nous ne fonctionnons pas avec des livres, nous préférons vivre les choses directement et résoudre les problèmes à partir de cas pratiques. L’idéologie ne fait pas partie de notre culture.
L’écologie politique nous a appris qu’il existait réellement un intérêt général humain, puisque si nous ne nous occupons pas de notre Terre tous ensemble, alors nous mourrons tous ensemble. Est-ce que cela vous convainc de la pertinence de l’universalisme, ou bien pensez vous que cette notion est-elle seulement coloniale ?
 Il faut revenir aux racines des choses. Dans « universalisme » il y a « uni », c’est-à-dire l’idée d’un monde unique, sans nuances. Mais ça ne correspond pas à la situation réelle. En vérité, le monde est pluriel et divers. L’universalisme a été le moyen pour les Occidentaux et les Européens d’imposer à toutes les cultures et à toutes les sociétés leurs manières de vivre. Ils ont détruit des civilisations et nous ont raconté des histoires qui ne sont pas les nôtres. L’universalisme ne respecte pas la diversité et la réalité des droits humains. Le paradoxe « des droits de l’Homme » à l’occidentale, c’est de dire : « Je respecte tes droits uniquement si tu partages mes valeurs ». Qu’est-ce qui se passe avec les filles musulmanes ici, en France ? Pourquoi on les empêche de porter le voile à l’école ? C’est une atteinte à leur identité !
Les États-Unis veulent apaiser leurs relations avec Cuba mais dans le même temps, ils sont de plus en plus agressifs envers le Venezuela. Les sud-américains peuvent-ils faire confiance au gouvernement nord-américain dans les années à venir ?
Notre problème avec les États-Unis, c’est que leurs véritables gouvernants sont les grandes entreprises. Ils sont donc mal placés pour parler de démocratie, mais c’est leurs affaires. Quant aux nouvelles relations avec Cuba, l’important est de constater que c’est le gouvernement américain qui a changé sa position, pas le gouvernement cubain.
En 2013, le Président bolivien Evo Morales a été séquestré dans un aéroport car les Américains ont intimé aux Français de lui interdire notre espace aérien. Pourquoi François Hollande a-t-il agit de la sorte alors qu’il n’y aucun conflit d’intérêt entre nos deux pays ? Il faut poser la question au gouvernement français. Cette honte n’est pas la nôtre, je n’ai aucune justification à apporter.


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