Les
« sondés » croient, pour la plupart, que la défaite de Daech résoudrait
le conflit syrien et mettrait fin à la fois au terrorisme
et à l’émigration.
Faut-il intervenir en Syrie ? Faut-il parler avec Bachar
Al-Assad ? Convenons que cela fait beaucoup de questions pour un même
numéro de Politis. Et on pourrait en ajouter une troisième,
murmurée : faut-il – peut-on ? – accueillir tous les réfugiés qui se
présentent aux frontières de l’Europe ? La forme interrogative n’est pas
pour nous dénuée de sens. Elle signifie d’abord que nous sommes en face
de problèmes infiniment complexes, et je trouve admirables, ou
suspects, ceux qui savent les trancher à la serpe. Car, comme souvent
dans notre monde, nos gouvernants commencent à se poser les questions au
moment où il n’existe plus de bonnes réponses. Et, spécialement,
lorsqu’ils sont confrontés aux conséquences de leurs propres actes. En
l’occurrence, la guerre américaine de 2003 en Irak, puis le refus
d’armer les courants démocratiques de la rébellion. Mais aussi, et bien
en amont, les pactes avec les dictatures, militaires ou religieuses.
Plus généralement, nous sommes confrontés aux effets d’un système qui creuse monstrueusement les inégalités. Ce qui fait que les migrants, ou réfugiés économiques, sont aussi nos victimes. Bon, mais quand on a dit ça, on n’a rien dit, ou presque. Que faire maintenant ? Paradoxalement, l’affaire des réfugiés devrait être la plus simple. Il existe un principe de notre droit qui fait obligation de porter assistance à une personne en danger. C’est peu dire que les Syriens le sont. Mais les Érythréens aussi. Provisoirement au moins, l’idée d’une répartition équitable de l’accueil par tous les pays de l’Union européenne est sans doute la moins mauvaise. À condition que chacun y prenne sa part. Mais, pour l’heure, chacun est surtout désireux de plaire à son « opinion ». C’est vrai en Hongrie. C’est vrai aussi en France, où des lobbys médiatiques sont entrés en action. En témoigne la débauche de sondages. À lire cet empilement de questions incertaines et de réponses contradictoires, on pense à la phrase de François Ier, amant éconduit et passablement misogyne : « Souvent femme varie, et bien fol est qui s’y fie. » L’opinion, elle aussi, varie, tiraillée par ses émotions et par une idéologie souvent islamophobe. Une photo, même terrible, ne peut contredire durablement un discours politique de plusieurs années. Sans compter que les maires ont commencé à mesurer la contradiction qui existe entre l’appel à la générosité et les restrictions budgétaires. Le fameux « not in my backyard » fait son œuvre. Accueillez tous les réfugiés que vous voulez, mais surtout pas chez moi…
Le sociologue Patrick Champagne a superbement résumé le but des sondages : « Ils permettent de produire des effets politiques en substituant à la réalité ce que les gens sont censés penser de la réalité après une campagne de presse ayant contribué à fabriquer une certaine représentation de cette réalité. [1] » C’est encore plus manifeste dans l’autre série de sondages qui concerne, cette fois directement, la situation en Syrie. On voudrait nous entraîner dans une guerre en Syrie qu’on ne s’y prendrait pas autrement. Voilà les Français « pour la guerre », et même pour une offensive terrestre « contre l’État islamique (Daech) » [2]. Une partie de la droite milite pour cette aberration. Imagine-t-on nos soldats engagés dans un corps-à-corps dans les ruelles de Deïr Ezzor ou de Raqa avec des tueurs fanatisés qui n’ont cure de leur propre vie ? Imagine-t-on le profit que le groupe jihadiste tirerait dans sa propagande de cette guérilla contre cette nouvelle « invasion occidentale » ? Les renforts qu’il recevrait, peut-être même de France, dépasseraient de beaucoup ses pertes. Mesure-t-on enfin les conséquences que cela aurait sur la guerre civile en renforçant Bachar Al-Assad, l’homme aux 250 000 morts, et en éloignant la perspective d’une solution politique (voir notre dossier et l’entretien avec Jean-Pierre Filiu) ?
Rien de tout ça, évidemment, n’est dit à nos « sondés » qui croient, pour la plupart, que la défaite de Daech – à supposer qu’elle soit possible – résoudrait le conflit syrien et mettrait fin à la fois au terrorisme et à l’émigration. Il faut ici citer de nouveau Patrick Champagne, reprenant lui-même Bourdieu. Pour le sociologue, l’enquête d’opinion postule « que tous les individus ont une opinion, et qu’ils se posent tous la question qu’on leur pose ». Le sondeur, pour créer son « opinion publique », s’adresse aussi bien au chercheur qui travaille sur la Syrie depuis trente ans qu’au quidam qui ignore où se situe ce pays sur une carte. Les compétences peuvent évidemment s’inverser dans un autre domaine, mais l’imposture sera la même. D’autres sondages sont plus simples. Interroger les Français sur ce qu’ils pensent de François Hollande ne requiert aucune compétence particulière. Et les conséquences de la réponse sont un peu moins dramatiques, sauf peut-être pour l’intéressé… Évidemment, rien n’indique pour l’instant que François Hollande ait envie de se lancer dans l’aventure d’une « offensive terrestre ». Mais les vols de repérage annoncés ressemblent tout de même à une concession aux sondages. Il faut bien faire « quelque chose »…
Plus généralement, nous sommes confrontés aux effets d’un système qui creuse monstrueusement les inégalités. Ce qui fait que les migrants, ou réfugiés économiques, sont aussi nos victimes. Bon, mais quand on a dit ça, on n’a rien dit, ou presque. Que faire maintenant ? Paradoxalement, l’affaire des réfugiés devrait être la plus simple. Il existe un principe de notre droit qui fait obligation de porter assistance à une personne en danger. C’est peu dire que les Syriens le sont. Mais les Érythréens aussi. Provisoirement au moins, l’idée d’une répartition équitable de l’accueil par tous les pays de l’Union européenne est sans doute la moins mauvaise. À condition que chacun y prenne sa part. Mais, pour l’heure, chacun est surtout désireux de plaire à son « opinion ». C’est vrai en Hongrie. C’est vrai aussi en France, où des lobbys médiatiques sont entrés en action. En témoigne la débauche de sondages. À lire cet empilement de questions incertaines et de réponses contradictoires, on pense à la phrase de François Ier, amant éconduit et passablement misogyne : « Souvent femme varie, et bien fol est qui s’y fie. » L’opinion, elle aussi, varie, tiraillée par ses émotions et par une idéologie souvent islamophobe. Une photo, même terrible, ne peut contredire durablement un discours politique de plusieurs années. Sans compter que les maires ont commencé à mesurer la contradiction qui existe entre l’appel à la générosité et les restrictions budgétaires. Le fameux « not in my backyard » fait son œuvre. Accueillez tous les réfugiés que vous voulez, mais surtout pas chez moi…
Le sociologue Patrick Champagne a superbement résumé le but des sondages : « Ils permettent de produire des effets politiques en substituant à la réalité ce que les gens sont censés penser de la réalité après une campagne de presse ayant contribué à fabriquer une certaine représentation de cette réalité. [1] » C’est encore plus manifeste dans l’autre série de sondages qui concerne, cette fois directement, la situation en Syrie. On voudrait nous entraîner dans une guerre en Syrie qu’on ne s’y prendrait pas autrement. Voilà les Français « pour la guerre », et même pour une offensive terrestre « contre l’État islamique (Daech) » [2]. Une partie de la droite milite pour cette aberration. Imagine-t-on nos soldats engagés dans un corps-à-corps dans les ruelles de Deïr Ezzor ou de Raqa avec des tueurs fanatisés qui n’ont cure de leur propre vie ? Imagine-t-on le profit que le groupe jihadiste tirerait dans sa propagande de cette guérilla contre cette nouvelle « invasion occidentale » ? Les renforts qu’il recevrait, peut-être même de France, dépasseraient de beaucoup ses pertes. Mesure-t-on enfin les conséquences que cela aurait sur la guerre civile en renforçant Bachar Al-Assad, l’homme aux 250 000 morts, et en éloignant la perspective d’une solution politique (voir notre dossier et l’entretien avec Jean-Pierre Filiu) ?
Rien de tout ça, évidemment, n’est dit à nos « sondés » qui croient, pour la plupart, que la défaite de Daech – à supposer qu’elle soit possible – résoudrait le conflit syrien et mettrait fin à la fois au terrorisme et à l’émigration. Il faut ici citer de nouveau Patrick Champagne, reprenant lui-même Bourdieu. Pour le sociologue, l’enquête d’opinion postule « que tous les individus ont une opinion, et qu’ils se posent tous la question qu’on leur pose ». Le sondeur, pour créer son « opinion publique », s’adresse aussi bien au chercheur qui travaille sur la Syrie depuis trente ans qu’au quidam qui ignore où se situe ce pays sur une carte. Les compétences peuvent évidemment s’inverser dans un autre domaine, mais l’imposture sera la même. D’autres sondages sont plus simples. Interroger les Français sur ce qu’ils pensent de François Hollande ne requiert aucune compétence particulière. Et les conséquences de la réponse sont un peu moins dramatiques, sauf peut-être pour l’intéressé… Évidemment, rien n’indique pour l’instant que François Hollande ait envie de se lancer dans l’aventure d’une « offensive terrestre ». Mais les vols de repérage annoncés ressemblent tout de même à une concession aux sondages. Il faut bien faire « quelque chose »…
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire